Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 mai 2019
Akram Belkaïd, Paris
En mars 1992, feu Mohamed Boudiaf, alors
président du Haut comité d’État (HCE) fit une étrange déclaration. Il déclara
qu’il peinait à trouver soixante hommes ou femmes dignes de la nazaha (intégrité) et de la kafa’â (compétence) exigées pour faire
partie du Conseil consultatif national (CCN). Pour mémoire, cette institution
fut créée après la démission forcée du président Chadli Bendjedid, la
dissolution de l’Assemblée nationale sortante et l’annulation des élections
législatives dont le premier tour avait enregistré la victoire de l’ex-Front
islamique du salut (FIS). Le CCN devait donc servir de parlement de
substitution en attendant le retour aux urnes.
A l’époque, les Algériens étaient près de 26
millions et le propos de Mohamed Boudiaf fit beaucoup de bruit. Comment
était-il possible de ne pas trouver cette soixantaine de personnalités ?
Même enfoncée dans la crise et fortement endommagée par plus d’une décennie de
« chadlisme », l’Algérie ne pouvait manquer à ce point de compétences
intègres. En réalité, la difficulté qui s’était posée à celui qui fut rappelé
pour donner une légitimité historique aux « janviéristes » concernait
la nécessité de trouver soixante personnes adoubées par le système et peu
susceptibles remettre en cause ce dernier.
C’est à cela que j’ai pensé en lisant le récent
discours (20 mai) du général Ahmed Gaïd Salah. Ce dernier s’est donc étonné de,
je cite « l’absence flagrante des
personnalités nationales, des élites et des compétences nationales face aux
événements et évolutions accélérés que connait notre pays et qui requièrent des
propositions constructives à même de rapprocher les points de vue divergents. »
Quelques heures plus tard, les partis membres de l’ex-alliance présidentielle
se sont soudainement réveillés en clamant leur soutien à la démarche du chef
d’état-major de l’armée. Le Front de libération nationale (FLN), le
Rassemblement national démocratique (RND), le Tadjamou Amel Al Djazaïr
(Rassemblement de l'Espoir de l'Algérie ou TAJ) et le Mouvement populaire
algérien (MPA) sont donc pour l’organisation d’une élection présidentielle le 4
juillet prochain. La belle surprise…
On avait presque fini par oublier ce quatuor
du cachir qui, il y a encore quelques semaines, nous expliquait pourquoi
l’Algérie avait tant besoin d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Par
la suite, la force incarnée par le hirak, l’incroyable élan populaire qui fait
vibrer l’Algérie depuis le 22 février dernier et les arrestations de quelques
membres de l’ancien clan présidentiel ont fait taire ces boîtes à échos
officiels. L’impasse dans laquelle s’est engagé le chef d’état-major en ne
voulant pas entendre parler d’une transition longue leur fournit une occasion
inespérée de reprendre du service. Pour eux, ce sera le soutien sans failles à
la « feuille de route » du 4 juillet.
Deux images me viennent à l’esprit. En premier lieu, un vivier. Immense et eaux
claires. Depuis le 22 février dernier, il est difficile de tout suivre. De tout
lire. Des textes circulent. Des initiatives sont lancées. Des livres paraissent
déjà. Il ne s’agit pas simplement de récits ou de glorifications du hirak. Il y
a des propositions de sortie de crise. Des plaidoyers pour l’organisation d’une
transition consensuelle plus longue (regardons ce que font les Soudanais) et
négociée. Les réseaux sociaux voient arriver chaque jour des textes, des
motions et des articles. En un mot, c’est une part, infime, de la richesse
intellectuelle de l’Algérie qui se révèle.
En second lieu, un marigot. Eaux troubles de
la pensée frelatée et des incantations creuses qui ne convainquent personne,
pas même celles et ceux qui en sont les auteurs. Habitués à lever le bras selon
l’ordre venu du haut, rien de bien dangereux pour le système n’émanera d’eux.
Hier, Abdelaziz Bouteflika représentait, selon eux, la « stabilité ».
Aujourd’hui, les élections du 4 juillet renforcent la « continuité des
institutions » et le « respect de la Constitution ». Ce texte
qu’ils n’ont jamais respecté.
Contrairement à ce que prétend le général
Ahmed Gaïd Saleh, des voix se font entendre en Algérie. Des gens compétents
disent non à l’élection présidentielle du 4 juillet. Est-ce si difficile des
les entendre ? Certes, et ceci explique certainement cela, ils ne sont pas
issus du système. Ce qui est flagrant, c’est que le régime refuse d’écouter
tout discours qui lui déplaît. Ce qui est flagrant, c’est le refus d’accepter
des discours et des propositions qui ne relèvent pas de l’habituelle
flagornerie du désormais quatuor du cornedbeef. Ce qui est flagrant, c’est que hirak
ou pas, les mêmes habitudes persistent. Pour être entendu, ou pour être pris en
considération, il faut en être.
Le vice-ministre de la défense a beaucoup
parlé de ‘içaba (la bande) qui
évoluait autour du président Bouteflika. Mais c’est un autre mot qui s’impose.
La ‘açabiya, si bien décrite par Ibn
Khaldoun et dont le sens négatif désigne le clanisme, est ce qui décrit bien le
prérequis majeur pour avoir voix au minbar. Si le général Gaïd Salah veut que
le meilleur sorte des circonstances actuelles, il doit accepter l’idée que des
Algériens, qui ne sont pas moins patriotes que lui, puissent avoir un avis
totalement différent du sien. Et que c’est leur avis que défendent des millions
d’Algériennes et d’Algériens qui ne cessent de défiler et de s’exprimer depuis le
22 février dernier.
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