Le Quotidien d’Oran, jeudi 27 juin 2019
Akram Belkaïd, Paris
Un peuple et ses droits s’achètent-ils comme
une vulgaire marchandise ? Le président américain Donald Trump, ses alliés
israéliens et ses vassaux du Golfe semblent le penser. En proposant 50
milliards de dollars (sur dix ans) aux Palestiniens, le locataire de la
Maison-Blanche vient d’agiter une carotte censée les faire renoncer à leurs
revendications politiques. Le sommet de Manama à Bahrein intitulé « de la
paix à la prospérité » n’est pas simplement un jeu de dupes où le plus
faible (les Palestiniens) est censé accepter cette énième
offre « généreuse » dont, d’ailleurs, il reste à cerner les
contours. C’est aussi un chantage obscène et une stratégie de communication conçue
par Jared Kushner, gendre et conseiller du président Trump mais aussi grand ami
d’Israël.
Car on devine déjà le discours des milieux
pro-sionistes. Quoi ? Comment ? On leur offre 50 milliards de dollars
et ils refusent de capituler ? C’est d’ailleurs le sens d’une tribune de Danny
Danon, l’ambassadeur israélien à l’ONU publiée lundi par le New York Times. « Quel est le problème pour les Palestiniens de capituler ? »
s’est-il interrogé avant d’ajouter : « Capituler
c'est reconnaître que, dans une lutte, continuer se révèlera plus coûteux que
se rendre ». Les Palestiniens sont donc sommés de se rendre. Au passage, on
notera que l’ambassadeur reconnaît implicitement qu’Israël mène une guerre au
peuple palestinien.
En réalité, personne ne croit aux chances de
réussite de ce plan. La preuve, aucun grand dirigeant arabe n’était présent à
Manama. Mais l’administration Trump s’en moque. Ce qui l’intéresse, c’est de
pouvoir disposer d’un argument à l’automne prochain quand sera révélé le volet
« politique » du plan Kushner. C’est là que les cartes seront
abattues. C’est là que Washington va confirmer ce qui n’est plus un secret pour
personne, c’est-à-dire son alignement total sur la position israélienne et la
fin des rares lignes rouges que les Américains s’imposaient de ne jamais
franchir. L’une d’elles l’a d’ailleurs déjà été avec le transfert de
l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.
A quoi faut-il s’attendre d’autre ? Tout
simplement à l’abandon de l’idée d’un État palestinien. Une idée, rappelons-le
d’ores et déjà impossible à envisager quand on connaît les conséquences de la
colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Pas d’État palestinien,
donc. Et quoi d’autre ? Tout est possible y compris l’annexion pure et
simple d’une partie ou de toute la Cisjordanie. Selon des informations ayant
fuité du plan Kushner, les principales villes palestiniennes bénéficieraient alors
d’un vague autonomie. On comprend bien que tout cela oblige à poser de
nombreuses questions. Quel sera le statut des Palestiniens ? Comment
Israël justifiera l’apartheid qui existe déjà mais qui sera clairement entériné ?
Et comment ne pas s’interroger sur les risques d’une nouvelle Nakba car,
disons-le clairement, une expulsion massive de Palestiniens n’est plus du tout
impossible. Et si on en doute, il suffit de se poser la question
suivante : qui l’empêchera ?
Les Etats-Unis ? Certainement pas. La
Chine ou la Russie ? Ces deux pays ne semblent guère concernés par les
Palestiniens et tiennent aux bonnes affaires qu’ils réalisent avec Israël. L’Union
européenne (UE) qui ne cesse de se faire humilier par Donald Trump et dont le
silence est assourdissant ? Comment compter sur cette pauvre Europe qui ne
sait plus où elle en est et qui, de toutes les façons, voit grandir en son sein
des forces à la fois réactionnaires, néo-facistes mais, dans le même temps,
pro-israéliennes ? Qui s’opposera à une réduction à zéro des espérances et
revendications Palestiniennes ? Les pays arabes ? Ne rions pas. Les
monarchies du Golfe qui sont à la manœuvre au sein de la Ligue arabe sont
pressées de normaliser leurs relations avec Israël. Quand on entend certains
discours de responsables saoudiens ou émiratis, on réalise à quel point la
question palestinienne constitue pour eux un problème bien plus qu’une cause à
soutenir. Entre s’allier avec Israël pour combattre l’Iran et défendre les Palestiniens,
les chouyoukhs ont déjà choisi…
Bien sûr, il y a encore des ilots de
résistance. Les pays scandinaves, d’autres d’Amérique latine (l’Afrique
subsaharienne, elle, penche de plus en plus pour Israël). De même, on peut
penser que le détachement progressif d’une grande partie des juifs américains
vis-à-vis d’Israël pourra permettre à terme un rééquilibrage de la diplomatie
étasunienne. Mais, en attendant, il y a urgence à aider les Palestiniens.
Que peuvent faire les Algériens ? La
réponse est simple. Continuer de faire du soutien à la cause palestinienne un
élément important de leur éthique personnelle. C’est d’autant plus important à
l’heure où les chants de la propagande israélienne se font entendre un peu
partout, étant relayés en Algérie comme au sein des communautés maghrébines de
France (il en est ainsi de « l’imam » Chalghoumi qui organise des
voyages à la rencontre de responsables israéliens dont des militaires…). En ces
temps de hirak et de contestation du système, il s’agit aussi de continuer à
regarder hors de chez soi et de peser sur ce dossier. Il n’est pas normal que
des entreprises présentes dans les colonies soient accueillies à bras ouverts
en Algérie. Il n’est pas normal que des pays qui ne condamnent pas la
colonisation de la Cisjordanie ou les tueries de Gaza soient traités comme si
de rien n’était par l’Algérie et sa diplomatie. Brandir des drapeaux
palestiniens durant les marches du vendredi, c’est bien, d’autant que cela
déplait à l’Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis et à leur
clientèle algérienne. Mais agir sur le plan économique, le seul qui offre des
marges de manœuvres, c’est bien mieux. Et c’est même urgent.
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