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Le
Quotidien d’Oran, mercredi 11 février 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Payer
ses impôts n’est pas un geste naturel. Un acte de ceux que l’on admet aisément.
Il n’est pas facile d’accepter l’idée de devoir céder une partie de ses revenus
surtout quand une petite voix nous chuchote que cet argent va payer, entre
autres, le salaire d’élus indélicats, de fonctionnaires incompétents (clin
d’œil à celles et ceux qui galèrent avec Pôle-emploi) ou même de journalistes
du service public dont le propos et le parti-pris néolibéral agacent de bon
matin. Pas facile non plus quand on lit – démarche masochiste – le rapport
annuel de la Cour des comptes où sont compilés un nombre impressionnant de
gaspillages d’argent public. Pour autant, s’arrêter à cela serait faire preuve
d’une grande incivilité. C’est un fait. Payer ses impôts est un engagement
civique. Une nécessité au nom de la solidarité nationale voire au nom du
patriotisme. Ecoles, routes, hôpitaux, installations éducatives, tout cela
exige que chaque citoyen paie son écot. Bien entendu, cela vaut aussi pour les
entreprises. Pour toutes les entreprises. Cela peut irriter, cela peut paraître
injuste, mais on n’a pas encore trouvé d’autres moyens pour financer le
fonctionnement de l’Etat et la réalisation d’infrastructures utiles au
bien-être commun (et que l’on ne vienne pas me parler des partenariats
public-privé qui ne sont qu’une vaste fumisterie…).
On
peut juger de la modernité d’un pays à la manière dont est organisé son système
fiscal. Et, dans ce type d’approche, on a souvent opposé le « bon
fonctionnement » des pays développés, censés être parfaitement organisés
pour ce qui est de la levée de l’impôt, à celui des autres nations, notamment
africaines, où l’importance du secteur informel empêche toute politique fiscale
équitable. Pour ces dernières, l’impôt est d’ailleurs souvent un moyen de
coercition destiné à mettre au pas les récalcitrants sur le plan politique ou
ceux qui refusent de payer dîmes et pots-de-vin. Mais de récents événements sont
en train de modifier la manière dont est appréhendée cette question. Au nord,
chez les « riches », dans un contexte où les classes moyennes mais
aussi les petites et moyennes entreprises (PME) n’ont pratiquement aucune marge
de manœuvre face aux fourches caudines de l’administration fiscale, on sait
désormais que l’égalité devant l’impôt est un immense leurre. Il y a d’abord le
fait que de nombreux pays européens n’hésitent pas à détourner, car c’est le
mot, une partie des recettes fiscales de leurs voisins. L’affaire dite du
Luxleaks l’a bien montré. Pendant des années, et aujourd’hui encore, le
Luxembourg, membre fondateur de l’Union européenne (UE), a encouragé des
entreprises à se domicilier sur son sol pour payer un minimum d’impôts privant
ainsi ses partenaires européens ou transatlantiques d’importantes ressources
financières. Et cela dans un contexte mondial où l’on ne cesse de parler
d’austérité, de diminution des dépenses publiques et de retrait des Etats de la
sphère socio-économiques. Bien entendu, le Luxembourg n’est pas le seul à
pratiquer ce petit jeu maléfique. Outre la multitude de paradis fiscaux qui
continuent de prospérer malgré les discours récurrents annonçant leur mise au
pas, des pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas ou l’Irlande
pratiquent aussi la compétition fiscale.
Ensuite,
le récent scandale de la filiale suisse d’HSBC est lui aussi de nature à
remettre en cause la perception de l’impôt en Europe. Des milliards de dollars
en provenance de plusieurs pays, y compris du Maghreb et d’Algérie, ont été
soustraits au Trésor public. Si l’on part du principe que cette activité est
aussi le fait d’autres banques (on ne voit pas pourquoi il en serait autrement) et
si l’on ajoute à cela les centaines de milliards de dollars de recettes
fiscales qui disparaissent grâce à « l’optimisation fiscale » -
autrement dit une fraude légale – on atteint des montants faramineux. Chaque
année dans le monde, entre 2000 et 3000 milliards de dollars échapperaient ainsi
aux caisses des Etats lesquels n’ont d’autre alternative que de pressurer ceux
qui n’ont pas les moyens d’échapper à l’impôt. Cette situation est d’une
gravité extrême. L’évasion fiscale et le manque à gagner qu’elle engendre, minent
la cohésion de sociétés déjà fragilisée par le chômage et les inégalités. La
question est aussi importante, sinon plus, que le terrorisme et la criminalité
organisée. Pourtant cela ne déclenche guère de réactions gouvernementales.
Jusqu’à quand des Etats mais aussi des établissements financiers vont-ils
continuer à capter les ressources qui devraient légitimement revenir à d’autres
nations ? Jusqu’à quand de grandes entreprises vont-elles exceller dans la
capacité à ne payer aucun impôt dans des pays où, pourtant, elles réalisent
d’importants bénéfices ? Tout cela mériterait un grand sommet mondial.
Tout cela mériterait une mobilisation générale et des discours politiques s’engageant
à mettre fin à cette immense duplicité qui fait que les grands perdants de
l’obligation fiscale sont les classes moyennes et les PME.
Ce
silence connivent et cette inaction malgré la multiplication des scandales
interpellent. Cela témoigne de la puissance des lobbies bancaires et financiers
ainsi que de leur capacité à étouffer les initiatives politiques visant à les
contraindre. Cela montre que « l’industrie de l’optimisation
fiscale » a toujours une longueur d’avance sur les législations.
Faudra-t-il l’effondrement d’un ou plusieurs pays, voire des conflits armés
dans ce qui, aujourd’hui encore demeure une zone de prospérité, pour que les
choses changent ? En tous les cas, cette criminalité et cette inconscience
en col blanc semblent avoir de beaux jours devant elle.
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