Le
Quotidien d’Oran, jeudi 26 mars 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Marine
Le Pen sera-t-elle présente au second tour de l’élection présidentielle
française de 2017 ? Cette question, plus ou moins craintive selon l’endroit
d’où l’on vient et où l’on se positionne sur l’échiquier politique, n’est
certes pas nouvelle. Mais le résultat du premier tour du scrutin départemental
de dimanche dernier oblige à la reposer. Bien sûr, il n’y a pas eu de
déferlante bleu-marine et le Front national ne devrait contrôler au maximum que
deux ou trois départements, peut-être quatre. C’est la consolation que certains
observateurs ont essayé de nous vendre.
Pour
autant, c’est la dynamique des résultats électoraux qui mérite d’être examinée.
En 1995, Jean-Marie Le Pen avait récolté 15% des suffrages avant de se
qualifier pour le second tour en 2002 en totalisant près de 20% des voix. En
2012, sa fille a engrangé 18% des votes à la présidentielle. Tous ces chiffres
doivent être comparés aux 25% respectivement réalisés aux européennes de 2014
et aux départementales de cette année. Mathématiquement, et au vu de
l’historique de ces deux scrutins, tout est en place pour que le FN réalise un
bon score aux régionales de décembre prochain et, plus important encore, pour
que Marine Le Pen soit présente au second tour en 2017. Personne ne pourra
alors dire que cette qualification est une surprise.
L’un
des enseignements majeurs de ce scrutin, mais là-aussi ce n’est pas une grande
découverte, du moins pour ceux qui ne se contentent pas de suivre l’évolution
de la France à partir d’un bureau parisien, est que le FN est désormais un
parti de plus en plus ancré sur le plan local. Son score de 25% au premier
tour, dans un type de consultation qui ne lui est pas forcément favorable – du
fait de la présence de deux concurrents majeurs et du possible report de voix
entre droite et gauche au deuxième tour – le démontre bien. Il fut un temps où
le FN était d’abord un ensemble de factions plus ou moins bien regroupées sous
la figure tutélaire de Jean-Marie Le Pen mais sans véritable assise nationale.
Aujourd’hui, ses prolongements locaux sont une réalité. Ses militants ne se
cachent plus et n’ont guère à craindre l’opprobre qui sanctionnait leurs
devanciers. Dans un village de l’Aisne ou de l’Oise, « le » militant
FN n’est plus un fantôme. Il ne se cache plus et son entourage, même s’il ne
partage pas ses idées, n’a plus honte de lui.
Cela
signifie donc que le Front national est un parti accepté par un gand nombre de
Français, qu’ils soient de droite comme de gauche. C’est cela qui lui permet,
entre autre, d’envisager d’autres conquêtes. Comme l’a remarqué un habitant du
département de la Seine St-Denis, aujourd’hui « plus personne n’arrache
les affiches » de ce parti, ce qui était pourtant chose fréquente il y a
encore une dizaine d’années (*). On peut bien accuser la presse d’avoir aidé à
cela en interviewant sans cesse les cadres du FN, véritables bons clients et
experts en petites phrases susceptibles d’améliorer l’audimat. Mais, en
réalité, les médias n’ont fait qu’accompagner la tendance. Face à une offre
politique indigente, inintelligible et marquée par le sceau de l’échec (cinq à
six millions de chômeurs mes chers Jacques, Nicolas et François), le FN s’inscrit
dans une vraie dynamique ascensionnelle.
Parmi
les grands éditorialistes français, il semble qu’aucun n’ait eu la bonne idée
de rappeler que ces départementales ont eu lieu près de dix ans après le fameux
rejet populaire du projet de traité constitutionnel européen. Un refus que les
gouvernements de droite puis de gauche ont balayé avec mépris et une vraie
désinvolture en ayant recours à un vote parlementaire afin de contourner le
référendum. Dix ans, c’est le temps qu’il faut pour qu’une immense frustration
à l’égard de la manière dont se construit l’Union européenne – et de la manière
dont agit sa commission – se transforme en mobilisation politique de terrain
qui s’étend et se densifie par capillarité.
Face
à cette vague qui monte, ce n’est pas un discours alarmiste ou stigmatisant, du
genre de celui que tient Manuel Valls, qui servira à grand-chose. Bien sûr, le
Premier ministre n’a pas tort de dire que la France risque de payer cher une
arrivée du FN au pouvoir. Mais il appartient à une classe politique amplement discréditée
et sa parole n’a guère d’impact. De même, il est aussi une figure importante d’un
parti dit de gauche qui, au nom d’une fausse option socio-démocrate, ne cesse
de se droitiser au grand dam de militants qui ne savent plus à quels saints se
vouer. Car si le Front national progresse, ce n’est pas uniquement parce qu’il
pique des voix à l’UMP. Les milieux populaires, hier favorables à la gauche – à
l’image de ceux du département du Pas-de-Calais -, n’éprouvent plus de
réticence à voter pour le Front national. Par adhésion ou tout simplement par
envie d’envoyer un message. En clair, Marine Le Pen risque fort d’être au
second tour de la présidentielle de 2017, parce que le gouvernement Valls, sans
oublier le président Hollande, vont continuer à parler de réduction des
déficits, de compétitivité, de réformes structurelles (ces deux termes
signifiant la fin de certains acquis sociaux) et que leurs électeurs vont
définitivement comprendre qu’en 2012, ils se sont fait, une fois de plus,
rouler dans la farine. 2017, c’est demain et le compte-à-rebours vers la
catastrophe annoncée a bel et bien commencé. A suivre…
(*)
Le Courrier de l’Atlas, 20 mars 2015.
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