Le Quotidien d’Oran, jeudi 28
février 2019
Akram Belkaïd, Paris
Il n’est pas simple de réagir à
chaud aux récents événements qui ont vu des centaines de milliers d’Algérie
manifester de manière pacifique contre un éventuel cinquième mandat du
président Abdelaziz Bouteflika. Disons d’abord que ce « réveil »
était espéré et très attendu. On sentait bien que cette humiliation consistant
à imposer, à tout un peuple, un homme aussi diminué ne pouvait passer. Mais on
se disait aussi que l’habituelle prudence des Algériens risquait encore de
favoriser l’immobilisme. Cela n’a donc pas été le cas. Le 22 février restera la
date du réveil, un premier pas vers d’autres acquis n’en déplaise aux
partisans, très intéressés, du statu quo, de la « stabilité » et
autres fariboles destinées à faire en sorte que la makla et la curée se poursuivent.
Un jeune né en 2000 n’a connu que
les présidences d’Abdelaziz Bouteflika. Par contre, il n’a pas connu les années
1990 même si on lui en a beaucoup parlé. Aujourd’hui, à dix-neuf ans, il est
donc moins sensible que ses aînés au discours sur le retour de la fitna et autres pauvres arguments
avancés par les enrôlés du cinquième mandat. Le temps a donc fait son œuvre. Thierry
Brésillon, un confrère français basé à Tunis m’a d’ailleurs fait remarquer que,
de façon générale, les Algériens attendent une génération, ou vingt-cinq ans
avant de signifier que leur patience est à bout. Entre 1962 et 1988, ce fut une
période de latence plus ou moins calme de 26 ans. Et entre 1992 et 2019, on
compte aussi 27 années de retenue.
Bien entendu, cette constatation
mérite d’être affinée. Entre 1962 et 1988, l’Algérie a connu des moments
d’embrasement annonciateurs d’Octobre. Je pense, par exemple, au printemps
berbère de 1980 ou aux émeutes de Constantine en 1986. De même, on peut dire
que la « décennie noire » ne pouvait permettre aux Algériens de s’en
prendre au système même si, là encore, la Kabylie a montré l’exemple avec le
terrible printemps noir de 2001. Mais dans tous les cas, on relève que la
confrontation a toujours été violente et que, d’une certaine manière, cette
violence a servi le régime qui a su en tirer des arguments pour sa propagande. Cette
fois, chose nouvelle, les manifestations contre le cinquième mandat ont été
pacifiques dans leur grande majorité. Pourvu que cela dure car, il nous faut
insister là-dessus, le pouvoir algérien n’est jamais aussi à l’aise que
lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser une violence qui serait exercée contre lui.
Il est évident que le fond du
problème n’est pas le seul cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Cette
triste affaire d’un homme malade que l’on cherche à maintenir à tout prix au
pouvoir est révélatrice d’un mal bien plus profond. L’Algérie est un pays
sclérosé qui a un besoin urgent de se régénérer et de changer de système. Dire
cela, revient certes à enfoncer des portes ouvertes. Nous savons tous que le
pays est en échec. Échec de développement, échec de projet de société, échec de
modèle économique mais aussi échec de représentativité politique.
Comment enclencher le
changement ? Comment arriver à passer à l’étape suivante sans avoir à le
faire en s’asseyant sur des décombres ? C’est toute la question de la
transition. Durant des années, au fil des chroniques, je n’ai eu de cesse de
relayer l’idée que la meilleure des transitions est celle qui est négociée, pas
à pas, entre un pouvoir finissant et de nouveaux acteurs politiques. Il s’agit
de la solution idéale voire miraculeuse car elle sous-entend l’idée que le
pouvoir algérien serait soudainement d’accord pour faciliter la mutation du
pays vers une deuxième république, puisque c’est cela qui est jeu.
Or, et les récents événements le
montrent encore, ce pouvoir n’a aucune intention de permettre le changement.
S’il en est arrivé à vouloir imposer un cinquième mandat, c’est parce qu’il infantilise
et méprise le peuple algérien et qu’il ne lui concèdera rien. Comment alors
l’amener à céder ? On l’a dit, la violence serait la pire des options.
Reste donc la protestation pacifique et, surtout, le refus de la normalisation
si, d’aventure, quelques concessions mineures sont faites.
Autre question sensible :
qui peut et doit faire face au pouvoir ? Un embryon d’opposition organisée
– et non compromise – existe déjà. Mais il est encore difficile de se faire une
idée de qui est capable de relayer les attentes de la population. Pour un
certain nombre d’Algériens, le danger réside dans le fait de voir les
islamistes tirer profit de la situation. Il est plus que probable que ce
courant politique saura s’organiser plus rapidement que d’autres. Mais cela ne
doit pas dissuader le reste de la population de parier sur la politique et
l’engagement. En admettant que le pouvoir accepte un jour de se retirer – ce
qui est très loin d’être joué – le pire qui pourrait arriver serait de
reproduire l’erreur égyptienne de 2011 qui vit des dizaines de milliers de
jeunes se désintéresser de la politique quelques semaines à peine après le
départ du président Hosni Moubarak.
Autrement dit, nous n’avons pas
d’autre choix que celui de la concertation, du dialogue et du débat d’idées
pour favoriser l’émergence d’une vraie action politique. A défaut, le pays
continuera de faire du surplace.
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