Le Quotidien d’Oran,
jeudi 21 juillet 2016
Akram Belkaïd,
Paris
La dynamique du
pire est un enchaînement d’événements où chacun crée à la suite de l’autre une
situation plus grave que la précédente. C’est une glissade continue,
irrémédiable, vers un contexte incontrôlable où les scénarios les plus noirs
finissent par se réaliser. Après le carnage de Nice, il convient donc d’être
réaliste et de ne pas se leurrer : La France est bel et bien prise dans une
séquence infernale dont on se demande avec angoisse quel sera le prochain
épisode.
L’assassin
a-t-il perpétré son crime au nom de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI,
souvent désignée par l’acronyme Daech) ? Etait-il mû par d’autres raisons, la «
franchise universelle », que l’OEI a lancé pour frapper les pays occidentaux,
lui ayant donné la possibilité d’accomplir son geste démoniaque sous le label
bien pratique du djihad ? Même si des responsables politiques français se sont
couverts de ridicule en évoquant une « radicalisation rapide », un peu comme
s’il s’agissait d’une maladie foudroyante, je pense que ce débat n’est pas le
plus important.
Car, ce qui
prime, c’est l’effet produit au sein de l’opinion publique française. Au-delà
de l’horreur et de la sidération (notons au passage l’usage intensif de ce
dernier terme par les médias), il y a la colère et la certitude que tout cela a
été accompli au nom de l’islam par un membre des communautés d’origine
maghrébine. Les discours qui entendent mettre en garde contre tout amalgame,
les critiques légitimes formulées vis-à-vis de la politique française au
Machrek et les rappels sur le fait qu’un tiers de victimes étaient de
confession, ou de culture, musulmanes n’y changeront rien ou presque. Petit à
petit, des digues de raison se fissurent et s’installe l’idée que ces
communautés abritent en leur sein de dangereux criminels susceptibles de passer
à l’action à n’importe quel moment et par n’importe quel moyen, y compris le
plus inattendu.
La suspicion
généralisée à l’égard des musulmans d’Occident, fussent-ils pas ou peu
pratiquants, est l’un des objectifs de Daech. Le calcul est simple : plus les
concernés seront mis à l’index et plus certains d’entre eux seront enclin à
passer à l’action violente ou, du moins, à ne pas s’en désolidariser. Mais là
n’est pas l’objectif final de l’OEI dont le but est aussi de répliquer aux
bombardements dont ses troupes font l’objet en Syrie, en Irak mais aussi en
Libye. Ce que veut cette organisation, c’est une aggravation de la situation et
une division plus nette entre les uns et les autres. Autrement dit, ce qu’elle
espère c’est que les musulmans de France fassent l’objet de représailles. On
dira que c’est déjà le cas puisque des mosquées ont été vandalisées et que des croyants
ont été molestés. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La tuerie de Nice et
la colère engendrée ouvrent la voie à d’autres scénarios, dont celui d’une « vengeance »
qui serait l’œuvre, par exemple, de réseaux d’extrême-droite. Un « œil pour
œil » dramatique qui envenimerait la situation et créerait des divisions
là où elles n’existent pas (encore). On imagine aisément le cycle de violences
sans fin que cela pourrait induire.
La seule
manière d’empêcher ce scénario du pire est de renforcer la cohésion de la
société française. Cela passe par un dialogue entre citoyens. Un dialogue dont,
j’en suis désormais persuadé, la classe politique ne veut pas parce que cela
affecterait son pouvoir, son influence et ses calculs. Il faudrait donc se
passer de politiciens obnubilés par les prochains rendez-vous électoraux.
Surtout, il faudrait aussi entendre les vérités des uns et des autres et les
admettre. En premier lieu, nombre de Français ont encore du mal à accepter
l’idée que leur société est inégalitaire et qu’elle ne cesse de discriminer
selon l’origine, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle et l’appartenance
aux classes les plus défavorisées.
En 1995, quand
Khaled Kelkal, un jeune de la banlieue lyonnaise, a participé à une vague
d’attentats avant d’être tué, de nombreuses voix se sont faite entendre pour
demander une vraie politique d’intégration et de réduction des inégalités.
