Le Quotidien d’Oran, mercredi 30 janvier 2019
Akram Belkaïd, Paris
C’est un titre emblématique de la presse
française – voire européenne – qui est menacé de disparition. L’Humanité, le quotidien de Jean Jaurès,
115 ans d’existence en 2019, vient d’être placé sous la protection du tribunal
de commerce de Bobigny. En situation de cessation de paiement, le journal
continue de fonctionner via quelques mécanismes sociaux, notamment la caisse de
garantie des salaires. La direction du journal évoque de « lourdes difficultés financières ». Une souscription et
un appel aux dons ont été lancés pour permettre le maintien de la parution. Un
meeting de soutien est aussi prévu le 22 février prochain dans une salle à
Paris.
Un
déclin amorcé depuis longtemps
Les difficultés de L’Humanité ne sont pas isolées. De façon générale, c’est toute la
presse quotidienne française qui fait face à un déclin entamé au milieu des
années 1990. Le coût de la distribution est l’un des facteurs ayant alors pénalisé
cette presse avec une gestion plus ou moins opaque et monopolistique. A cela,
s’est ajouté l’apparition des « quotidiens » gratuits, des journaux
confectionnés avec un minimum de moyens et de matière – le plus souvent des
dépêches d’agences. L’idée, selon laquelle les gratuits n’attireraient que
celles et ceux qui n’avaient pas l’habitude de lire la presse s’est avérée
fausse. Le lectorat habituel de journaux payants a bel et bien été
« cannibalisé ». De même, l’idée selon laquelle ces gratuits
encourageraient leurs lecteurs à monter ensuite en gamme et à lire des journaux
payants s’est avérée totalement infondée.
Mais le coup de grâce est arrivé avec Internet
et le développement de l’information en continu. Les actualités diffusées
notamment par Google, la gratuité des « news » et leur caractère
instantané ont eu un impact négatif sur la distribution de la presse
quotidienne. Certains journaux essayent de résister et développent des
stratégies numériques ambitieuses destinées à compenser l’érosion de leur
distribution « papier ». Mais L’Humanité
n’a pas la même base de lectorat potentiel que Le Monde ou Le Figaro. De
même, les stratégies développées pour attirer des abonnés papier demeurent
dépendantes du renouvellement de ces derniers. Autrement dit, c’est une course
permanente pour « garder » l’abonné (et cela peut revenir à dépenser
beaucoup d’argent pour le faire).
En ces temps de grande contestation sociale,
on pourrait penser que L’Humanité,
journal résolument à gauche et engagé, pourrait attirer de nouveaux lecteurs.
Le raisonnement a du sens d’autant que « L’Huma » a été de nombre de
mobilisations ces dernières années (à commencer par un soutien toujours franc à
la cause palestinienne). Mais les temps ont changé. Dans certains quartiers, il
faut faire un kilomètre pour trouver un vendeur de journaux. Les fameux
kiosques parisiens disparaissent peu à peu et la vente à la criée de L’Humanité dimanche ne suffit pas à
attirer de nouveaux lecteurs. Et, mais c’est une banalité que de le rappeler,
les jeunes générations ne connaissent que l’écran. Pour elles, acheter un
journal, eut-il une histoire aussi prestigieuse que celle de L’Humanité, ne fait pas partie des codes
habituels.
Lire,
un acte militant
L’Humanité va probablement obtenir un sursis notamment grâce à la mobilisation de
ses lecteurs et de bénévoles. Cela laisse entrevoir une réalité qui est déjà
là : acheter et lire un journal, le soutenir par des dons, constituent
désormais des actes militants en faveur du pluralisme et de la démocratie.
Après L’Huma, d’autres journaux, on pense notamment à Libération, vont connaître la même situation surtout quand leurs
actionnaires décideront de cesser de les financer à fonds perdus. Les lecteurs
devront alors consentir des dépenses supplémentaires pour les soutenir. Cela
changera forcément la perception que l’on se fait de la presse écrite.
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