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Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 novembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Tableau 1. Un trottoir. Au beau milieu, une
piste cyclable dont la couleur verte est censée avertir le piéton distrait
qu’il a intérêt à s’écarter. Oui, mais voilà, les habitudes sont ce qu’elles
sont. Il n’y a rien de plus imprévisible qu’un marcheur. Sans crier gare, tout comme
Emmanuel Macron, il peut se déporter vers la droite ou vers la gauche. Il peut
aussi s’arrêter de manière soudaine parce qu’il doit absolument lire le message
électronique qui vient de lui être notifiée sur l’écran de son téléphone dit
intelligent. Et le cycliste qui arrive lancé l’ignore ou feint de le faire.
Dans sa tête de sauveur de la planète, il considère qu’il est dans son bon
droit. Si Anne la mairesse lui a donné une piste cyclable, c’est qu’elle lui
appartient. A lui, et à lui seul (ce qui est faux si l’on s’en tient à la loi).
Et si un piéton y met les pieds sur cette belle piste, c’est une faute. Alors
notre Jalabert en casque et costume – d’autres mettent le gilet fluo -, fonce
en hurlant régulièrement des « dégage ! » impérieux.
Tableau 2. Une cohorte de marcheurs qui presse
le pas pour embaucher. La station de métro n’est pas loin. Encore un carrefour
et on y est. Le feu passe au rouge pour les voitures. On peut y aller. Le
réflexe hérité par des décennies de sécurité plus ou moins assurée dans les
clous fait qu’on peut foncer sans regarder du côté d’où viennent les voitures.
Mais c’est désormais risqué car le cycliste qui sauve la planète se fiche pas
mal des feux rouges. Il y va gaiement, se faufile, monte sur le trottoir au
besoin. Une dame s’emporte contre un vilain vélocipédiste qui vient de la
frôler. Il s’arrête, fait demi-tour, l’air menaçant. Vous avez grillé le feu
rouge et vous avez failli me percuter, lui tient tête la dame. Oui, mais je
vous ai vue et je ne l’ai pas fait, répond l’autre. La logique imparable, celle
de l’abruti. Mais un abruti qui sauve la planète, hein ?
Tableau 3. Autre réflexe qu’il va falloir
abandonner. Cela se passe dans une rue à sens unique. C’est certes une (petite)
faute, mais on traverse en dehors des clous car aucune voiture, ou aucun de ces
dizaines de milliers de scooters qui pullulent dans la ville, n’est à
l’horizon. Oui, mais voilà, dans la rue, les cyclistes (qui sauvent la planète)
ont désormais le droit de filer à contresens. Et comme c’est un vélo électrique
pour feignasses, on ne l’entend pas venir et il manque de nous tamponner. Il
nous évite en maugréant. On respire bien fort, on poursuit son chemin avec
quelques pensées amicales à destination d’Anne la mairesse qui a autorisé tout
ça.
Tableau 4. Droit comme un i, le gars est debout
sur sa trottinette, tout fier de lui. Elle file vite sa machine. Normal, elle
est électrique. La rue est en pente. On dira que ce zozo qui croit lui aussi
qu’il sauve la planète atteint les 20 kilomètres par heure. Que fait-il sur le
trottoir à cette vitesse (maximum autorisé 6 km/h) ? Rien d’autre que de
rouler là où c’est (encore) autorisé. La chaussée et le couloir de bus lui sont
interdits. Alors, il file sur le trottoir et tant pis pour le couple de vieux
qu’il effraie en le frôlant. Quelques dizaines de mètres plus tard, il
abandonnera l’engin comme on jette une poubelle. Normal, puisqu’il s’agit d’un
libre-service. On continue sa marche, un coin de rue, et en revoilà un autre.
Ou plutôt, une autre. Une dame, la cinquantaine, toute raide, les mains
accrochées au guidon de la trottinette. Madame, est-ce bien raisonnable ?
On se pose une autre question : Existe-il créature plus ridicule qu’un trottino-kokono, homme ou femme dévalant
une rue pavée sur une trottinette ? Ou sur un gyro, ces deux roues qui
donnent des airs de film de science-fiction à la ville ?
Tableau 4. Une avenue de Paris. Un soir de
semaine, une plongée dans le Paris des travaux avec ces affreuses barrières
métalliques vertes et grises que l’on voit partout. Circulation à l’arrêt ou
presque. A droite, le couloir réservé au bus et aux taxis ne sert à absolument
rien. Pourquoi ? D’abord, parce que des camionnettes de livraison y sont
garées. Tranquille, à l’aise, indifférent au désordre qu’il provoque, le gars,
barbu façon Kandahar, débarque ses palettes. Ensuite, à cause des Uber et
autres services de ce genre. Belle berline sombre, petit autocollant rouge
collé à la lunette arrière, feux de détresse allumés. Le client arrive,
portable dans une main, bagage roulant tiré de l’autre. Autour, ça crie, ça
insulte. Je ne peux pas m’arrêter ailleurs se justifie le Uber qui a une tête à
s’appeler Kouider.
Tableau 5. Comment rouler sur un boulevard où
le couloir de bus vous est interdit (surtout, ne pas y aller, des caméras de
surveillance veillent et font rentrer le pognon des amendes) ? Comment
rouler sur ce même boulevard quand, en son milieu et tous les cinquante mètres,
des engins ont creusé des tranchées entourées des fameuses barrières ?
Comment rouler sur ce même boulevard quand deux bus, oui deux, se sont percutés
au milieu de la chaussée, tous les deux ayant quitté en même temps leur
couloir, l’un pour éviter une trottinette (qui continue tranquillement sa
route) et l’autre, un automobiliste sorti un peu trop vite de son garage ?
Conclusion. Il faut marcher, dit-on, pour
conserver sa santé. D’accord, mais il faut ajouter quelques amendements à cette
règle de bon sens. Marcher, oui, mais avec un casque, des genouillères pour les
chocs avec les roues des vélos, et avec des chevillières renforcées pour les
chocs avec les trottinettes, électriques ou non, les skateboards et les gyros.
Des protections, donc. On peut aussi se munir d’une batte de baseball ou d’un
gourdin importé de Kabylie. Avec ça, on peut marcher tranquille sur n’importe
quelle piste cyclable.
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