Le Quotidien d’Oran,
jeudi 9 avril 2015
Akram Belkaïd,
Paris
Un carnage… 148
morts dans la fleur de l’âge. L’avenir, l’espoir, d’un pays emportés par une
violence sans nom dont seuls des psychopathes peuvent être capables. Une
religion, l’islam, dévoyée et souillée par cette attaque contre l’université de
Garissa au Kenya. C’est d’ailleurs tout un symbole. En semant la mort dans une
université, temple du savoir, de la raison et du partage, les terroristes
somaliens ont montré ce qu’ils étaient. Et l’on se demande comment certains
observateurs peuvent encore essayer de les défendre en avançant l’idée que la
guerre qui les oppose au gouvernement kenyan peut déboucher sur toutes les
horreurs. Et relevons cette terrible obscénité qui réside dans le nom que
s’attribuent ces extrémistes venus d’un pays qui, finalement, ne s’est jamais
remis de la chute du dictateur Mohamed Siad Barré en 1991 et des multiples
interventions militaires étrangères qui ont suivi. Ces salopards, et le mot est
trop faible, s’auto-désignent par le terme « shebab », qui signifie
jeunes ou jeunesse. Quelle sordide ironie…
Ce massacre n’a
guère ému le monde musulman pas plus qu’il n’a fait réagir l’Occident. Il n’y a
pas eu de marches pour les jeunes étudiants massacrés. Il n’y a pas eu
d’emballement médiatique ni de grandes initiatives populaires, comme par
exemple le simple fait de se regrouper sur une place publique pour dire non au
terrorisme ou le fait d’aller observer quelques minutes de silence devant
l’ambassade du Kenya. Non, rien de tout cela n’a eu lieu. Les grands de ce
monde ont prononcé quelques phrases lapidaires et sont vite passés à d’autres
choses, jugées plus importante, comme la signature d’un accord à propos du
dossier nucléaire iranien. Les représentants des pays africains et arabes, qui
tels de petits chienchiens à leur ancienne mémère coloniale, se sont précipités
pour participer à la marche du 11 janvier à Paris (après les tueries de Charlie-Hebdo et de l’hyper-casher de
Vincennes), n’ont rien dit, ne se sont guère fait entendre. Des Kenyans sont
morts, et alors ? Ce sont des Noirs, des Africains, et la règle implicite
qui veut que seule la vie de l’homme blanc compte et a de l’intérêt vient
encore une fois d’être vérifiée.
Il ne faut pas
se mentir. Cette indifférence de l’Occident mais aussi du monde arabe – lequel
a au moins une excuse, il a aussi ses terribles problèmes du moment – n’est
rien d’autre que du racisme plus ou moins avouée, plus ou moins conscient. On
notera aussi que la tuerie de Garissa a eu lieu quelques jours avant la date
anniversaire du déclenchement du génocide rwandais en 1994. A l’époque aussi,
combien de temps a-t-il fallu pour que l’horreur de la situation soit admise et
qu’enfin des voix s’élèvent pour dénoncer les massacres et pour faire preuve de
solidarité avec les victimes et leurs familles ? Seuls les réseaux sociaux
ont « sauvé » l’honneur. La colère de milliers d’internautes
vis-à-vis de politiques et des grands médias pusillanimes fera certainement
date. Elle a mis en exergue l’écart croissant entre ce que ressentent les
opinions publiques – même si elles sont plus ou moins bien informées - et les maîtres
des systèmes politiques et médiatiques. Ici et là, des initiatives « 2.0 »
ont été lancées. On dira qu’il ne s’agit que de « clicktivism »,
qu’il est facile de s’indigner à l’aide de son clavier et derrière son écran. Mais
cela compte puisque cela crée la condition nécessaire pour d’autres
mobilisations, réelles, sur le terrain. Surtout, cela prouve qu’il ne s’agit
plus d’attendre le feu vert des officiels pour réagir.
Que dire
maintenant de ce qui se passe dans le camp palestinien de Yarmouk en périphérie
de Damas ? Cela fait plusieurs mois que l’endroit est assiégé à la fois
par l’armée d’Assad et par les tueurs du groupe Etat islamique. Cela fait des
semaines que la faim, le froid et la violence déciment des Palestiniens pris au
piège dans cette enclave jugée stratégique par chacune des forces armées en
présence. Et, là aussi, pas ou peu de réactions dans le monde arabe. Pas de
manifestations, pas de déclarations des chefs d’Etat (même l’Autorité
palestinienne est peu diserte sur le sujet !). On pensait que la Palestine
et le sort des Palestiniens représentaient une cause sacrée. Notre unique cause
digne d’engagement. On voit bien que ce n’est pas le cas. Que ce n’est plus le
cas. Que l’on se sente impuissant est une chose, que l’on ne cherche pas à
manifester sa solidarité et à clamer son indignation en est une autre. Là
aussi, on dira que les situations nationales chez les uns et les autres sont
tellement compliquées, incertaines ou dangereuses que ce qui se passe à Yarmouk
passe nécessairement au second plan. Mais tout de même, c’est des Palestiniens
qu’il s’agit ! Se taire à propos de ce qui se passe en ce moment dans la
banlieue de Damas revient, quelque part, à être soit du côté des forces d’Assad
qui n’ont jamais cessé de bombarder le camp, soit du côté des islamistes de
Daech ou de Nusra qui, tient comme c’est bizarre, semblent s’être alliés pour l’occasion.
Les Palestiniens de Yarmouk (et d’ailleurs) méritent mieux. Nous ne devons pas
les oublier. Le slogan « Je suis Yarmouk » doit exister. Ce n’est pas
grand-chose mais c’est mieux que le silence, l’oubli et le défaut de solidarité.
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