-->
Le Quotidien d’Oran, jeudi 21 mars 2019
Akram Belkaïd, Paris
« Ne
fais pas de ton impatience, un argument ». Ce conseil
paternel, je l’ai souvent entendu à l’adolescence ou en tant que jeune adulte.
Dans un pays comme l’Algérie où tout est question d’attente et de persévérance,
cela compte comme façonnage. Et ce conseil trotte de nouveau dans ma tête
depuis plusieurs jours, depuis que le peuple algérien dans sa grande majorité
attend du régime qu’il dégage. Attente, hélas, qui reste vaine. Car le temps
passe et les manœuvres dilatoires se multiplient. Pourtant, les choses sont
claires. De partout, fusent les mêmes mots d’ordre. Ils sont sans aucune
ambiguïté, ils ne supplient pas, ils ne quémandent pas un peu de liberté, une
poignée de devises ou un quignon de pain, de la semoule ou de l’huile. Ils
veulent le changement, le vrai. Ils exigent, oui, ils exigent, que Abdelaziz
Bouteflika s’en aille au terme de l’actuel mandat. Qu’une transition s’engage.
L’heure n’est donc pas aux tergiversations, aux revendications à minima. Et
pourtant…
On voit bien que le clan présidentiel ne veut
rien lâcher. Il joue la montre, cette bonne vieille stratégie éprouvée depuis
des décennies. Il lui faut occuper le terrain (médiatique, à défaut du vrai),
faire semblant et même improviser. À ce sujet, la capacité de nos dirigeants à
s’inventer une réalité parallèle est toujours aussi saisissante. La rue tonne,
des gens qui jusque-là se tenaient à l’écart de la politique se lancent eux
aussi dans la contestation, des cachiryatines
de toujours s’écharpent entre eux et s’apprêtent à leur emboîter le pas, le
nombre des manifestants s’approche peu à peu du quart de la population, mais,
rien ne bouge et la tentative d’enfumage se poursuit comme si de rien n’était.
Tout va très bien monsieur le Bey…
En avant donc la gasba et le bendir ! Flûte
et tambourin. Comme on essayerait d’endormir ou d’impressionner un enfant, on
nous parle d’un gouvernement en cours de constitution – alors qu’on s’en tape
-, de consultations pour la conférence nationale – alors qu’on s’en tape-, de
démarches « inclusives » - alors qu’on s’en retape. Le moufid, l’essentiel, ce qui est attendu, c’est l’annonce du départ
et l’abandon de ce projet scandaleux de quatrième mandat prolongé qui va à
l’encontre de cette pauvre Constitution qui ne cesse d’être piétinée. De son
côté, le vice-premier ministre s’en va faire un tour à Moscou et obtient de ses
interlocuteurs qu’ils mettent en garde contre une déstabilisation de l’Algérie.
La ficelle est grosse mais, sait-on jamais, des admirateurs de Vladimir Poutine,
et il y en a chez nous (hélas…), pourraient se dire que puisque les Russes le
disent, c’est donc vrai. L’histoire retiendra que c’est un représentant du
pouvoir qui, le premier, a sollicité une ingérence étrangère dans une affaire
algéro-algérienne.
La tactique est connue : endormir les
uns, faire peur aux autres en attendant les deux autres axes d’une stratégie
éprouvée sous d’autres latitudes : provoquer et réprimer. Tant de mauvaise foi,
tant de désinvolture à l’égard de la volonté populaire n’est pas chose
innocente. Il s’agit d’éprouver la patience des Algériens, de faire remonter à
la surface cette colère sourde que l’on sent parfois pointer dans les
déclarations des gens et que le pouvoir aimerait bien voir se transformer en
torrent dévastateur. Un dicton algérien dit E’ssamet
yerbah el qbih. Difficilement traduisible, il indique que le ssamet, celui qui ne lâche rien, le
fâcheux qui insiste, y compris lourdement, autrement dit l’opiniâtre zélé, le
collant, le ssamet donc, l’emporte
toujours sur le qbih, le vilain, le
moche, le méchant, l’insupportable. Ce que cherche le pouvoir, c’est à
transformer le peuple algérien en qbih.
Voilà le piège.
Ce qui me frappe depuis le 22 février dernier,
date historique s’il en est, c’est la persistance de cette morgue dont ont
toujours fait preuve nos dirigeants quand ils s’adressent au peuple. Je
n’oublierai jamais le discours télévisé de Chadli Bendjedid après la tuerie
d’Octobre 1988. Le cynisme et le mépris furent tels que les services furent
obligés de répandre la rumeur qu’il aurait eu du mal à s’exprimer en raison de
sanglots lui nouant la gorge. Festi… Du
pipeau. Et là ça continue. On flatte le peuple, on le félicite comme on le
ferait avec un sale garnement parce qu’il se comporte bien pendant les
manifestations mais on s’empresse de lui faire comprendre qu’il ne faut pas
dépasser certaines lignes, qu’il est des choses qu’il serait incapable de
comprendre.
La patience des Algériens est admirable. Voilà
un peuple qui a toutes les raisons de tout arracher, de tout casser. Que de
mensonges, que de trahisons, que de promesses jamais tenues. Feu Kateb Yacine
disait avec colère et amertume que le peuple algérien « marche avec un couteau dans le dos depuis l’indépendance ».
Aujourd’hui, il marche encore en gardant son calme et sa raison. Silmiya : pacifique. On définit
souvent l’Algérie par cette phrase lapidaire : Un pays riche mais un
peuple pauvre. Il y a une autre définition qui s’impose désormais : un
peuple qui vaut bien mieux que ceux qui le dirigent.
_
1 commentaire:
Quel peuple admirable et si plein de vertus !!
Mais d'ou viennent les dirigeants de ce pays ? d'une autre planète ? Bien sur que non. Il sont le pur produit de son peuple.
L'Algérie ira mieux le jour ou son peuple osera se regarder tel qu'il est . Pas avant !!
Enregistrer un commentaire