Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 1 mars 2019

La chronique du blédard : Un éveil algérien

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 28 février 2019
Akram Belkaïd, Paris

Il n’est pas simple de réagir à chaud aux récents événements qui ont vu des centaines de milliers d’Algérie manifester de manière pacifique contre un éventuel cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Disons d’abord que ce « réveil » était espéré et très attendu. On sentait bien que cette humiliation consistant à imposer, à tout un peuple, un homme aussi diminué ne pouvait passer. Mais on se disait aussi que l’habituelle prudence des Algériens risquait encore de favoriser l’immobilisme. Cela n’a donc pas été le cas. Le 22 février restera la date du réveil, un premier pas vers d’autres acquis n’en déplaise aux partisans, très intéressés, du statu quo, de la « stabilité » et autres fariboles destinées à faire en sorte que la makla et la curée se poursuivent.

Un jeune né en 2000 n’a connu que les présidences d’Abdelaziz Bouteflika. Par contre, il n’a pas connu les années 1990 même si on lui en a beaucoup parlé. Aujourd’hui, à dix-neuf ans, il est donc moins sensible que ses aînés au discours sur le retour de la fitna et autres pauvres arguments avancés par les enrôlés du cinquième mandat. Le temps a donc fait son œuvre. Thierry Brésillon, un confrère français basé à Tunis m’a d’ailleurs fait remarquer que, de façon générale, les Algériens attendent une génération, ou vingt-cinq ans avant de signifier que leur patience est à bout. Entre 1962 et 1988, ce fut une période de latence plus ou moins calme de 26 ans. Et entre 1992 et 2019, on compte aussi 27 années de retenue.

Bien entendu, cette constatation mérite d’être affinée. Entre 1962 et 1988, l’Algérie a connu des moments d’embrasement annonciateurs d’Octobre. Je pense, par exemple, au printemps berbère de 1980 ou aux émeutes de Constantine en 1986. De même, on peut dire que la « décennie noire » ne pouvait permettre aux Algériens de s’en prendre au système même si, là encore, la Kabylie a montré l’exemple avec le terrible printemps noir de 2001. Mais dans tous les cas, on relève que la confrontation a toujours été violente et que, d’une certaine manière, cette violence a servi le régime qui a su en tirer des arguments pour sa propagande. Cette fois, chose nouvelle, les manifestations contre le cinquième mandat ont été pacifiques dans leur grande majorité. Pourvu que cela dure car, il nous faut insister là-dessus, le pouvoir algérien n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser une violence qui serait exercée contre lui.

Il est évident que le fond du problème n’est pas le seul cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Cette triste affaire d’un homme malade que l’on cherche à maintenir à tout prix au pouvoir est révélatrice d’un mal bien plus profond. L’Algérie est un pays sclérosé qui a un besoin urgent de se régénérer et de changer de système. Dire cela, revient certes à enfoncer des portes ouvertes. Nous savons tous que le pays est en échec. Échec de développement, échec de projet de société, échec de modèle économique mais aussi échec de représentativité politique.

Comment enclencher le changement ? Comment arriver à passer à l’étape suivante sans avoir à le faire en s’asseyant sur des décombres ? C’est toute la question de la transition. Durant des années, au fil des chroniques, je n’ai eu de cesse de relayer l’idée que la meilleure des transitions est celle qui est négociée, pas à pas, entre un pouvoir finissant et de nouveaux acteurs politiques. Il s’agit de la solution idéale voire miraculeuse car elle sous-entend l’idée que le pouvoir algérien serait soudainement d’accord pour faciliter la mutation du pays vers une deuxième république, puisque c’est cela qui est jeu.

Or, et les récents événements le montrent encore, ce pouvoir n’a aucune intention de permettre le changement. S’il en est arrivé à vouloir imposer un cinquième mandat, c’est parce qu’il infantilise et méprise le peuple algérien et qu’il ne lui concèdera rien. Comment alors l’amener à céder ? On l’a dit, la violence serait la pire des options. Reste donc la protestation pacifique et, surtout, le refus de la normalisation si, d’aventure, quelques concessions mineures sont faites.

Autre question sensible : qui peut et doit faire face au pouvoir ? Un embryon d’opposition organisée – et non compromise – existe déjà. Mais il est encore difficile de se faire une idée de qui est capable de relayer les attentes de la population. Pour un certain nombre d’Algériens, le danger réside dans le fait de voir les islamistes tirer profit de la situation. Il est plus que probable que ce courant politique saura s’organiser plus rapidement que d’autres. Mais cela ne doit pas dissuader le reste de la population de parier sur la politique et l’engagement. En admettant que le pouvoir accepte un jour de se retirer – ce qui est très loin d’être joué – le pire qui pourrait arriver serait de reproduire l’erreur égyptienne de 2011 qui vit des dizaines de milliers de jeunes se désintéresser de la politique quelques semaines à peine après le départ du président Hosni Moubarak.

Autrement dit, nous n’avons pas d’autre choix que celui de la concertation, du dialogue et du débat d’idées pour favoriser l’émergence d’une vraie action politique. A défaut, le pays continuera de faire du surplace.
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