Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 juillet 2019
Akram Belkaïd, Paris
Le 22 juillet prochain cela fera cinq mois que
les Algériennes et les Algériens ont enclenché un mouvement historique de
protestation politique et d’engagement citoyen. La chose est historique à plus
d’un titre. Toutefois, on entend ici et là nombre de discours mitigés pour ne
pas dire défaitistes. Le refus du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah d’accepter
la solution d’une transition longue (mais concertée), la répression et
l’arbitraire exercés contre des manifestants, l’irréelle interdiction du
drapeau amazigh, l’absence d’initiative majeure de conciliation entre le
pouvoir et l’opposition, le maintien d’un gouvernement hérité d’Abdelaziz
Bouteflika, tout cela pèse sur le moral et l’optimisme des uns et sur la
détermination des autres. Mais le mouvement continue et il faut rappeler qu’il
est soutenu par la plus grande partie de la diaspora algérienne. Et il faut
aussi insister sur le fait qu’il force le respect de nombreux peuples à travers
le monde.
Bien sûr, il est encore trop tôt pour dresser
un bilan définitif du hirak puisque rien n’est encore joué. Mais n’oublions pas
que l’Algérie a tout de même échappé à un cinquième mandat de Bouteflika,
autrement dit à une prolongation, et à une aggravation, de l’état de
déprédation subie par le pays. N’écoutons pas celles et ceux qui nous disent
aujourd’hui que ce cinquième mandat n’était pas réellement prévu et que l’état
profond préparait autre chose. C’est d’abord une manière insidieuse d’insulter
l’engagement des manifestants et c’est ensuite une négation de la réalité. Car
ce cinquième mandat était bel et bien mis en orbite, les chancelleries
occidentales avaient informé leurs capitales respectives : les choses
continueraient en l’état et la question de la succession de Bouteflika était
renvoyée à plus tard.
L’Algérie a donc échappé à une énième
humiliation doublée d’une dégradation plus marquée de ses institutions et de
son économie. Mais il n’y a pas que cela. Qu’on le veuille ou non, il y a une
conscience nationale qui a surgi ou ressurgi alors qu’on ne s’y attendait plus.
On serait même tenté d’écrire que nous assistons à l’émergence d’une nouvelle
conscience nationale. C’est elle qui a fait que la manœuvre, grossière, du
pouvoir pour diviser les Algériens en interdisant l’emblème amazigh n’a pas
réussi. Bien au contraire. Le pouvoir a finalement incité les manifestants
non-berbérophones à dépasser leurs préventions et leurs réticences, à réfléchir
à ce qu’est une identité plurielle. Bien entendu, il ne faut pas être naïf. Les
démons du régionalisme existeront toujours. Cela demeure même une clé de
compréhension quand il s’agit d’examiner les motivations de certains
« légalistes » dans l’expression de leur soutien au chef
d’état-major. Mais tout de même ! Il est bon d’entendre des jeunes algériens
clamer qu’ils refusent les vieilles divisions d’antan notamment celles héritées
de la période coloniale.
L’affaire du drapeau amazigh mais aussi
l’arrestation du moudjahid Lakhdar Bouregaâ nous disent beaucoup sur
l’incapacité du pouvoir algérien, désormais personnifié par le général Gaïd
Salah, de penser la situation autrement que par de vieux procédés. Nous
sommes au vingt-et-unième siècle ! Le monde change, les paradigmes se
renouvellent. La jeunesse algérienne n’est pas isolée de ces courants de transformation
comme en témoigne sa détermination à rester pacifique pendant les
manifestations. Or, la réponse apportée aux revendications et aux critiques
légitimes contre ce système qui a mené le pays dans le fossé n’est pas à la
hauteur des enjeux. Certes, l’égyptien Sissi démontre que la matraque peut
offrir un sursis à tout régime finissant mais à quel prix ? Ahmed Gaïd
Salah tient-il autant que cela à devenir le Sissi algérien ?
Il n’y a pas de honte à ne pas avoir d’idées
ou plutôt à ne pas avoir de bonnes idées. Encore faut-il en convenir et se
tourner vers celles et ceux qui en ont. Depuis le 22 février, il y a floraison
de textes, de propositions et d’initiatives. Pourquoi tout cela reste-t-il
ignoré ? On nous parle de conférence nationale. Si c’est pour rassembler
des cachiristes patentés désormais transformés en laudateurs du corned-beef,
non merci. Autant économiser les frais de ce genre de
« concertation » qui, par le passé, n’a jamais rien donné de bon.
Demain, ce sera le 5 juillet, jour de
célébration du 57ième anniversaire de l’indépendance nationale. Les
Algériennes et les Algériens vont vendredire de nouveau. Il serait terrible, et
extrêmement grave, que ce jour de joie soit marqué par la répression, les
arrestations et les entraves à manifester. A l’inverse, il serait heureux que
les dizaines d’anonymes arrêtés et emprisonnés soient élargis de même que Lakhdar
Bouregaâ, Louisa Hanoune sans oublier Hadj Kada Ghermoul qui est en prison pour
avoir été l’un des premiers à dire non au cinquième mandat. Ces libérations
constitueraient un geste fort. Elles donneraient du crédit aux déclarations du
chef d’état-major qui assure qu’il n’a aucune ambition politique. Il s’agit
donc pour lui de ne pas rater cette occasion.
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