Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 novembre 2019
Akram Belkaïd, Paris
N’en déplaise aux rageurs qui ont le
« seum », la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre à
Paris a été un succès important. Précédée par un incroyable déferlement de
haine et de désinformation (« au secours, les barbus
arrivent ! »), elle a réuni au moins 14 000 personnes voire plus. Surtout,
elle fut diverse dans ses composantes humaine et sociale. De simples citoyens,
des militants associatifs, des représentants de différents partis politiques de
gauche dont la France insoumise et le Parti communiste mais exception faite du
(micro) parti dit socialiste dont l’absence n’a pas blessé grand-monde. La
présence de représentants de Lutte Ouvrière (LO), organisation habituellement
peu encline à être mêlée à des questions liées à la religion mais foncièrement
antiraciste, est une preuve du consensus bâti autour de ce rendez-vous. En
quelques mots, ce ne fut pas un rassemblement islamiste ou
« frériste » comme l’ont affirmé nombre de médias. Ce ne fut pas non
plus une affaire communautaristes car toutes les origines étaient présentes. Il
faut donc se réjouir de cette initiative destinée à dire « assez ».
Assez d’attaques verbales ou physiques contre
les musulmans, assez d’amalgames avec les djihadistes qui, eux, ne font aucun
discernement quand ils décident de tuer à Paris, Nice ou ailleurs dans le monde
arabo-musulman (où ils font 90% de leurs victimes). Assez de ces campagnes
médiatiques où le moindre incident est monté en épingle pour hurler que la
République française est en danger alors que c’est complètement faux. Assez de
procès en (dé)loyauté. Assez de discours ubuesques sur les intentions
malveillantes que cacheraient la taqqiya,
mot dont l’usage intensif vaut label de docteur en islamologie sur les plateaux
de télévision. Et ne parlons pas de cette obsession pour le voile qui rend les
plus censés complètement barjots.
Se réjouir donc sans pour autant penser que
les choses vont soudainement changer, que le calme, du moins la relative
tranquillité va revenir. La manifestation s’est bien déroulée, il n’y a pas eu
d’incidents mais cela n’a pas calmé la médisance et les contempteurs habituels
des musulmans. Dans toute manifestation, il peut y avoir des mots de trop, des
écarts, quelques phrases ou des gestes imbéciles. Porter une étoile n’est pas
chose intelligente. Je m’en suis expliqué il y a quelques années (1). Aucun
défilé n’est parfait. Cela, tout le monde le sait mais on ne peut rien contre
la mauvaise foi et l’intention de nuire. On reproche à cette manifestation
d’avoir été organisée par des islamistes. L’accusation est lancée sans grandes
preuves. On affirme que tel collectif (celui de la lutte contre l’islamophobie)
est « proche » des frères musulmans. Qui l’a dit ? Qui l’a
prouvé ? Mais admettons que cela soit vrai.
Nombre de personnes qui ont marché ne sont pas
sorties dans la rue pour soutenir les Ikhwans. Pour dire les choses plus
clairement, elles ne seront jamais tentées par l’islamisme politique. Pour
elles, c’était tout simplement la première fois qu’une manifestation était
organisée pour dire non à ce racisme qui les accable. Certains partis sont montés sur leurs grands
chevaux, expliquant qu’eux aussi sont contre le racisme mais qu’il n’est pas
question pour eux de s’acoquiner avec des islamistes (certains n’ont pourtant aucun
scrupule à faire ami-ami avec l’extrême-droite). Question simple :
pourquoi, s’ils sont contre le racisme, n’ont-ils jamais lancé la moindre
initiative en faveur des musulmans de France ? La réponse est
simple : ce n’est pas leur affaire. Ou bien alors, ils nient l’existence
de ce racisme (attitude très répandue dans les milieux intellectuels et
médiatiques). Ou bien enfin, ils l’alimentent ce racisme en devisant sur le
voile pendant les sorties scolaires ou en glosant sans fin sur l’origine jugée complotiste
du terme islamophobie en l’attribuant à des mollahs iraniens alors que toute
une littérature existe pour démontrer que ce concept existe depuis la fin du
dix-neuvième siècle. Mais passons. Encore une fois, nombre des critiques contre
cette manifestation font d’autres calculs. Ce qui leur importe, c’est de
maintenir la pression sur des communautés qui disposent de peu de relais pour
se faire entendre et à qui la manifestation du 10 novembre a donné une tribune
inespérée.
Cela me rappelle la Marche pour l’égalité et
contre le racisme du 15 octobre au 3 décembre 1983. On sait que son esprit fut
perverti, que même son nom a été transformé en un bien méprisant « marche
des Beurs ». Mais on a oublié, aujourd’hui, que cette initiative fut aussi
très critiquée même si chacun semble affirmer aujourd’hui qu’elle coulait de
source. Certes, à l’époque internet et ses réseaux sociaux n’existaient pas
tout comme les essoreuses à intelligence que constituent désormais les chaînes
d’information en continu. Mais je me souviens bien des critiques contre, déjà,
le « communautarisme » et les appréciations dédaigneuses à l’égard de
jeunes marcheurs qui portaient le keffieh palestinien alors qualifié de
« chiffon ». Je me souviens surtout que toute une machinerie s’est
mise en branle pour empêcher que cette Marche pour l’égalité ne s’autonomisme.
Il fallait la faire rentrer dans le rang, la domestiquer. La marche du 10
novembre suscite des réactions comparables. Elle est terminée, elle s’est bien
déroulée mais c’est maintenant que les choses sérieuses commencent.
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