Le
Quotidien d’Algérie, jeudi 14 juillet 2016
Akram
Belkaïd, Paris
Qui
peut dire qu’il a été surpris par les conclusions du rapport de Sir John
Chilcot ? Personne n’ignore que Tony Blair, premier ministre « travailliste »
en 2003, a engagé son pays dans une guerre illégitime et dévastatrice contre l’Irak.
Un conflit motivé par de faux renseignements et par la volonté de l’ancien
locataire du 10 Downing Street à Londres de suivre à n’importe quel prix le président
américain George W. Bush. Blair a menti. Il a manipulé son opinion publique et
a forcé son gouvernement et quelques 417 députés à le suivre dans cette sordide
aventure dont la population irakienne paie encore le prix lourd.
A
peine le rapport publié, les indignations ont été multiples y compris au sein
de la presse britannique. Dans un contexte marqué par le vote favorable au
Brexit (sortie du Royaume Uni de l’Union européenne), ce document et ses
conclusions ont réveillé de vieilles polémiques. On s’est souvenu de Blair
jouant le rôle du caniche docile de Bush. De Blair à la manœuvre pour aider son
boss (son « mac » aurait-on envie d’écrire) à contourner la légalité
internationale et à intervenir militairement en Irak sans l’aval du Conseil de
Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU). On s’est souvenu de Blair
portant un coup fatal à la cohésion de l’Europe en signifiant à ses pairs de l’UE
que son pays ferait toujours passer en premier son alliance avec Washington. En
un sens, on peut se demander si cet alignement aveugle n’était pas annonciateur
de ce qui se passe aujourd’hui avec une Grande Bretagne qui risque de devenir
le catalyseur de l’éclatement de l’UE.
Tout
le monde est d’accord pour dire que Blair mérite d’être jugé. L’homme a exprimé
des regrets et des excuses mais il a aussi affirmé qu’il prendrait la même décision
aujourd’hui encore. Autrement dit, il persiste et signe et fait preuve d’arrogance.
Cette arrogance, ce mépris de la vie d’autrui, qui ont conduit à la mort de
plusieurs centaines de milliers d’Irakiens. Méprisant à l’égard d’un peuple
jadis asservi par la Grande Bretagne, Blair a pensé qu’il suffisait d’une poignée
d’hommes pour pacifier l’Irak à moindre frais. Cela en dit long sur ce que ce
dirigeant, célébré hier comme le symbole de la « nouvelle gauche »,
la fameuse « troisième voie », est vraiment : un fumier.
Blair
mérite d’être jugé et doit répondre des crimes qu’il a provoqués. Bien entendu,
il ne faut pas être naïf. La Cour pénale internationale (CPI) et les autres
juridictions comparables n’existent que pour exercer une « justice de
blanc », une justice du plus fort qui ne vise pour l’essentiel que les
dictateurs africains (les dirigeants serbes étant l’exception qui confirme la règle).
Blair sait qu’il n’a rien à craindre parce que sa traduction devant un tribunal
signifierait la remise en cause de l’ordre international géré par les plus
forts. Il peut donc continuer, lui qui adore l’argent, à faire du business en
conseillant des pays arabes, notamment ceux du Golfe. Des clients arrangeants à
qui il ne viendra jamais l’idée de demander des comptes à cet assassin par
procuration. Comme l’a écrit un journal anglais au lendemain de la publication
du rapport Chilcot : Blair danse sur les tombes des victimes irakiennes.
On
dira aussi qu’il n’est pas le seul à mériter l’opprobre. George W. Bush
continue à peindre dans son ranch du Texas et on voit mal un juge quelconque
aller le déranger dans sa retraite tranquille. On pourrait aussi espérer que ce
soit tout le « Cuarteto de Las Azores », autrement dit le quatuor des
Açores, qui soit traduit devant la justice internationale. C’était le 15 mars
2003. Dans l’archipel des Açores, le président américain rencontrait ses
vassaux européens qui le suivirent dans l’invasion de l’Irak. Tony Blair, bien
sûr, mais aussi l’espagnol José Maria Aznar et le portugais José Manuel
Barroso. Blair, Aznar, Barroso, trois dirigeants européens qui ont fait voler
en éclat l’idée d’une quelconque autonomie de l’Europe. Pourtant, en se
rangeant à la position anti-guerre de la France et de l’Allemagne, ces trois
compères auraient pu dissuader Bush de déclencher l’invasion de l’Irak (à ce
moment-là, les soutiens de la « nouvelle Europe » à l’invasion,
notamment celui de la toujours très atlantiste Pologne, n’auraient guère compté).
L’actualité
est souvent affaire de coïncidences. Quelques jours après la publication du
rapport Chilcot, on apprenait que José Manuel Barroso, qui a été président de
la Commission européenne de novembre 2004 (un an et demi après la guerre en Irak,
belle récompense !) à novembre 2014, venait d’être recruté par la Banque
Goldman Sachs en tant que président non-exécutif basé à Londres pour gérer les
questions liées au Brexit. La boucle est ainsi bouclée. L’argent, le réseau, le
carnet d’adresse, le conflit d’intérêts, le mélange des genres. La fripouille… Comme
l’a relevé le quotidien français Libération, « traître un jour, traître
toujours ». Après avoir trahi l’Europe et ses idéaux en soutenant une
guerre inique, voilà que Barroso se prépare donc à défendre les intérêts de la
firme américaine contre l’Union européenne dans le cadre des négociations liées
au Brexit. On reste sans voix devant cette indécence qui conforte l’idée que le
monde n’est géré que par des coquins sans scrupules.
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