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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 21 juillet 2016

La chronique du blédard : F comme fumier, F comme fripouille

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Le Quotidien d’Algérie, jeudi 14 juillet 2016
Akram Belkaïd, Paris

Qui peut dire qu’il a été surpris par les conclusions du rapport de Sir John Chilcot ? Personne n’ignore que Tony Blair, premier ministre « travailliste » en 2003, a engagé son pays dans une guerre illégitime et dévastatrice contre l’Irak. Un conflit motivé par de faux renseignements et par la volonté de l’ancien locataire du 10 Downing Street à Londres de suivre à n’importe quel prix le président américain George W. Bush. Blair a menti. Il a manipulé son opinion publique et a forcé son gouvernement et quelques 417 députés à le suivre dans cette sordide aventure dont la population irakienne paie encore le prix lourd.

A peine le rapport publié, les indignations ont été multiples y compris au sein de la presse britannique. Dans un contexte marqué par le vote favorable au Brexit (sortie du Royaume Uni de l’Union européenne), ce document et ses conclusions ont réveillé de vieilles polémiques. On s’est souvenu de Blair jouant le rôle du caniche docile de Bush. De Blair à la manœuvre pour aider son boss (son « mac » aurait-on envie d’écrire) à contourner la légalité internationale et à intervenir militairement en Irak sans l’aval du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU). On s’est souvenu de Blair portant un coup fatal à la cohésion de l’Europe en signifiant à ses pairs de l’UE que son pays ferait toujours passer en premier son alliance avec Washington. En un sens, on peut se demander si cet alignement aveugle n’était pas annonciateur de ce qui se passe aujourd’hui avec une Grande Bretagne qui risque de devenir le catalyseur de l’éclatement de l’UE.

Tout le monde est d’accord pour dire que Blair mérite d’être jugé. L’homme a exprimé des regrets et des excuses mais il a aussi affirmé qu’il prendrait la même décision aujourd’hui encore. Autrement dit, il persiste et signe et fait preuve d’arrogance. Cette arrogance, ce mépris de la vie d’autrui, qui ont conduit à la mort de plusieurs centaines de milliers d’Irakiens. Méprisant à l’égard d’un peuple jadis asservi par la Grande Bretagne, Blair a pensé qu’il suffisait d’une poignée d’hommes pour pacifier l’Irak à moindre frais. Cela en dit long sur ce que ce dirigeant, célébré hier comme le symbole de la « nouvelle gauche », la fameuse « troisième voie », est vraiment : un fumier.

Blair mérite d’être jugé et doit répondre des crimes qu’il a provoqués. Bien entendu, il ne faut pas être naïf. La Cour pénale internationale (CPI) et les autres juridictions comparables n’existent que pour exercer une « justice de blanc », une justice du plus fort qui ne vise pour l’essentiel que les dictateurs africains (les dirigeants serbes étant l’exception qui confirme la règle). Blair sait qu’il n’a rien à craindre parce que sa traduction devant un tribunal signifierait la remise en cause de l’ordre international géré par les plus forts. Il peut donc continuer, lui qui adore l’argent, à faire du business en conseillant des pays arabes, notamment ceux du Golfe. Des clients arrangeants à qui il ne viendra jamais l’idée de demander des comptes à cet assassin par procuration. Comme l’a écrit un journal anglais au lendemain de la publication du rapport Chilcot : Blair danse sur les tombes des victimes irakiennes.

On dira aussi qu’il n’est pas le seul à mériter l’opprobre. George W. Bush continue à peindre dans son ranch du Texas et on voit mal un juge quelconque aller le déranger dans sa retraite tranquille. On pourrait aussi espérer que ce soit tout le « Cuarteto de Las Azores », autrement dit le quatuor des Açores, qui soit traduit devant la justice internationale. C’était le 15 mars 2003. Dans l’archipel des Açores, le président américain rencontrait ses vassaux européens qui le suivirent dans l’invasion de l’Irak. Tony Blair, bien sûr, mais aussi l’espagnol José Maria Aznar et le portugais José Manuel Barroso. Blair, Aznar, Barroso, trois dirigeants européens qui ont fait voler en éclat l’idée d’une quelconque autonomie de l’Europe. Pourtant, en se rangeant à la position anti-guerre de la France et de l’Allemagne, ces trois compères auraient pu dissuader Bush de déclencher l’invasion de l’Irak (à ce moment-là, les soutiens de la « nouvelle Europe » à l’invasion, notamment celui de la toujours très atlantiste Pologne, n’auraient guère compté).

L’actualité est souvent affaire de coïncidences. Quelques jours après la publication du rapport Chilcot, on apprenait que José Manuel Barroso, qui a été président de la Commission européenne de novembre 2004 (un an et demi après la guerre en Irak, belle récompense !) à novembre 2014, venait d’être recruté par la Banque Goldman Sachs en tant que président non-exécutif basé à Londres pour gérer les questions liées au Brexit. La boucle est ainsi bouclée. L’argent, le réseau, le carnet d’adresse, le conflit d’intérêts, le mélange des genres. La fripouille… Comme l’a relevé le quotidien français Libération, « traître un jour, traître toujours ». Après avoir trahi l’Europe et ses idéaux en soutenant une guerre inique, voilà que Barroso se prépare donc à défendre les intérêts de la firme américaine contre l’Union européenne dans le cadre des négociations liées au Brexit. On reste sans voix devant cette indécence qui conforte l’idée que le monde n’est géré que par des coquins sans scrupules.
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