Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er décembre 2016
Akram Belkaïd, à Montréal
La dame blanche est annoncée pour la nuit. Voilà des jours qu’elle est attendue, guettée, ses effets anticipés peut-être même craints. Ici, ce sont des piquets et des balises qui ont été plantés le long des grands boulevards et des avenues. Là, on a posé de grands cylindres à la fluorescence orangée pour mettre en garde contre les dangers d’une ville à la chaussée déglinguée. Nids-de-poule, trous, graviers : autant de pièges urbains qui, inconscience ou volontarisme très nord-américains, n’ont pas dissuadé Montréal d’accueillir en juillet prochain un grand prix de formule E (voitures électriques). En attendant le printemps et la débâcle du Saint-Laurent, partout, ou presque, on a retiré les bornes pour vélos et fiché quelques panneaux interdisant le stationnement. Elle arrive… L’automne et sa douceur se terminent avant l’heure prévue.
La neige, donc, en sa première bordée. Radios, télés et
journaux reprennent les prévisions de MétéoMédia ou d’Environnement Canada.
Caprices et alternance d’El Niño et
de La Niña obligent, l’hiver sera dur
à Montréal, peut-être même plus dur que dans le reste de la (belle) province du
Québec. La neige, cet objet de conversations sérieuses au déjeuner matinal
comme au dîner (de midi…) ou au souper du soir. Sera-t-elle au rendez-vous,
empêchant un autre Noël vert ? Quand ? Bientôt ?
Combien (de centimètres) ? Frémissement général : le flocon est
dans tous les esprits. Pour le visiteur de passage, cette focalisation est
étonnante. Les gens du coin ne seraient-ils pas habitués ? On va devoir
réapprendre à vivre avec elle, disent-ils, passée la première surprise quand on
les interroge sur le sujet. Reprendre les bonnes habitudes qui permettent de
s’accommoder des trottoirs glissants, des routes encombrées et du froid
omniprésent. Sortir les bottes, les vêtements chauds, très chauds, les gants,
les anoraks en plumes d’oie achetés lors des dernières soldes du black Friday,
pardon, du vendredi noir (ou fou).
Au très petit matin, le silence. Une ruelle immaculée. Un
décor boulinant ou boulant. Neige molle, quelques
centimètres. Elle est donc bien
arrivée durant la nuit. Le crissement des pas, le halo vaporeux qui accompagne
la respiration. En profiter. Tout à l’heure, la faute aux voitures et à la
poussière accumulée au cours des mois, tout cela sera transformé en gadoue
grise ou en bouette noire. On avance
lentement, attentif aux expériences passées, comme celle qui nous vit confondre
une fine plaque de glace sombre recouvrant un caniveau inondé avec un bout de
trottoir. Pas de glissade mais de l’eau glacée (et sale) jusqu’au mollet.
Eternuements…
Marcher dans Montréal avec la neige qui botte au pied. Une première vision. A la station d’une sortie de
métro, une longue file humaine, disciplinée, très très disciplinée, en
apparence indifférente à la morsure du froid. Le vent s’est levé et la poudrerie fouette le visage – ce n’est
tout de même pas le blizzard - mais la queue est calme. L’attente tranquille
est la même dans d’autres endroits. Plus tard, dans la soirée, en écoutant les
nouvelles du jour, on apprendra qu’elle aura été longue. Prétextant ne pas
comprendre de nouvelles dispositions bureaucratiques, de nombreux chauffeurs de
bus ont tardé à prendre le volant. Douze des vingt-trois lignes perturbées.
Micro-trottoirs, colère (très mesurée) des usagers, élus municipaux (de
l’opposition) qui s’emportent, élus municipaux (de la majorité) qui
s’indignent, promesses de sanctions, gêne des syndicats. Première neige,
premières pagailles…
Poursuivre la marche. Observer les gens, leurs allures.
Incertaines pour les uns, rares, affirmées pour les autres, plus nombreux. Au
niveau du boulevard René Lévesque, à quelques centaines de mètres d’un premier
rendez-vous bien matinal, on est le témoin d’une scène étrange. Un camion, son
signal sonore strident et des ouvriers qui déposent des bandes de gazon et de
tourbe sur un terre-plein. Etonné, on se dit que c’est peut-être une procédure
normale, que l’herbe va pousser tranquillement sous la neige et on passe son
chemin. Le soir, toujours en écoutant les nouvelles, on apprendra que
l’opération – incongrue - a déclenché un mini-scandale. Colère des élus
municipaux (de l’opposition), gêne des élus municipaux (de la majorité) et
promesse de la mairie de ne pas allonger le moindre dollar à l’entrepreneur
pressé de boucler son chantier pour être payé. Première neige, premières berdasseries…
Le soir, encore, on prendra la mesure de l’importance de
l’événement. Sur les plateaux, on s’interroge. Cette neige
tiendra-t-elle ? A quand la prochaine ? Dans cinq jours prédisent les
experts à - ce qui semble être - la satisfaction générale. La neige comme
symbole de normalité, d’ordre logique des choses. Une matière médiatique
bienvenue pour évoquer les incidents de la journée, les voitures et leurs
sorties de route ou leurs pannes malvenues à l’entrée d’un échangeur. On
interroge les adeptes du pelletage comme sport matinal ou les ménages qui remettent
les souffleuses à l’entrée du garage. Lyrique, un commentateur du Journal de Montréal affirme que la
première neige est comme un premier amour. On l’attend longtemps, il n’en reste
rien mais on s’en souvient. Plus mesuré, l’un de ses confrères affirme que
c’est juste une leçon. Un échauffement, si l’on ose dire, ou un rappel à
l’ordre pour comprendre, bien comprendre, que la longue parenthèse hivernale a
bel et bien commencé.
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