Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 décembre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Je me demande souvent si les femmes et les
hommes politiques sont vraiment persuadés qu’ils peuvent dire n’importe quoi
aux gens sans grands risques. Qu’ils peuvent leur assener tout et leur
contraire sans que cela porte à conséquence. Cela vaut aussi pour l’entourage
de ces personnalités publiques, autrement dit leurs conseillers censés être
aussi attentifs à l’image et au geste qu’au contenu du message délivré. Le
petit cirque communicationnel que vient de nous infliger le désormais
ex-premier ministre Manuel Valls pour se déclarer candidat à l’élection
présidentielle française motive ce genre d’interrogation.
Avant de s’intéresser aux mots, attardons-nous
quelques lignes sur cette scène, digne d’une publicité Benetton, où l’on a vu
Valls annoncer sa candidature en étant entouré de plusieurs personnes
d’origines diverses. Un beau tableau pluriculturel (ou multiethnique) qui
affiche un objectif évident. Valls entend représenter tous les Français à
commencer par celles et ceux des « quartiers ». Lui, qui en 2009,
trouvait qu’il manquait des « blancos » sur le marché de la ville
d’Evry s’est donc opportunément rappelé que les primaires à gauche ne se gagneront
pas sans le vote des français d’origines étrangères. On imagine sans peine la
préparation de ce grand moment et la composition de l’émouvante scène.
« Bon, il me faut un vieux, blanc, et à côté de lui, une arabe. Mettez ensuite
une gauloise et un asiatique. Zut, il nous manque un Noir ! Mais b…,
bougez-vous ! Trouvez-moi un Noir, jeune et avec des lunettes.
Vite ! »
Venons-on à l’un des propos du candidat.
« J’en ai assez de ces discours qui nous divisent, qui stigmatisent, là
nos compatriotes musulmans, là les réfugiés fuyant la guerre. » Voilà qui
est nouveau de la part de quelqu’un qui n’a jamais cessé de souffler sur les
braises de la division et de la stigmatisation. D’accord avec Jean-Pierre
Chevènement pour appeler les musulmans à plus de « discrétion »,
n’est-ce pas lui qui a manqué de retenue et de discernement dans la bien
pitoyable affaire du burkini ? N’est-ce pas lui qui, bien plus que son
ex-patron Hollande, a été l’un des fervents partisans de la déchéance de
nationalité ? Un dossier empoisonné qui a semé la division au sein de la
gauche et installé l’idée qu’à faute identique, les Français n’auront pas la
même sanction juridique selon leurs origines ?
Valls, qui récuse le terme d’islamophobie au
prétexte – argument très prisé par la droite, les chroniqueurs réacs et la
fachosphère – qu’il ferait le jeu des djihadistes et des salafistes, n’a pas
simplement ajouté sa voix au concert stigmatisant les personnes de confession
ou de cultures musulmanes. Il a aussi montré qu’il n’hésitait pas à s’emparer
de sujets très clivants au risque de semer encore plus la discorde. On a le
droit de penser ce que l’on veut du voile dans l’espace public mais balancer
des phrases comme « Marianne a le sein nu, elle n’est pas voilée »,
est-ce cela le propos d’un homme politique responsable, attentif à ne pas
ajouter du désordre au désordre ? Mais il y a plus grave. Alors qu’il
était en poste, l’ex-premier ministre semblait prêt à exiger l’interdiction du
voile à l’université. Encore une fois, on pense ce que l’on veut de cette
question, mais le fait même de vouloir ouvrir ce débat, dans le contexte que
l’on sait, montre à quel point cet homme peut facilement embraser la scène
nationale. Un peu à la manière d’un Nicolas Sarkozy qui ne s’embarrassait guère
de scrupules quand il s’agissait de diviser la société pour son seul profit
électoral.
La question que je me pose est de savoir si
Valls croit vraiment qu’il va faire oublier ses prises de position ?
Ignore-t-il que les réseaux sociaux ont de la mémoire et que la com’ et ses
artifices ne suffiront pas à dissiper les rancunes et la colère ? Cela
vaut d’ailleurs pour d’autres sujets. Valls veut, dit-il, rassembler la gauche.
Après avoir estimé qu’il existait deux gauches
« irréconciliables » ? Après avoir fait la chasse aux députés
frondeurs ? Après avoir usé et abusé de l’article 49.3 de la Constitution pour
imposer, sans vote au Parlement, des textes combattus par une partie de la
gauche ? Après avoir été le chef d’un gouvernement qui a fait ainsi adopter
la fameuse loi El-Komri, un texte qui aurait dû s’appeler loi Valls tant son
élaboration, au mot près, fut l’œuvre de l’ex-premier ministre et de ses
conseillers ? Résumons : Valls a gouverné contre une partie de la
gauche mais veut désormais ses voix
pour se faire élire afin de mener demain une politique qui ne sera
certainement pas en accord avec ce qu’attend cette même gauche. Quel
culot ! Quel toupet ! « M’ttalass ! »
dirait-on à Alger. « Chutzpah ! »
répondrait-on à New York.
Dans les prochains jours, Valls va peut être
réaliser qu’il n’a aucune chance de convaincre les déçus de sa politique qu’il
a changé ou, plus encore, qu’il peut changer. Il sera alors intéressant de voir
comment son discours va évoluer et s’il ne va pas remettre au goût du jour ses
propos sur l’islam. En tout état de cause, et même si le dégagisme et le « sortons les sortants » ne sauraient
tenir lieu de motivation politique pour l’électeur, il sera néanmoins agréable,
utile et prophylactique d’envoyer Valls rejoindre Sarkozy, Coppé et compagnie
dans la fosse des hors course pour le rendez-vous d’avril et mai 2017.
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