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Le
Quotidien d’Oran, jeudi 26 février 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Donc,
la règle est claire – et elle l’est effectivement depuis longtemps. Personne
n’a le droit de manifester contre le pouvoir algérien. L’opposition ? Ça
n’existe pas, ou plutôt ça ne doit pas exister. Pourquoi le devrait-elle
d’ailleurs ? Le pays va bien. Très bien même. L’Algérie est au top de tous
les classements internationaux. C’est la meilleure économie du monde, c’est du
moins ce qu’en disent les experts respectifs du Fonds monétaire international
(FMI), de l’Unesco, du Forum économique mondial, des principales organisations
altermondialistes, d’Amnesty International, de Reporters sans frontières et de tutti
quanti. Elle fait partie des BRIC, les fameux leaders émergents qu’elle
surclasse aisément en matière de performances macro, micro et tactico-tactiques.
De
plus, comme ne cesse de l’écrire le Nobel Joseph Stiglitz, Alger est l’archétype
de la place financière du XXIème siècle avec sa Bourse aux milliers de valeurs
cotées qui attirent les fonds d’investissement du monde entier. Un
« hub » bancaire ultraperformant où le souvenir de l’époque où il
était impossible de payer par chèque fait désormais beaucoup rire. Le système
de santé algérien est cité en exemple à chaque grande messe internationale de
même que celui de l’éducation dont ne cessent de s’inspirer les dirigeants de
l’Ivy league étasunienne. Et que dire des infrastructures… Des lignes
ferroviaires à grande vitesse, des barrages ultra-modernes, des centrales
solaires au top de la technologie, de grandes centres de recherche et, last but not least, une agriculture à la
fois innovante et respectueuse de l’environnement. Pour l’Afrique, l’Algérie
est ainsi l’exemple à suivre en matière de sécurité alimentaire et, là aussi,
le temps où elle faisait partie des pays les plus vulnérables en raison de leur
dépendance aux céréaliers étrangers, et bel et bien révolu.
Que
l’on pardonne au présent chroniqueur ce préambule ironique. Il a été écrit à
dessein pour que certains de ses lecteur, pas tous, prennent conscience de ce
drôle de sentiment ambigu qu’ils viennent d’éprouver. Le constat, le vrai,
c’est-à-dire l’accablant, à propos de l’Algérie, ils le partagent avec des
milliers, pour ne pas dire des millions de compatriotes. Oui mais voilà, la
fierté est toujours là, cette brave fifille d’un nationalisme ombrageux qui
nous tenaille – notez bien que j’écris « nous » - jusqu’à la moelle
des os et qui fait aussi que le pouvoir a beau jeu de ridiculiser la moindre
critique à son égard. De fait, il y a une question que l’on doit nécessairement
se poser après la contestation empêchée dans les rues de la capitale le 24
février dernier. Ce qui prime, ce n’est pas de savoir pourquoi la manifestation
a été contrée par les forces de l’ordre et par les orchestres folkloriques qui
ont sillonné la ville pour soit disant célébrer l’anniversaire de la
nationalisation des hydrocarbures (nationalisation qui, rappelons-le au
passage, a subi quelques liftings depuis et qui a même failli appartenir au
passé avec la fameuse réforme avortée in extremis des années 2000). Non, ce qui
est important c’est de comprendre pourquoi un régime politique avec un tel
bilan catastrophique, et cela quel que soit le thème examiné, est finalement si
peu contesté.
On
parlera de l’effet rémanent de la décennie noire (c’est comme si, en 1977, on
ne parlait encore que de la Guerre d’indépendance…). On évoquera l’effet
insidieux de la rente plus ou moins (et plutôt mal) redistribuée. Mais on dira surtout
qu’Alger n’est pas l’Algérie, que c’est une vitrine tenue d’une main de fer
quand, dans le reste de pays, jacqueries et colères spontanées peuvent éclater
à tout moment. On rappellera aussi que la colère au sud du pays contre cette
insanité que sont les gaz de schiste montre que la résignation n’est pas de
mise partout. Pour autant, il faut bien reconnaître l’existence d’une vraie
réticence à s’élever contre le système. Ah ce système, on ne l’aime pas mais on
a bien du mal à accepter que le critiquer dans la rue n’équivaut en rien à un
acte de trahison nationale ou à une action au profit objectif de la fameuse
main de l’étranger. On ne l’aime pas ce système, mais on agit comme si on
faisait sien son échec et, du coup, tout discours semblable au liminaire de
cette chronique est vécu comme une attaque personnelle qui fait oublier toute
raison et objectivité.
Il
y a quelques temps déjà, dans mon blog, je me suis étonné de la vigueur des
réactions outragées des Algériens à une (mauvaise) plaisanterie du président
François Hollande à propos de leur pays. Je relevais que tout cela me
paraissait disproportionné et que j’aurais aimé assister à de telles colères
concernant des choses bien plus sérieuses. Que n’ai-je pas écrit… Des amis qui
décident de rompre tout contact, des insultes sur les réseaux sociaux… Et ce
genre de schizophrénie perdure. La question de l’exploitation des gaz de
schiste devrait mobiliser des millions d’Algériens préoccupés par le sort des
futures générations et convaincus que les ressources aquifères du Sahara sont
un atout fondamental pour l’avenir. A la place, ça crie et ça tempête, à partir
de son clavier, parce que Roger Hanin a été enterré à Alger, conformément à ses
dernières volontés…
On
accuse souvent l’opposition algérienne de ne pas être à la hauteur des enjeux.
Mais encore faudrait-il que le fait de se regrouper à quelques-uns dans la rue
ne soit plus considéré comme un délit. Encore faudrait-il que cette jeunesse
militante – l’une des grandes satisfactions du moment et un espoir pour le pays
– ne soit pas brimée comme elle l’est et, surtout, abandonnée à son sort par
les plus anciens. On le sait, le système et sa clientèle ne lâcheront pas
l’affaire facilement. C’est une question de survie pour eux. Mais ce n’est pas
une raison pour leur faciliter la tâche. Sauf si, et c’est une explication qui
n’est pas à négliger, les uns et les autres y trouvent finalement leurs petits
et grands comptes et cela au-delà de leurs sempiternelles récriminations.
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1 commentaire:
je ne suis pas algérien, mais comme français ayant vécu l'histoire commune depuis plus de 60 ans, j'ai plaisir à lire une analyse aussi pertinente et lucide.
Le mal de nombreuses nations, aujourd'hui comme avant-hier, est un nationalisme mal vécu et instrumentalisé par les pouvoirs, et en tant qu'européen et méditerranéen, je pense qu'il faut sérieusement s'en inquiéter.
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