Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 19 février 2015

Pierre Rosanvallon, à propos de la marche du 11 janvier à Paris, du Pacte républicain et du vivre ensemble

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- Extraits d’un entretien accordé au quotidien Le Monde daté du 12 février 2015 (propos recueillis par Nicolas Truong).
- Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France,  historien et analyste des phénomènes de défiance démocratique.

A propos de la marche du 11 janvier :
« Nous avons d’abord vu le rassemblement d’une communauté d’effroi et d’interrogations  (…) Loin de manifester une véritable union nationale, cette communauté d’effroi a immédiatement fait apparaître le caractère problématique de cette prétendue unité (…) Une partie de la population ne s’est pas retrouvée dans ces manifestations. Une partie du pays est resté en retrait (…) C’est la fracture entre une France impliquée et une France marquée par un sentiment d’abandon, submergée par les difficultés personnelles, qui se sent marginalisée. »

A propos de l’universalisme français :
 (…) « Les appels au séparatisme se multiplient partout dans le monde, une société d’éloignement dans laquelle les groupes sociaux tendent à se regrouper entre personnes qui se ressemblent, se met progressivement en place. Les inégalités grandissantes accentuent en outre le phénomène. La France n’échappe pas à ce délitement. »

A propos du Pacte républicain :
« En France, on continue à parler d’immigrés à propos de personnes qui sont intégrés depuis deux ou trois générations. On ne dirait jamais de Nicolas Sarkozy qu’il est immigré parce que son père est issu de la petite noblesse hongroise. De même, Manuel Valls, dont le père était un peintre catalan. On appelle aujourd’hui ‘immigrés’ ceux qui incarnent la mémoire et la mauvaise conscience de ce que l’universalisme français a raté, avec au premier chef l’expérience algérienne (…) Les questions d’intégration ne sont pas simplement en France de l’ordre de la pratique quotidienne, elles remuent également un ensemble de rêves brisés. Car, si l’Algérie n’est pas devenue française, ce n’est pas simplement du fait de la révolte des Algériens, mais aussi parce que les autorités rêvaient et mentaient. Elles parlaient d’universalisme mais refusaient l’égalisation des niveaux de vie. Il y a eu une désoccidentalisation de ces populations à la mesure des déceptions et des échecs qui se sont répétés sur le terrain de l’intégration. »

A propos de la laïcité
(…) Le mot laïcité est devenu trop élastique : pour certains, il désigne techniquement la neutralité de l’Etat, pour d’autres, un idéal de vie sociale harmonieuse où les individus n’auraient plus de classes sociales, de religions, d’histoires… Il faut se méfier de cette vision enchantée. Il faut apprendre le vivre-ensemble non pas grâce à une série d’interdictions, mais par une réflexion commune et permanente sur ce qui le rend possible ou difficile (…) La République, ce n’est pas que des procédures et des lois. C’est aussi ces ‘institutions invisibles’ que sont la confiance et la légitimité. Et plus encore ces règles de civilité qui s’appellent respect, responsabilité, que la devise républicaine a réunies sous le terme générique de fraternité. »
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