Le Quotidien d'Oran, jeudi 30 juin 2016
Akram Belkaïd, Paris
Bill Shankly, le mythique
entraîneur de Liverpool, connu pour sa fameuse phrase « le football n’est
pas une affaire de vie ou de mort, c’est plus que cela » a aussi déclaré
un jour que « le football est un sport simple rendu compliqué par les gens
qui n’y connaissent rien. » J’ai repensé à cette déclaration en suivant le
match entre l’Islande et l’Angleterre qui s’est terminé par la victoire
surprise – et historique - des « Strákarnir okkar » (nos garçons) et par l’élimination
honteuse – et tout aussi historique – de « The Three Lions » (les
trois lions).
Un sport simple donc qui
consiste à marquer plus de buts que l’adversaire ou, c’est selon, à faire en
sorte d’en encaisser moins que lui. Le reste n’est que littérature et prise de
tête tactique et statistique. Ceux qui suivent le foot de près auront
d’ailleurs remarqué l’inflation des chiffres dans l’analyse de telle ou telle
rencontre (« machin a couru huit kilomètres », « l’autre a
franchi quinze fois la ligne médiane balle au pied »,…). Ils auront aussi
remarqué la précision poussée à l’extrême dans la description des schémas
tactiques : 4-1-3-2 ou alors 4-3-1-2, ou bien, comme j’ai pu l’entendre
dans la bouche d’un ancien international français devenu
« consultant » : « un dispositif en losange qui va évoluer
en 4-3-2-1 au fil du match… ». Du bla-bla stérile dont l’origine vient des
Etats-Unis où la somnolence provoquée par les matchs de base-ball a donné
naissance à une foule de statistiques destinées à donner un peu de densité aux
articles sportifs (et à faire engranger quelques bénéfices aux entreprises
spécialisées dans la collecte de ce genre de données inutiles).
Cela me rappelle une
partie que nous avions disputée au stade de Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger.
Notre professeur d’éducation physique – ce devait être en classe de Première,
année passée à jouer au football et au basket-ball et à écouter de la musique – nous avait réunis en cercle au
bord d’un terrain en tuf raviné par la pluie. Ardoise et craie à la main, il
avait entrepris d’expliquer le schéma de jeu qu’il voulait nous voir appliquer.
Au bout de dix minutes d’explications aussi assommantes que confuses, et comme
il était à peine plus âgé que ses élèves, l’un d’entre nous a eu cette phrase
qui est restée les mémoires : « M’ssieur, on s’en fout d’ça !Pose
le ballon au centre et laisse-nous jouer !».
Si les Islandais ont
gagné, c’est parce qu’ils le voulaient plus que leurs adversaires. Ils ont
utilisé leurs arguments : une défense de fer, deux lignes de joueurs
soudées, un pressing permanent sur l’adversaire et l’usage offensif de la
touche. Arrêtons-nous un instant sur ce geste de remise en jeu d’un ballon qui
vient de sortir. Il est toujours étonnant de voir des joueurs internationaux le
rater ou de ne pas savoir quoi faire de la balle quand elle est dans leurs
mains et derrière leur tête. Le défunt Johann Cruyff disait qu’une passe en
arrière est le commencement d’un but. Les Islandais viennent de rappeler que
cela vaut aussi pour une touche et qu’il n’est nul besoin de la remplacer par
une remise en jeu au pied (un projet de modification du règlement qui revient
régulièrement à la surface) pour améliorer le caractère offensif d’un match.
Si les Anglais ont perdu,
c’est parce qu’ils sont rentrés sur le terrain en se voyant déjà en quart de
finale. C’est aussi parce qu’une bonne partie d’entre eux était épuisée après
une saison aussi longue qu’un jour de jeûne en juin à Reykjavik. Enfin, comme
l’a écrit l’affreux Joe Barton (un ancien joueur anglais) dans le quotidien L’Equipe, c’est aussi parce que leur
entraîneur, comme nombre de ses pairs anglais, n’a absolument pas le niveau
exigé pour une telle compétition. Et cela vaut aussi pour nombre de joueurs de
cette équipe. Le paradoxe est le suivant : le championnat de football
anglais, la « Premier League » est présenté comme le meilleur au
monde. Il y a débat sur ce point mais ce qui est sûr c’est que c’est aussi le
plus riche et celui qui attire le plus de talents étrangers. Grâce à des droits
de retransmission télévisée plus que conséquents, des clubs de bas de tableau
ont bien plus de moyens que de grandes formations françaises ou italiennes et
peuvent donc « acheter » n’importe quel joueur continental.
L’effet pervers de cette
situation est que les jeunes joueurs anglais ont du mal à percer. Il n’est pas
rare lors d’une compétition de la « Premier League » d’avoir
vingt-deux joueurs étrangers sur le terrain. Cela vaut aussi pour les
entraîneurs. Pendant la saison qui va débuter dans quelques semaines (eh oui,
madame, le foot à la télé, ça ne s’arrête presque jamais…), il ne sera question
que de Guardiola, Mourinho ou Wenger pour ne nommer que les plus connus. Le
football anglais est donc riche et pauvre à la fois. Mais les choses risquent
de changer.
Avec l’élimination de
l’Angleterre, les commentateurs et les réseaux sociaux s’en sont donnés à cœur
joie sur le thème du « second Brexit ». Après le vote en faveur de la
sortie de l’Union européenne suivait donc la sortie de l’euro de football. Ce
Brexit, quand il va se concrétiser, aura des conséquences sur le football anglais.
Le Royaume-Uni n’étant plus concerné par la libre-circulation des travailleurs
européens, les joueurs continentaux devront obtenir des permis de travail et on
peut penser que leur nombre va diminuer. Cela affectera certainement la qualité
du spectacle mais cela donnera leur chance aux joueurs du cru.
Et il faut se garder de
penser que le public anglais sera mécontent. En effet, nombre de fans ont
déserté depuis longtemps les gradins de la Premier League, mécontents des prix
pratiqués et de l’aseptisation des ambiances avec ces cohortes de touristes,
notamment asiatiques, qui paient leurs places au prix fort et qui suivent
sagement la rencontre en la filmant avec leur tablette. Les fans anglais suivent
désormais les rencontres de divisions inférieures où les joueurs locaux sont
plus nombreux (et où le « kick and rush » continue d’être la règle). On
a beaucoup parlé des causes du succès du vote en faveur du Brexit, et parmi
elles l’aggravation du sentiment anti-immigration. A cela, il faudrait ajouter
le courroux de milliers de supporters convaincus d’avoir été dépossédés de leur
football au profit d’une vision ultra-mercantile de ce sport. Et comme c’est
souvent le cas dans ce genre de contexte, ce n’est pas la critique de ce
système capitaliste débridé qui est faite (on en est arrivés au point où les
corps de certains joueurs sont parfois considérés comme des
« sociétés » dont les parts sont détenues par des investisseurs). Au
contraire, c’est malheureusement
la tentation xénophobe et du repli sur soi qui prévaut.
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