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Le Quotidien d'Oran, samedi 5 février 2011
Akram Belkaïd, Paris
Nous avions laissé Djilali Bencheikh au seuil de l’adolescence en refermant les pages de son précédent roman, « Tes yeux bleus occupent mon esprit » (Elyzad, prix Maghreb 2007 de l’Association des Ecrivains de langue française). Nous le retrouvons perdu à Beyrouth, menant une mission pour la Palestine, cette cause suprême que tous les Algériens ont rêvé un jour de défendre.
Beyrouth… L’été, les restaurants du bord de mer et l’insouciance malgré les nuages noirs qui menacent. Nous sommes dans les années 1970. A Paris, l’opposition au régime de Boumediene tente de s’organiser tandis que certains militants - de gauche car comment pourrait-il en aller en autrement ? - se mettent au service d’autres combats. Petits cafés dans le quartier latin, longues joutes politiques. Un temps désormais oublié.
Dans cette mouvance discrète, une figure émerge, celle de Mohamed Boudia, révolutionnaire et homme de théâtre, assassiné, vraisemblablement par le Mossad, le 28 juin 1973. C’est lui, où le plutôt son personnage, Nadir, qui envoie Kamel, étudiant algérien, dans la capitale libanaise. Ce dernier y découvre l’Orient, ses dépaysements et ses surprises. Très vite dépassé, l’homme comprend que la mécanique des événements est plus forte que lui. En cela, il est le symbole d’un monde arabe impuissant face aux tragédies et aux défaites qui s’annoncent. Son aventure, ses rencontres, les conversations qu’il partage avec des policiers brutaux ou désabusés, des feddayin ou de simples habitants de la montagne restituent à merveille l’ambiance de cette époque révolue.
Mais la trame de ce roman est aussi un pan largement ignoré de l’histoire des Algériens de France. Cela sonne vrai, cela provoque quelques poussées de nostalgie à propos d’engagements héroïques et désintéressées, remplacés aujourd’hui par le nihilisme et la violence aveugle. Toutes celles et ceux qui ont connu Beyrouth à cette époque apprécieront ce roman qui leur restituera un peu de leur jeunesse. Les autres se laisseront séduire par le rythme indolent des pérégrinations de Kamel, soldat naïf d’une cause inaboutie.
Extraits
« Emu de fouler la terre du poète Khalil Gibran, j’erre comme un perdu dans les sinusoïdes de la foule. Les voyageurs cosmopolites, hâtifs et insouciants, vaquent à leurs occupations avec une bonhomie qui fait envie. Heureusement, ma petite valise orange apparaît en bout de piste. Avec la chaleur, elle commence même à virer au bordeaux. Aussi discrète que le complet jersey. On aurait voulu me dénoncer qu’on ne s’y serait pas pris autrement. L’Organisation est pauvre avait plaidé Meliani. Meliani, le gars trapu des groupes de choc. Un compatriote prêt à tout pour la cause palestinienne. Surnommé Tarzan, autant pour son audace insolente que pour les épaules musclées dont il cultive avec soin le carénage.
« La lourde fusion des sueurs au creux de la sieste, heures où tout est torpeur et douceur. Ce moment si honni dans l’enfance, je le savoure à présent avec une sensualité de pacha. Le figuier généreux dont les branches se fondent dans le feuillage épars de la treille me fait un point d’ombre dans la canicule du mois d’août. Depuis mon transat, mon regard se noie dans la vallée en contrebas, en une perspective qui se faufile vers la mer et Beyrouth. Une oasis mentholée, suspendue au-dessus de la ville. Le Chouf ! Jusque-là, ce nom mythique évoquait pour moi un avatar de maquis abritant le fief de l’autre Kamel : Kamel Joumblatt, intraitable chef druze et fidèle partisan de la cause palestinienne. Un allié, donc. »
La citation
« Vous savez, jeune homme, le sous-sol de chaque maison libanaise, quel que soit son courant, abrite un véritable arsenal… Le jour où cela va exploser, ce sera l’enfer ! Et je crains qu’il ne reste plus rien du Liban. »
Le livre
Beyrouth Canicule, Djilali Bencheikh, Elyzad, 279 pages, 650 dinars, 15,90 euros.
