_
Le Quotidien d’Oran,
jeudi 4 février 2016
Akram Belkaïd, Paris
Tiens, viens voir, toi
qui aimes les séries. Il y en a une qui passe en ce moment sur Nessma et qui
fait déjà un carton. Oui, Nessma, la télé tunisienne qui est aussi très
regardée en Algérie, la preuve, elle passe même des pubs en dialecte algérien.
Non, je corrige, en dialecte néo-algérois limite vulgos, si tu vois ce que je
veux dire. Attends ! Je suis sûr que ça va t’intéresser. C’est un
feuilleton turc. Tu vois, je savais que tu allais réagir. Bah oui, les séries
turques ont tué le feuilleton égyptien et je me demande souvent si c’est une
bonne chose ou non.
Bref, ça s’appelle
« qloub erromen » autrement dit les « cœurs de grenades ».
Joli, hein ? Bon, il y a des sites tunisiens qui traduisent ça par les
« cœurs de grenadine ». Je te dis ça, je dis rien… En turc, ça
s’appelle « Yaoum Kitabet Qadari » ou « Loabet al Kadar ».
Ne me demande pas ce que ça veut dire, je n’en sais rien. En turc, je ne sais
dire que « teşekkür ederim », merci beaucoup, et « Onlar Bizi
Dinlerler ». Ça veut dire « ils nous écoutent ». Qui ? Le
DRS, la NSA, va savoir... C’est une chanson du groupe Yüksek Sadakat autrement
dit « haute fidélité », de la pop turque qui déménage. Si, si, ça
existe et c’est cogne grave !
Donc, le feuilleton turc…
Le plus important, c’est qu’il est doublé en arabe tunisien. C’est une grande
première. Ils ont pris des acteurs et des actrices tunisiens pour ça. Je
t’avoue que c’est un peu bizarre. J’ai pris l’habitude du doublage syrien. Tu
me diras qu’il est tout aussi bizarre de doubler un feuilleton turc en syrien
qu’en tunisien. Mais bon… Peut-être qu’il n’y a plus d’acteurs syriens pour le
faire. J’ai pourtant lu que les maisons de production syriennes se sont
installées à Dubaï. J’aime bien regarder les feuilletons turcs doublés en
syrien. L’habitude. L’exotisme. L’accent lointain. Là, les gens parlent en
tunisien mais ce que tu vois et entends n’a rien à voir avec la Tunisie ou même
le Maghreb. Enfin, je nuance, les Turcs, ils ont plus des têtes à être doublés
en algérien. Le débit est le même tout comme les intonations et ils sont tout
autant renfrognés…
Enfin, le doublage c’est
jamais simple. Une fois, j’ai vu Rocky
en espagnol… Quelle rigolade. Ou alors, Le
Bon, la Brute et le Truand en version ourdoue… Bon, peut être que les
Ricains, ça les fait aussi rigoler d’entendre leurs films en français. Tu te
souviens de cette prof au collège qui ne savait pas ce qu’était un doublage.
Mais si ! Elle nous avait juré que J.R de Dallas était un Américain qui parlait le français… Prof au collège,
mon pote… Et c’était avant l’arabisation ! T’imagines les dégâts que cette
ânesse a fait pendant des années ?
Oui, oui, d’accord. Donc,
le feuilleton… C’est l’histoire d’une grande famille. Des riches. Superbe
maison, belles voitures. Le père, façon chef de clan, qui ne sourit jamais. Le fils, un quadra bogosse,
taciturne, avec une belle épouse qui a tout pour être heureuse sauf qu’elle n’a
pas d’enfants. Et tout le monde lui met la pression à commencer par sa
belle-mère qui, tu t’en doutes, est la manœuvre. Pas d’enfant, c’est le qu’en
dira-t-on qui fonctionne à plein régime, c’est des histoires d’héritage, bref,
c’est la tchaqlala. La solution finit
par être trouvée. Le couple trouve une mère porteuse. Oui, monsieur ! Un
feuilleton turc qui parle de mère porteuse et qui est diffusé en Tunisie, ça
existe et ça ne pose pas de problème à la censure. Va vite le dire à ceux qui
ne parlent que des fatwas d’Al-Azhar, tu sais comme celle de cet imam qui veut
que les employés mâles tètent leurs collègues femmes pour avoir le droit de
rester avec elles dans le même bureau…
Comme tu t’en doutes, la
mère porteuse est pauvre. Belle mais pauvre… Ça ouvre des possibilités… On sent
bien que le père commence à se rapprocher d’elle sans même s’en rendre compte.
Au début, c’est juste parce qu’il est attentionné vis-à-vis de celle qui porte
son enfant mais ensuite tu devines qu’il va peut-être y avoir moyen pour lui de
moyenner… Et c’est là que l’affaire se corse… L’épouse apprend qu’elle est
totalement stérile. Donc, le bébé qui est dans le ventre de la mère porteuse
n’est pas le sien. Suspense total ! Drame ! Pleurs, sanglots, crise de
nerfs ! – la doubleuse en rajoute d’ailleurs pas mal ce qui crée un drôle
de décalage… Il y a d’autres trucs comiques qui n’ont rien à voir avec
l’intrigue mais toujours avec le doublage… L’épouse, le mari, la belle-mère,
parlent tous des « zoviles », parce que l’un des mystères est de
savoir à qui appartient l’ovule qui a été fécondé pour que la pauvrette puisse
porter « el-bibi »…
Il y a des moments où je
décroche. Je regarde juste les décors. C’est tourné du côté d’Antalya. C’est
vert, c’est propre, c’est magnifique. La mer, la forêt et la montagne. J’ai
passé deux étés là-bas. Crois-moi, c’est plus beau que la côte de
Ziama-Mansouriah et même celle de Ténès. Hein ? D’accord, je retire. C’est
plus beau que Ziama-Mansouriah tout court, ça te va ? Tiens, ça me
rappelle cette histoire. Un jour, je raconte mon séjour à Antalya à un couple
d’amis. Lui est d’Aokas, elle d’Ajaccio. Un Kabyle et une Corse, tu imagines le
duo. Moi, sans vraiment me douter de ce qui allait arriver, j’ai juste dit
qu’Antalya, c’est l’un des plus beaux coins de la Méditerranée. Là, l’ami dit
un truc du genre : plus beau que la Corse, peut-être mais ça n’a rien à
voir avec la côte algérienne. Et là, sans hésiter, elle lui met une claque
magistrale. Il a fallu que je les sépare. Tiens… Ça ferait un beau feuilleton
cette histoire. On le doublerait en corse et en kabyle !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire