Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 mai 2019
Akram Belkaïd, Paris
Ce n’est peut-être pas le moment de vérité
mais cela y ressemble. Depuis plusieurs semaines, le message d’une grande
majorité du peuple algérien est un refus de se contenter d’une élection
présidentielle prévue pour le 4 juillet. Bien sûr, le hirak du 22 février a engrangé des succès non négligeables dont
l’abandon du projet de cinquième mandat de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Un peuple uni est sorti dans les
rues pour clamer son besoin de changement. La « feuille de route »
constitutionnelle telle qu’elle est vantée par les tenants du cachir/corndbeef
est tout sauf une réponse sérieuse à son aspiration.
Beaucoup de gens pensent que les problèmes
politiques se règlent par une élection. Cela peut être le cas dans les pays où
l’État de droit existe et où la démocratie n’a pas été totalement galvaudée (qui
peut vraiment croire que les problèmes profonds des États-Unis se règlent
uniquement par la désignation du locataire de la Maison Blanche ?). Il y a dans
la position du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah de nombreux motifs
d’étonnements. La Constitution ? Depuis quand est-elle ainsi devenue le texte
fondamental du pays ? Car combien de fois a-t-elle été violentée et souillée ?
Prévue pour limiter les mandats présidentiels à deux, elle a été amendée pour
les besoins d’un troisième mandat qui n’aurait jamais dû exister. Prévue pour
garantir que le numéro algérien soit capable de mener à bien sa mission, elle
n’a pas empêché que soit « élu » en 2014 un homme malade et largement diminué.
Or, c’est bien l’application de la Constitution que les opposants aux troisième
et quatrième mandats réclamaient (en vain). De grâce, que l’on cesse donc de
nous parler de la Constitution car personne n’est dupe à son sujet. Mieux, il
est des pays qui se passent d’un tel texte, l’État de droit suffisant à
garantir la pérennité et le bon fonctionnement du pays.
L’autre motif d’étonnement concerne cette
focalisation sur l’élection du 4 juillet prochain. Admettons qu’élire un
nouveau président de la République soit le plus urgent et rappelons, en même
temps, que personne ne nie désormais que l’Algérie ne va pas bien dans bien des
domaines. Si l’on suit cette logique, cela signifie que ce scrutin qui doit
avoir lieu dans moins de deux mois sera la base sur laquelle sera entreprise la
refondation du pays. La question est alors simple : une élection d’une telle
importance peut-elle se passer de vrais débats ? Et, surtout, peut-elle faire
l’impasse d’une vraie campagne électorale où les Algériens, tout à leur passion
nouvelle qu’est la politique, auraient le temps de réfléchir, de discuter, de
s’organiser et, in fine, de choisir ?
Certes, la Constitution – encore elle – oblige à organiser un scrutin à cette
date. Mais cette disposition vaut pour des circonstances « normales » ce qui
est tout sauf le cas de la situation actuelle. En 1992, quand feu Chadli
Bendjedid fut démissionné, le pouvoir n’a pas organisé de scrutin avant
novembre 1995 et cela en raison du caractère exceptionnel du moment.
Depuis le 22 février dernier, l’Algérie vit un
instant exceptionnel qui peut conduire au meilleur. Organiser une élection
présidentielle le 4 juillet c’est donc faire obstacle à ce possible changement.
C’est créer de nouvelles difficultés et de nouvelles turbulences car quel que
soit le résultat du vote, l’élu (ou l’élue) sera forcément rejeté par une bonne
partie de la population qui défile aujourd’hui aux cris de « système dégage ».
Bien entendu, il n’est pas question non plus de favoriser le vide. La piste
d’une instance collégiale de transition doit absolument être creusée.
Inspirons-nous de ce qui se passe au Soudan où l’idée d’une phase transitoire
plus ou moins longue (un à quatre ans) fait désormais consensus y compris au
sein de l’armée.
Des jours précieux sont gaspillés. Plutôt que
de s’arc-bouter sur la date du 4 juillet, le chef d’état-major devrait
entériner l’idée d’un report. Mais il n’est pas le seul concerné. Il est temps
que naisse une coalition nationale pour la transition et le changement qui
parlera au nom du hirak. Chose
difficile à concevoir, me direz-vous, tant ce mouvement semble privilégier
l’approche horizontale. Mais il faut essayer avant qu’il ne soit trop tard.
Depuis plusieurs semaines, plusieurs acteurs de la société civile, des
associations, des personnalités mais aussi des partis politiques ont fait des
propositions allant dans le sens du changement. Autre question : est-ce que ces
acteurs se parlent ? Où en est le projet de conférence nationale ?
Bien sûr, il y a les égos. Bien sûr, il y a la
facilité qui fait qu’il est plus simple de protester contre le système que de
proposer une démarcher destinée à unifier – sur le plan politique – cette
protestation. Bien sûr, il y a l’expérience du passé. On peut craindre qu’une
Coordination, une plate-forme ou tout type d’initiative soit très vite minée de
l’intérieur par de soudaines dissensions… Mais, encore une fois, il y a urgence
en la matière car le changement ne sera pas octroyé. Le mouvement populaire a
désormais besoin que des forces politiques le relayent.
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