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Le Quotidien d'Oran, samedi 5 février 2011
Akram Belkaïd, Paris
Nous avions laissé Djilali Bencheikh au seuil de l’adolescence en refermant les pages de son précédent roman, « Tes yeux bleus occupent mon esprit » (Elyzad, prix Maghreb 2007 de l’Association des Ecrivains de langue française). Nous le retrouvons perdu à Beyrouth, menant une mission pour la Palestine, cette cause suprême que tous les Algériens ont rêvé un jour de défendre.
Beyrouth… L’été, les restaurants du bord de mer et l’insouciance malgré les nuages noirs qui menacent. Nous sommes dans les années 1970. A Paris, l’opposition au régime de Boumediene tente de s’organiser tandis que certains militants - de gauche car comment pourrait-il en aller en autrement ? - se mettent au service d’autres combats. Petits cafés dans le quartier latin, longues joutes politiques. Un temps désormais oublié.
Dans cette mouvance discrète, une figure émerge, celle de Mohamed Boudia, révolutionnaire et homme de théâtre, assassiné, vraisemblablement par le Mossad, le 28 juin 1973. C’est lui, où le plutôt son personnage, Nadir, qui envoie Kamel, étudiant algérien, dans la capitale libanaise. Ce dernier y découvre l’Orient, ses dépaysements et ses surprises. Très vite dépassé, l’homme comprend que la mécanique des événements est plus forte que lui. En cela, il est le symbole d’un monde arabe impuissant face aux tragédies et aux défaites qui s’annoncent. Son aventure, ses rencontres, les conversations qu’il partage avec des policiers brutaux ou désabusés, des feddayin ou de simples habitants de la montagne restituent à merveille l’ambiance de cette époque révolue.
Mais la trame de ce roman est aussi un pan largement ignoré de l’histoire des Algériens de France. Cela sonne vrai, cela provoque quelques poussées de nostalgie à propos d’engagements héroïques et désintéressées, remplacés aujourd’hui par le nihilisme et la violence aveugle. Toutes celles et ceux qui ont connu Beyrouth à cette époque apprécieront ce roman qui leur restituera un peu de leur jeunesse. Les autres se laisseront séduire par le rythme indolent des pérégrinations de Kamel, soldat naïf d’une cause inaboutie.
Extraits
« Emu de fouler la terre du poète Khalil Gibran, j’erre comme un perdu dans les sinusoïdes de la foule. Les voyageurs cosmopolites, hâtifs et insouciants, vaquent à leurs occupations avec une bonhomie qui fait envie. Heureusement, ma petite valise orange apparaît en bout de piste. Avec la chaleur, elle commence même à virer au bordeaux. Aussi discrète que le complet jersey. On aurait voulu me dénoncer qu’on ne s’y serait pas pris autrement. L’Organisation est pauvre avait plaidé Meliani. Meliani, le gars trapu des groupes de choc. Un compatriote prêt à tout pour la cause palestinienne. Surnommé Tarzan, autant pour son audace insolente que pour les épaules musclées dont il cultive avec soin le carénage.
« La lourde fusion des sueurs au creux de la sieste, heures où tout est torpeur et douceur. Ce moment si honni dans l’enfance, je le savoure à présent avec une sensualité de pacha. Le figuier généreux dont les branches se fondent dans le feuillage épars de la treille me fait un point d’ombre dans la canicule du mois d’août. Depuis mon transat, mon regard se noie dans la vallée en contrebas, en une perspective qui se faufile vers la mer et Beyrouth. Une oasis mentholée, suspendue au-dessus de la ville. Le Chouf ! Jusque-là, ce nom mythique évoquait pour moi un avatar de maquis abritant le fief de l’autre Kamel : Kamel Joumblatt, intraitable chef druze et fidèle partisan de la cause palestinienne. Un allié, donc. »
La citation
« Vous savez, jeune homme, le sous-sol de chaque maison libanaise, quel que soit son courant, abrite un véritable arsenal… Le jour où cela va exploser, ce sera l’enfer ! Et je crains qu’il ne reste plus rien du Liban. »
Le livre
Beyrouth Canicule, Djilali Bencheikh, Elyzad, 279 pages, 650 dinars, 15,90 euros.
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