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Le
Quotidien d’Oran, jeudi 11 février 2016
Akram
Belkaïd, Paris
Les
Algériens binationaux ne pourront donc plus occuper de postes clés puisque
c’est ce que stipule désormais la Constitution dont la réforme vient d’être
votée par nos illustres représentants du peuple… Certes, de nombreux pays dans
le monde ont une législation restrictive quand il s’agit de certaines hautes responsabilités
précises (c’est le cas des Etats Unis où il faut être né sur le sol américain
pour prétendre à la présidence). Mais dans le cas algérien, l’intention est
plus large et la mesure est un message de défiance sur lequel il convient de
s’attarder.
De
fait, qu’est-ce qui unit un Algérien résidant à Paris à une Algérienne vivant à
Los Angeles, Montréal, ou Brunswick (ME) ?
Qu’est-ce qui unit une Algérienne installé à Marseille à une Algérienne de Tunis, Taipeh ou Tokyo ? Qu’est-ce qui
unit un Algérien vivant à Tokyo à un Algérien installé à New York, Dubaï ou
Istanbul ? Dans la majorité des cas, et à de rares exceptions, il y a un
sentiment diffus d’inaccompli, la sensation d’un échec plus ou moins assumé,
celui de n’avoir pu se réaliser dans son propre pays. Il y a la volonté,
récurrente, de « faire quelque chose ‘là-bas’ »,
« d’aider el-bled », de rembourser une dette que chacun apprécie et
assume à sa façon. Il y a donc une virtualité. Une potentialité.
Quand
on évoque la triste situation de l’Algérie, les facteurs d’optimisme sont
rares. Dans un contexte de fuite en avant où la pire des possibilités est toujours
celle qui se réalise au grand dam de celles et ceux qui espéraient, espèrent
toujours, que ce pays prenne enfin son envol, c’est la jeunesse, sa créativité,
sa capacité à réaliser des choses malgré un environnement hostile qui empêchent
l’accablement de triompher. D’un point de vue socio-économique, n’importe quel
observateur relèvera aussi que l’un des atouts principaux de l’Algérie est aussi
sa diaspora. Bien sûr, il est aisé de s’engager dans des polémiques inutiles en
divisant les Algériens. On est en droit, à Alger, Oran ou Constantine, de
reprocher leur départ à ceux qui sont partis ou de leur signifier que leur avis
ne compte pas dans la mesure où ils ne partagent pas le quotidien éprouvant, du
moins pour certains, de ceux qui sont restés. Mais tout cela est secondaire. En
tous les cas, cela devrait le rester.
Car,
la réalité, c’est que la majorité des pays qui ont réalisé un développement économique
spectaculaire durant la deuxième moitié du vingtième siècle l’ont fait avec
l’aide de leur diaspora. C’est le cas, par exemple, de la Chine. On connaît la
fameuse phrase de Deng Xiaoping pour justifier le grand écart entre orthodoxie
communiste et réformes libérales : « qu’importe
la couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris ». Ce que l’on
connait moins c’est que le pragmatisme du PC chinois l’a aussi obligé à être
accommodant à l’égard des compétences issues de la diaspora et cela reste
encore le cas aujourd’hui. Sinon, comment expliquer que des sino-américains ou
même des sino-vietnamiens ou encore des sino-singapouriens se retrouvent parmi
les dirigeants économiques les plus en vues en Chine ?
Prenons
un autre exemple, moins connu que celui de la Chine. A la fin des années 1950,
la Corée du sud était un pays qui désespérait ses soutiens occidentaux.
Economie en panne, corruption, fuite de capitaux, chômage, autrement dit une
situation qui n’a rien à voir avec ce qui existe aujourd’hui. Or, l’un des
facteurs de redressement de ce pays a été qu’il a réussi à convaincre sa
diaspora de rentrer au pays. Comment ? En lui garantissant un minimum de
conditions décentes de vie avec, entre autre, la réforme du système éducatif,
une politique ambitieuse de logement et la modernisation du système de santé.
Dans ce « deal », le pouvoir sud-coréen reconnaissait deux choses
majeures : d’abord, la gravité de la situation du pays et l’exigence d’un
changement. Ensuite, le fait que le pays avait besoin de « sa »
diaspora.
Si
l’on en revient à l’Algérie, le pouvoir ne reconnaît ni la gravité de la
situation et donc l’exigence de réformes urgentes ni le fait que la diaspora
est un élément de la solution. Je ne vais pas m’attarder sur la première partie
de ce qui précède. On sait ce qu’est le pouvoir algérien, inutile d’insister
là-dessus. Par contre, concernant la diaspora, il est important de dire
certaines choses. Tout comme il refuse de faire confiance aux Algériens qui
vivent en Algérie, le pouvoir n’a que peu de considérations pour la diaspora.
Certes, elle a droit de temps en temps à quelques discours laudateurs mais ils
sonnent aussi creux que les promesses d’une plus grande démocratisation ou de
la mise en place d’une politique pour sortir du tout pétrole.
Jadis,
entre les années vingt et la fin de la guerre d’Indépendance, c’est au sein de
l’émigration algérienne que le mouvement nationaliste s’est renforcé. Peut-être
est-ce cela qui alimente la méfiance à l’égard des exilés d’aujourd’hui. Il est
vrai qu’un Algérien qui travaille à la Nasa ou dans la Silicon Valley ou qui
est encore l’un des pontes de la recherche médicale en France n’apportera pas
que sa seule expertise. Il aura aussi sa
manière de voir les choses et des exigences pour que le minimum de vie décente
– et il ne s’agit pas que de considérations matérielles – lui soit garanti.
Finalement,
les seuls binationaux qui intéressent le pouvoir algérien sont les
footballeurs. Appelés en masse d’Europe pour les besoins d’un « wanetoutrisme »
mortifère, ces joueurs sont célébrés en tant qu’exemples de dévouement pour le
pays alors, qu’en réalité, ils ne servent qu’à donner des jeux et flatter le
nationalisme du peuple (cela sans compter quelques magouilles avec les agents
et autres intermédiaires). Quant aux autres « binat », quels que soient
leur niveau de compétence, leur capacité d’entreprendre et d’investir, il vient
de leur être signifié qu’ils ne sont plus que des Algériens de seconde
catégorie.
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