Elles n’ont pas été entendues. Dix ans plus tard, en 2005, après les émeutes
des banlieues, les mêmes demandes ont été formulées. En vain. Plus de vingt ans
après, nous en sommes à un moment charnière où des enfants nés au milieu des
années 1990 rejoignent les rangs de Daech et n’ont aucune hésitation à frapper
leur pays natal. Et si rien de sérieux n’est accompli dans l’immédiat, on peut
se demander ce qu’il en sera en 2025… Hollande a aussi été élu pour qu’il
s’occupe « des quartiers ». On sait ce qu’il est advenu de cet
espoir…
En second lieu,
l’honnêteté commande de ne pas se focaliser sur les seuls efforts à faire en
matière d’intégration. Il est temps aussi pour les communautés d’origine
maghrébine qui vivent en France de regarder la situation en face et de procéder
à un nécessaire aggiornamento. Je ne parle pas ici de questions religieuses et
du débat à propos du renouvellement de la pensée musulmane mais de la manière
dont on façonne le lien et le rapport entre les nouvelles générations et la
France. Disons-le franchement, trop de gens font en sorte, ou acceptent, que
leurs enfants se complaisent dans une sorte de défiance à l’égard de ce pays
qui, quelles que soient ses insuffisances, les éduque, les soigne et leur donne
les chances, aussi minimes soient-elles, qu’ils ne trouveront jamais dans la
terre de leurs parents.
Oui, il existe
bien un sentiment anti-français chez nombre de Maghrébins de France. Il est
plus ou moins assumé et l’on pourrait même le dire « structurel » sans pour
autant le qualifier de « haine » ou de « racisme » comme on peut le lire ou
l’entendre dans des productions de droite ou d’extrême-droite. Bien sûr, cela
ne signifie pas que ce sentiment va alimenter une vague d’attentats. Mais cela
crée les conditions pour une atmosphère délétère où les condamnations ne sont
pas aussi fermes qu’elles devraient l’être, où des excuses sont toujours émises
pour relativiser les abjections commises par certains et où l’opinion publique
attend en vain des manifestations, ou plutôt des expressions, de loyauté qui
auraient l’avantage de rassurer (et de raisonner) nombre de gens pris par la
panique.
Par exemple, il
est temps de dire que les petits plaisantins qui plantent de temps à autre un
drapeau algérien sur le fronton d’une mairie française méritent un rappel à l’ordre
et un long discours moralisateur sur le mal qu’ils font à leurs concitoyens
musulmans mais aussi à l’image du pays de leurs ancêtres (où, d’ailleurs, ils
ne veulent absolument pas vivre…). Il est temps de dire aussi à cette jeunesse
qu’elle ne devrait éprouver aucune réticence à dire qu’elle aime (malgré tout)
la France parce qu’elle y est née. Et cela malgré toutes les difficultés
qu’elle y rencontre et malgré le passé colonial dont ses parents et
grands-parents ont été les victimes.
Il y a quelques
semaines, c’était pendant l’euro de football, un ami d’origine algérienne m’a
raconté qu’il avait corrigé son fils de dix ans, « zoudj sqali ou kef » (deux claques et un soufflet…) parce qu’il
avait arboré le maillot des Bleus pendant le match entre la France et
l’Albanie. On jugera cet exemple anecdotique mais il est pourtant emblématique.
Cet ami est arrivé en France au début des années 2000. Il a aujourd’hui une
situation matérielle enviable dont il concède qu’elle n’aurait jamais été
possible au bled. Ses enfants sont
nés en France et n’ont même pas de passeport algérien. Mais voilà, ils sont
élevés avec l’interdiction d’éprouver un quelconque attachement à leur pays.
Bien sûr, ce n’est pas cela qui les poussera vers la violence mais c’est bien
cela qui, entre autre, mine la cohésion d’une France qui en a pourtant un
besoin vital.
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3 commentaires:
Votre pensée est très juste et votre analyse très claire. Je vous en remercie
Ca serait bien que vous vous posiez la question, a savoir, pourquoi les maghrébins ont cette méfiance envers les français et la France? Voila la vraie question!
Il n'existe pas cette défiance au Canada où beaucoup de maghrébins comme en Belgique ou en Suisse... Il n'y a qu'en France où il y a cette défiance. Les français et le gvt devraient se poser des questions de temps en temps.
Je garde toute mon amitié et ma confiance dans mes amis musulmans. Ces crimes sont faits pour nous diviser et Daesh a assassiné plus de musulmans que de chrétiens ou juifs. Je rajouterai que je suis absolument contre l'interventionisme occidental que ce soit en Syrie en Irak ou en Libye.
Bernard
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