Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 8 février 2019

La chronique du blédard : Un Algérien de droite, réac, ça peut exister ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 février 2019
Akram Belkaïd, Paris

A la fin des années 1980, je suis tombé un jour sur un ancien journaliste d’Algérie-Actualité qui me tint un discours plutôt déroutant. Reconverti dans la communication et le démarchage publicitaire, il se lança dans une longue diatribe contre ses ex-collègues et confrères, les qualifiant de « staliniens patentés », de « gauchistes notoires », de « communistes radicaux », de « trotskystes déguisés » ou de « pagsistes sectaires » (comprendre des militants du Parti de l’avant-garde socialiste ou Pags). Il leur en voulait de l’avoir fait taire pendant des années et de l’avoir empêché de défendre ses idées (néo)libérales. Très fier de lui, il me tint un discours à la gloire des économistes Milton Friedman et Arnold Harberger dont il espérait voir les idées triompher en Algérie.

En l’écoutant, j’ouvrais de grands yeux, un peu comme si je venais de rencontrer un extra-terrestre ou un compatriote ayant préféré passer sa journée à la plage plutôt que de suivre la fameuse rencontre de football entre l’Algérie et la RFA. Au bout d’un moment, je lui fis remarquer que Friedman avait surtout inspiré les fameux Chicago Boys, ces économistes dont s’entoura le général Pinochet après son coup d’État contre Salvador Allende. Cela ne le perturba guère. Au contraire, il loua les mérites économiques du boucher de Santiago. La chose était claire, j’avais un Algérien de droite, voire d’extrême-droite devant moi et, période d’ouverture démocratique oblige, il pouvait enfin s’en vanter et défier les « gauchos » dont il avait subi l’implacable dialectique progressiste et unanimiste (notons au passage que, quelques mois plus tard, en 1992, après les fameuses élections que-vous-savez, ce furent des gens de « gauche » qui basculèrent dans l’éradicalisme – pardon pour ce néologisme – le plus droitier et le plus intolérant).

J’ai repensé à cette histoire avec les dernières péripéties du feuilleton Kamel Daoud et les Algériens. Daoud écrit régulièrement dans le très droitier hebdomadaire français Le Point – celui où est publié le bloc-notes de l’ineffable Bernard-Henry Levy (BotulHL). L’un de ses derniers textes, consacré au Venezuela, a mis en rogne nombre de lecteurs algériens car il y flingue allègrement Hugo Chavez et le guevarisme (1). L’écrivain et acteur Chawki Amari y a vu un motif de rupture avec Daoud et l’a fait savoir (2). Les réseaux sociaux se sont enflammés, les uns étant pour l’autre et les autres étant pour l’un. Un « débat » wanetoutriste, un peu du genre « toi t’es Ronaldo (époque Madrid) mais moi je suis Messi  : on ne pourra donc jamais s’entendre. »

On a le droit de ne pas être d’accord avec Daoud et de le lui faire savoir. La politique est une chose sérieuse et les idées doivent être défendues pied à pied. Comme expliqué dans une chronique le concernant, prendre position sur un sujet, c’est prendre des coups (3). Mais, ce qui est intéressant dans l’affaire c’est de voir que nous avons encore du mal à accepter l’idée qu’il puisse exister des Algériens qui expriment autre chose qu’une pensée de gauche, révolutionnaire, tiers-mondiste ou postcoloniale. Nous en sommes encore au point où le fait d’être Algérien nous impose à tout un chacun l’obligation d’aimer la révolution, le peuple, l’anti-impérialisme et le progressisme d’antan.

Mais l’Algérie indépendante est bientôt sexagénaire. Ses enfants ont peut-être désormais le droit de défendre les idées qu’ils veulent sans se sentir attachés à une quelconque fidélité héritée de combats passés. Ils peuvent, si telle est leur sincère conviction, préférer Fulgencio à Fidel, Somoza à Sandino, Pinochet à Allende, Batista à Castro, Videla – Banzer – Stroessner et Bordaberry (que des gens bien) au Che, Condor au bolivarisme, Vidiadhar Surajprasad Naipaul ou Bernard Lewis à Edward Saïd, la privatisation des ressources publiques au postlibéralisme, le FMI à la Cnuced, le pragmatisme au primitivisme, un « président » autoproclamé à un président élu, le dépeçage de la Sonatrach, de la Pemex ou de PDVSA à des programmes sociaux qui, vaille que vaille, sortent des gens de la pauvreté et ainsi de suite… Ils peuvent aussi ne pas se sentir solidaires des combats arabes et n’y voir que des « injonctions racialistes » (expression d’une internaute que je me permets de reprendre).

Grand bien leur fasse. Pourtant, réfléchissons un peu et convenons que le mieux serait de se dire que personne n’est obligé de penser comme ci ou comme cela parce qu’il est né ici ou là. Mais une fois qu’on a dit cela, alors allons-y gaiement pour la castagne. Pour défendre ses idées, pas pour s’en prendre à la transgression qui serait de ne pas penser comme on serait en droit de l’exiger d’un Algérien. Par exemple, Boualem Sansal, grand spécialiste du « moi je ne pense pas comme mon peuple », confie à qui veut l’entendre ses élans affectifs à l’égard d’Israël. Plutôt que de l’insulter (et de se décrédibiliser), montrons-lui autant de fois qu’il le faudra à quel point il se trompe ; à quel point aucun des arguments qu’il avance ne tient la route et qu’il est dommage que sa notoriété en Occident ne serve pas à défendre les droits des Palestiniens (on peut toujours rêver…).

Dans tout cela, le maître mot est la sincérité des opinions exprimées ici et là. Dans un texte au vitriol, Omar Bendera ancien banquier, affirme que nombre de nos intellectuels et écrivains encensés en France sont une fabrication politique (4). Là aussi, le texte a provoqué acclamations et insultes. Des réactions binaires qui empêchent un vrai débat. Bendera n’a pas (totalement) tort. Comment peut-on nier que le système médiatico-éditorial français a ses cahiers des charges, ses exigences, ses figures imposées, ses contraintes commerciales ? Et qu’il privilégiera toujours ce qui coïncidera avec ses présupposés ?

Les mis en cause se disent quant à eux droits dans leurs bottes et dénoncent des cabales à leur encontre. Leurs thuriféraires qui font d’eux « la » vérité, parfois sans même les lire, et pour qui la vie intellectuelle se résume à une sorte de hit-parade, n’ont qu’un seul argument : les critiques relèveraient de la seule jalousie. La sagesse commande de prendre acte de la revendication de sincérité de ces « stars » algériennes de l’édition hexagonale. Mais il faut alors leur signifier une chose. Tout comme un flux continu de critiques incendiaires et de mises en causes est contreproductif, un flot d’éloges sans le moindre accroc, sans la moindre confrontation avec le système dominant doit constituer pour eux un signal d’alarme.

(1) « Je ne rêve pas d’être vénézuélien », 31 janvier 2019.
(2) « Hasta la Vista », page Facebook de l’auteur, 2 février 2019.
(3) La chronique du blédard : Ecrire, c'est s'exposer (du moins à ses pairs), Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 février 2016.
(4) « La résidence très politique d’un écrivain algérien », Algeria-Watch, 4 février 2019
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