Le Quotidien d’Oran, jeudi 30 mai 2019
Akram Belkaïd, Paris
Il est des moments où l’accablement le dispute
à la tristesse avant qu’une colère froide ne reprenne le dessus. Cela a été
écrit dans cette chronique et cela le sera autant de fois que cela sera
nécessaire : le système qui préside aux destinées de l’Algérie est profondément
toxique. Et s’il en fallait une preuve supplémentaire, la mort en détention du
docteur Kamel Eddine Fekhar, au terme d’une grève de la faim de 50 jours (!),
en est une et cela sans la moindre contestation. Dans l’Algérie de 2019, dans
cette Algérie où le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah appelle « au dialogue »
et « aux concessions », on peut mourir en prison pour délit d’opinion. Dans
l’Algérie de 2019, la mort de Kamel Eddine Fekhar, notre Bobby Sands, est une
tache indélébile sur les oripeaux déjà souillés de notre système judiciaire.
Les responsables qui sont directement derrière
l’incarcération du militant défunt sont les premiers coupables. Mais ils ne
sont pas les seuls. C’est tout ce système dont les Algériens ne veulent plus
qui s’est montré tel qu’il a toujours été et tel qu’il est encore. Un système
capable de tout et notamment du pire. Un système peuplé de brutes qui n’ont
aucun respect pour les droits les plus élémentaires de la personne humaine.
C’est ce système qui encourage et couvre des actes tels que le passage à tabac
de Ramzi Yettou, mort à 22 ans des blessures infligées par des policiers armés
de matraques. C’est ce système qui ne veut pas entendre les appels du peuple
qui refuse l’élection présidentielle du 4 juillet. C’est ce système qui
emprisonne Louisa Hanoune au mépris du droit parce qu’elle a eu l’heur
d’évoquer les dérives affairistes de l’entourage d’Ahmed Gaïd Salah.
La Révolution est loin d’être terminée.
Peut-être même n’a-t-elle pas encore commencé. Oui, bien sûr, l’abandon du
cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika est une victoire mais c’est aussi un
simple ajustement du système. Si on meurt en Algérie parce que l’on a émis une
opinion déplaisante pour le pouvoir, alors cela veut dire que le chemin est
bien plus long qu’on ne le pensait. Et si Kamel Eddine Fekhar est mort dans ces
circonstances terribles, cela signifie aussi que d’autres contestataires
risquent de subir le même sort. Le message est très clair et l’avertissement
émis par le système n’est pas à prendre à la légère. Je conjure celles et ceux
qui s’engagent et s’exposent d’avoir cela en tête. L’euphorie que procure le
hirak est une belle chose mais attention à la perte de lucidité. Attention aux
déprédateurs qui frétillent d’impatience en espérant pouvoir passer à l’action.
Contrairement à ce qu’espérait Ahmed Gaïd Salah, le mouvement populaire, le
hirak donc, n’a pas perdu de son élan. La présidentielle n’aura pas lieu le 4
juillet prochain ou bien alors elle opposera deux anonymes ce qui ridiculisera à
jamais le pays. C’est un échec cuisant pour le chef d’état-major. Voilà
pourquoi la situation est plus que jamais dangereuse.
En effet, quand le système algérien est dans
l’impasse, il ne sait faire qu’une seule chose : provoquer la violence et
cogner. La mort de Kamel Eddine Fekhar n’est pas un accident. On l’a laissé
mourir de manière délibérée. Pour faire un exemple ? Oui mais pas simplement.
C’est aussi pour que la colère s’exprime dans la rue. C’est pour que le hirak essilmi, pacifique, s’embrase et que
cette grina contenue qui tord les
ventres des Algériens depuis si longtemps se libère soudain. Alors, l’occasion
sera belle et comme en octobre 1988, comme en janvier-mars 1992, la répression
pourra donc s’abattre. Le piège est immense. Il n’a eu de cesse d’être tendu
depuis le 22 février dernier. Jusqu’à présent les Algériennes et les Algériens
ont su le déjouer mais plus le temps passe et plus le risque est grand pour que
les choses dérapent.
Ahmed Gaïd Salah est un digne représentant du
système. Son objectif premier est toujours de gagner du temps pour voir venir,
pour se donner les moyens d’agir selon son bon vouloir. Il y a même quelque
chose d’anachronique dans ses discours, ses manœuvres, ses menaces plus ou
moins explicites à l’égard des manifestants. C’est l’obsession d’un vieil homme
qui souhaite figer le temps et préserver ce qu’il a toujours connu, une
machinerie archaïque qui garrotte l’Algérie et l’empêche d’avancer. L’idée même
d’un pays démocratique, pluraliste, lui fait horreur. Ce n’est pas sa
représentation mentale. Ce n’est pas son cadre de pensée.
Est-ce que cet homme veut vraiment dialoguer ?
La semaine dernière, la présente chronique a évoqué le profil rêvé, selon lui,
de ses interlocuteurs. Des béni-oui-oui qui n’auront même pas à donner le
change et qui feront ce qu’on exigera d’eux. S’il veut vraiment dialoguer, que
le chef d’état-major reçoive les collectifs qui se forment ici et là et qui ont
d’ores et déjà fait connaître leurs positions et leurs propositions. Et que l’on
ne nous dise pas que c’est le rôle du « gouvernement ». Oublions ces
branquignoles et revenons à la réalité du pouvoir. Depuis février dernier,
Ahmed Gaïd Salah a impliqué l’armée dans la crise politique. Il lui faut
l’assumer. Pour le plus grand bien de l’Algérie.
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