Le Quotidien d’Oran, jeudi 9 mai 2019
Akram Belkaïd, Paris
Prenons garde à ce qui peut venir du Nord mais
méfions-nous surtout de ce qui menace à l’Est. Cela pourrait être la ligne de
conduite de celles et ceux qui s’impliquent dans le hirak algérien et qui revendiquent un changement profond du système
politique de leur pays. On le sait, tous les pays ont des intérêts à défendre,
à commencer par les Européens dont le silence gêné démontre à quel point ils
s’inquiètent de l’évolution de la situation. Au-delà de leurs grands discours
sur le respect des droits de la personne humaine, on sait très bien quelles
sont les motivations qui guident les chancelleries du vieux continent. On peut
citer parmi elles l’obsession d’empêcher toute crise migratoire qui serait la
conséquence d’une grave crise en Algérie. Ce n’est pas nouveau. A chaque fois
qu’un pays du sud de la Méditerranée « bouge », les Cassandres spécialisées
dans la mise en garde contre des flots de réfugiés à venir se réveillent.
L’autre motivation majeure est la nécessité de
défendre pied à pied ses positions économiques. Les arrestations de certains
« oligarques » constituent autant d’éléments inquiétants pour Paris,
Rome, Berlin, Madrid ou même Ankara, car ces hommes d’affaires étaient le plus
souvent des partenaires, voire des relais, d’intérêts économiques très
puissants. Il va de soi aussi qu’une Algérie plus démocratique, avec un État de
droit plus solide posera quelques problèmes aux acteurs économiques étrangers
habitués à déverser leur camelote sur les marchés locaux. Pour l’heure, le hirak est concentré sur l’impératif de
report du scrutin du 4 juillet et de mise en place d’une vraie transition. Si
cela réussit, il sera très vite temps de parler de politique économique et de
regarder de près ce qu’il faut changer. Il y a quelques années, une tentative
de réduire les importations a vite tourné court en raison de l’influence des
« oligarques » proches de l’ex-clan présidentiel. Les temps ayant
changé, il est urgent de remettre cette mesure à l’étude tout en ayant
conscience que tout sera fait pour entraver ce genre de réforme (y compris le
soutien affirmé à des personnalités politiques algériennes plus ou moins
néolibérales sur le plan économique).
Ce qui se passe en Algérie est clairement un
processus révolutionnaire. Bien sûr, rien n’est encore gagné. Les forces
contre-révolutionnaires sont nombreuses. Certaines sont algériennes et ont pour
but de préserver le système quitte à faire quelques concessions plus ou moins
spectaculaires comme l’arrestation de Saïd Bouteflika et des généraux Mediène
et Tartag. Cela n’a rien de surprenant. Qui peut penser que ce système
politique qui n’a jamais rendu des comptes devant les Algériens puisse accepter
de partir du jour au lendemain ? En occupant la rue de manière pacifique
et massive, la population a créé un rapport de force en sa faveur. Voilà
pourquoi l’essoufflement d’un tel mouvement est ce que souhaitent le plus ses
adversaires.
Aussi loin que remontent mes souvenirs, le
ramadan a représenté une parenthèse, une sorte de zone grise où tout tournait
au ralenti et où rien ne pouvait se passer. « Après ramdane » est une
phrase que l’on entend encore dans bien des situations où quelque chose
nécessite d’être accomplie. Il y a eu aussi l’époque des années 1990 où le mois
de jeûne était marqué par la violence et la peur. Mais rien de cela n’est une
fatalité. Le ramadan, c’est aussi l’effort sur soi, la stimulation
intellectuelle procurée par la privation diurne, cette sensation de pouvoir
faire un pas de côté par rapport à la routine. C’est aussi, cela va étonner
certains, ces efforts physiques consentis une ou deux heures avant le ftour
lors de rencontres de football ou des footings à petites foulées. Bref, tout
cela pour dire que le hirak a les
moyens de faire de ce mois, un ramadan historique à bien des égards.
Si tel est le cas, cela constituera un message
d’importance délivré à nos chers pays « frères » du Khaleedj. Sans
tomber dans le complotisme de bas-étage, il est évident que les monarchies du
Golfe ne veulent pas d’une transformation de l’Algérie. Une victoire du peuple
contre le système et la refonte des institutions seraient pour elles un fâcheux
événement susceptible de créer un effet de contagion chez leurs propres sujets.
Il fut un temps où, sur le plan diplomatique et de l’influence, des pays comme
l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou le Qatar s’effaçaient devant
l’Irak, la Syrie, l’Egypte ou l’Algérie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces
monarchies prétendent désormais dessiner les contours du monde arabe et même le
régenter. Riyad comme Abou Dhabi font la guerre au Yémen, se rapprochent
d’Israël et soutiennent le « maréchal » Haftar en Libye. Et il suffit
de regarder les télévisions du Golfe pour prendre la mesure de l’hostilité
qu’elles véhiculent à l’encontre du hirak
algérien.
La nouveauté, c’est que ces puissances
contre-révolutionnaires possèdent désormais une vraie clientèle en Europe et
aux Etats-Unis. Politiciens, journalistes, « intellectuels » :
pour les princes héritiers Mohammed Ben Salman (Arabie saoudite) et Mohammed
Ben Zayed (Abou Dhabi), le vivier est grand dans lequel elles peuvent puiser
pour décrédibiliser le hirak, pour semer le doute sur le devenir et les
motivations du mouvement. Dans cette immense transformation que vit l’Algérie,
les soutiens arabes au changement ne sont guère nombreux…
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