Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 22 octobre 2020

La chronique du blédard : La musique défaitiste et le vide

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

La chose n’est pas nouvelle : depuis des décennies, toute contestation du régime et toute revendication en faveur du changement, fut-elle graduelle, provoquent en réaction une répression de plus ou moins grande ampleur. C’est un fait évident : le pouvoir algérien ne sait pas dialoguer ou, plutôt, il ne veut pour dialogue que celui qu’il aura organisé selon ses habituelles méthodes, c’est à dire un théâtre de marionnettes avec quelques opportunistes trop heureux de l’occasion qui leur est offerte de se faire (enfin) une situation. Qu’on vienne à lui résister, qu’on vienne à persister, qu’on vienne à refuser ce remake de la danse des béni-oui-oui avec l’administration coloniale, et c’est le qallouz qui parle (1).

 

Mais il n’y a pas que cela. Quel que soit le cercle pensant – ou essayant de le faire -, surgit très vite une injonction à l’abandon et au renoncement au prétexte que le système serait trop fort, trop omniscient, pour tenter quoi que ce soit. Les personnes ayant vu dans le Hirak une formidable chance pour sortir le pays de l’ornière peuvent certainement toutes en témoigner. Le « à quoi bon ? » ou le « fort 3alikoum » (plus fort que vous) composent cette petite musique perverse qui vise à préserver un statu quo somme toute bien confortable pour qui a peur pour sa voiture ou sa maison construite en zone sécurisée.

 

Il y a des variantes à ce discours. Quelle que soit l’évolution de la situation, on peut souvent entendre que les « services » sont derrière tout ça et qu’ils demeurent les maîtres du jeu. A les entendre, le Hirak serait une manipulation d’un clan pour en chasser un autre, etc. Si une objection rationnelle vient à être formulée, elle est alors immédiatement balayée par une nouvelle explication hypothétique – souvent biscornue, mais qu’importe. L’essentiel, c’est que l’Algérienne et l’Algérien demeurent convaincus que quoi qu’ils fassent, ils n’y arriveront pas.

 

Ajoutons à cela la récurrence de divagations à propos du « jusqu’au-boutisme » du Hirak, transformé ainsi en coupable ayant refusé la main tendue par le gentil pouvoir, et l’on aura une image plus ou moins complète de la machine à alimenter le défaitisme. Car tout cela n’est pas sans effet. Les luttes collectives sont impressionnantes quand elles s’expriment mais nous savons tous qu’elles constituent des mécanismes bien fragiles dont la longévité dépend de nombre de facteurs, la volonté et la persévérance individuelles n’étant pas les moindres. Personne ne niera que l’interruption des manifestations doublées d’une répression vicieuse – comment la qualifier autrement ? – est à l’origine d’un réel abattement. « Digouttage » total, surtout quand s’égrène la liste des personnes arrêtées, poursuivies ou convoquées par les services de sécurité.

 

Mais il en est ainsi des combats qui méritent d’être menés. Les transformations – évitons de parler de révolution – sont faites de boucles, de détours et de régressions. Et dans ces processus, il est certain que les manifestations produisent leur effet revigorant. On se serre, on se compte, on s’encourage même si l’on n’est que trois pékins Pour ceux qui vivent à Paris, il suffit de voir l’effet qu’a sur eux la reprise des rassemblements place de la République. Oui, certes, cela est lointain des rues d’Alger, Oran, Constantine ou Ténès. Mais cela compte dans un monde où les réseaux sociaux donnent souvent l’illusion qu’il n’existe plus de frontières physiques. La flamme est encore là. Il y a encore des gens qui ne veulent pas se taire.

 

Il n’y a rien de honteux à être dans le camp des soi-disant perdants quand on ne lâche rien sur ses convictions et que l’on continue de revendiquer ne serait-ce qu’un vrai État de droit en Algérie. Le pire serait de renoncer par découragement ou, plus grave encore, par intérêt, en se mentant à soi-même et en se trouvant toutes les bonnes excuses possibles pour tourner casaque et servir ceux-là même qu’on conspuait la veille.

 

Un autre argument en faveur du renoncement est que l’actuel gouvernement aurait un vrai projet pour le pays et qu’il serait raisonnable et responsable de le laisser travailler en paix. Un vrai projet ? Sérieusement ? Où est-il ? Qu’on nous le donne ! Qu’on nous le détaille ! Je ne parle pas ici du processus électoral qui est planifié pour les prochains mois : organiser des élections en prétendant que c’est la bonne solution pour sortir de la crise est une astuce de république bananière ou d’entité, vaguement indépendante, de la françafrique.

 

Non, comme disent les Américains, « where is the beef ? » Où est le moufid ? Quelle politique économique et financière pour les deux prochaines années ? Austérité ou réendettement ? Et l’école ? La santé ? Les choix en matière de politique énergétique ? Un grand plan solaire ou bien le gaz de schiste ? Et que dire de ces deux sujets dont nos députés, plus occupés à faire des affaires pour rembourser leur pas de porte, ne parlent ainsi dire jamais : la dégradation de l’environnement et les conséquences du réchauffement climatique ? On attend… Cogner sur les opposants et embobiner quelques faux naïfs pour mieux les enrôler, demande certainement quelques compétences et efforts d’imagination. Mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’exige le relèvement de l’Algérie.

 

(1) « Algérie, les louanges et la matraque », Horizons arabes, 30 septembre 2020.

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