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Extraits d’un entretien accordé au quotidien Le Monde daté du 12 février 2015
(propos recueillis par Nicolas Truong).
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Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France, historien et analyste des phénomènes de
défiance démocratique.
A
propos de la marche du 11 janvier :
« Nous
avons d’abord vu le rassemblement d’une communauté d’effroi et
d’interrogations (…) Loin de manifester
une véritable union nationale, cette communauté d’effroi a immédiatement fait
apparaître le caractère problématique de cette prétendue unité (…) Une partie
de la population ne s’est pas retrouvée dans ces manifestations. Une partie du
pays est resté en retrait (…) C’est la fracture entre une France impliquée et
une France marquée par un sentiment d’abandon, submergée par les difficultés
personnelles, qui se sent marginalisée. »
A
propos de l’universalisme français :
(…) « Les appels au séparatisme se
multiplient partout dans le monde, une société d’éloignement dans laquelle les
groupes sociaux tendent à se regrouper entre personnes qui se ressemblent, se
met progressivement en place. Les inégalités grandissantes accentuent en outre
le phénomène. La France n’échappe pas à ce délitement. »
A
propos du Pacte républicain :
« En
France, on continue à parler d’immigrés à propos de personnes qui sont intégrés
depuis deux ou trois générations. On ne dirait jamais de Nicolas Sarkozy qu’il
est immigré parce que son père est issu de la petite noblesse hongroise. De
même, Manuel Valls, dont le père était un peintre catalan. On appelle
aujourd’hui ‘immigrés’ ceux qui incarnent la mémoire et la mauvaise conscience
de ce que l’universalisme français a raté, avec au premier chef l’expérience
algérienne (…) Les questions d’intégration ne sont pas simplement en France de
l’ordre de la pratique quotidienne, elles remuent également un ensemble de
rêves brisés. Car, si l’Algérie n’est pas devenue française, ce n’est pas
simplement du fait de la révolte des Algériens, mais aussi parce que les
autorités rêvaient et mentaient. Elles parlaient d’universalisme mais
refusaient l’égalisation des niveaux de vie. Il y a eu une désoccidentalisation
de ces populations à la mesure des déceptions et des échecs qui se sont répétés
sur le terrain de l’intégration. »
A
propos de la laïcité
(…)
Le mot laïcité est devenu trop élastique : pour certains, il désigne
techniquement la neutralité de l’Etat, pour d’autres, un idéal de vie sociale
harmonieuse où les individus n’auraient plus de classes sociales, de religions,
d’histoires… Il faut se méfier de cette vision enchantée. Il faut apprendre le
vivre-ensemble non pas grâce à une série d’interdictions, mais par une
réflexion commune et permanente sur ce qui le rend possible ou difficile (…) La
République, ce n’est pas que des procédures et des lois. C’est aussi ces
‘institutions invisibles’ que sont la confiance et la légitimité. Et plus
encore ces règles de civilité qui s’appellent respect, responsabilité, que la
devise républicaine a réunies sous le terme générique de fraternité. »
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