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« Il s'est noyé dans sa propre merde et il s'étonne de son odeur ». Ce vieux proverbe maghrébin n'a peut-être jamais été médité par Kadhafi. C'est du moins ce que je me suis dit en écoutant ses messages radiodiffusés appelant à défendre coûte que coûte Tripoli. Y croyait-il vraiment ? Etait-il persuadé que des foules de civils allaient sortir de chez elles pour se sacrifier pour lui en se battant contre les troupes du Conseil national de transition (CNT) et les commandos de forces spéciales occidentales qui devaient certainement les appuyer ?
Quand la fin est proche, le dictateur devient pathétique. On l'a vu avec Ben Ali et Moubarak. Lorsque la séquence d'événements s'accélère et que le mécanisme de sa perte a dépassé le point de non retour, on entre alors dans un irréel fait de discours délirants et de déni. Bien sûr, il y a toujours ceux qui restent sensibles à ces harangues de la dernière heure. Qui se disent que quelque chose de surnaturel va survenir pour sauver le zaïm. Je me souviens ainsi d'un tocard, professeur de sciences-politiques et pseudo-spécialiste des médias arabes, qui croyait dur comme fer que l'armée de Saddam Hussein allait tailler en pièces l'armada américano-anglaise de mars 2003. Les Arabes et leur rapport au réel, une longue histoire
La question que je me pose souvent est de savoir à quel moment un tyran décroche-t-il du réel ? A quel moment commence-t-il à croire vraiment aux fables que lui et ses propagandistes ont fabriquées pour lui forger une image de grand maître de la Nation. En clair, est-ce que Kadhafi réalise qu'il est le premier responsable de ses propres déboires ? C'est lui qui est la cause de ses malheurs et de ceux de son peuple. Bien sûr, il n'a pas été le seul. Sa famille, son clan, sa tribu et même nombre des membres de l'actuelle rébellion l'ont bien aidé. Mais cela ne doit pas perdre de vue ce que je ne cesserai jamais d'écrire et de répéter : les dictateurs, les présidents élus à vie, les hommes providentiels et les héritiers des révolutions anticoloniales sont les premiers ennemis de leur pays, de sa souveraineté et, plus encore, de son intégrité territoriale.
On peut en vouloir aux membres du CNT d'avoir fait appel à des Occidentaux pour tuer leurs frères Libyens mais que dire de celui qui a recours à des mercenaires pour mater son propre peuple ? On peut aussi regretter que la révolte de février 2011 n'ait pas réussi à faire tomber à elle seule le régime de Kadhafi. Cet échec a conduit à l'intervention de l'Otan dont les bâtiments et les avions semblent partis pour rester dans la région. Mais n'était-ce pas le prix à payer ? Sans être dupe de ce que cela pouvait engendrer, j'étais pour l'intervention de l'Otan et je n'ai pas changé d'avis. Entre le départ d'un homme qui a ruiné son pays et un soutien étranger à une rébellion, fut-elle multiforme et, parfois, peu recommandable, il n'y avait pas à hésiter. Maintenant, il faut espérer que les Libyens vont remporter la seconde bataille, celle qui consistera à préserver la souveraineté de leur pays et à savoir dire non à leurs alliés d'ores et déjà encombrants.
Posons une question qui peut sembler provocatrice mais qui concerne tous les Arabes ou presque. Quelle différence y-a-t-il à vivre dans un pays privatisé par un dictateur et son clan et le fait de vivre dans un pays dominé par des puissances étrangères ? On me dira, « allons, et la souveraineté alors ? Et le prix payé pour l'indépendance ? ». Ma réponse est très simple : qu'est-ce que la souveraineté quand un peuple n'a pas de libertés ? Qu'est-ce que la souveraineté quand un peuple mendie et meurt dans les hôpitaux faute de médicaments de base ? Qu'est-ce que la souveraineté quand des hommes et des femmes préfèrent la mort en haute mer plutôt que de continuer à vivre dans le pays qui les a vu naître ?
Qu'est-ce que la souveraineté d'un pays quand ses dirigeants, qui ne cessent de parler de nationalisme et de défense de la nation, engrangent les millions d'euros dans des comptes à l'étranger, achètent hôtels particuliers, bars, restaurants et appartements de luxe à Paris, Dubaï ou New York ? Qu'est-ce que la souveraineté d'un pays quand ces mêmes dirigeants se compromettent à l'étranger et sont «tenus» par les services secrets de nombre de pays occidentaux qui connaissent, au détail près, l'ensemble de leurs malversations et détournements ? Finalement, un peuple arabe qui vit sous la dure férule d'un système dictatorial n'a que trois options possible. Il peut se révolter et espérer arracher seul sa liberté. Sinon, il ne lui reste que le choix entre deux dominations. Celle du tyran ou alors celle, directe ou non, de l'étranger.
Bien entendu, cette réflexion concerne aussi l'Algérie. Dans ce pays, comme ailleurs dans le monde arabe, on n'a peut-être pas pris la mesure de ce qui s'est passé au Soudan puis en Libye. Dans le premier cas, on réalise que les frontières héritées de la période coloniale ne sont plus un tabou. Dirigé par un dictateur soudain honni pour une raison ou pour une autre par la communauté international, un pays, arabe ou africain, peut désormais être découpé en tranches au nom de la défense d'une minorité qu'elle soit religieuse, ethnique ou même linguistique. La naissance du Sud-Soudan est donc un précédent majeur dont il serait temps de méditer les raisons et les conséquences futures.
Dans le second cas, la crise libyenne a montré que l'Otan peut très bien intervenir en Afrique du nord. En Libye aujourd'hui, en Algérie demain : plus rien n'est impossible. Durant des années, la diplomatie occidentale s'est attelée à rassurer les pays maghrébins en leur expliquant que la période de la canonnière coloniale était révolue à jamais. On voit bien que l'Histoire peut très bien se répéter. Se croire à l'abri grâce à sa fortune pétrolière, à ses liens supposés privilégiés avec tel ou tel service étranger ou grâce à la puissance supposée de son armée serait une erreur tragique. Tout peut partir d'un simple incident. Un village qui se soulève, une région qui s'embrase et réclame son autonomie, une autre qui revendique un meilleur partage des richesses, et les avions de l'Otan pointeront leur bec. Les Algériens passeront alors d'une servitude à une autre
Comment éviter cela ? Il n'y a pas mille et une solutions. Il s'agit de rassembler les Algériens. Non pas en leur servant une énième logorrhée nationaliste auquel plus personne ne croit. Mais en entrant dans une vraie transition démocratique. En écoutant le peuple, en respectant ses demandes de liberté, de respect et de dignité. En garantissant la liberté d'expression au lieu de prévoir des peines de prison pour les journalistes. En cessant de se prendre pour des savants omniscients capables d'imposer leur volonté au monde entier. Voilà ce qu'il faut attendre et exiger des dirigeants algériens pour qu'ils évitent le pire à leur pays, à leur peuple et à eux-mêmes. Sauront-ils prendre la mesure de la situation ? Sauront-ils (enfin) entendre ? Là est toute la question
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Akram Belkaïd
Le Quotidien d'Oran, jeudi 25 août 2011
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2 commentaires:
J'ai beaucoup apprécié cette edito et je partage pas mal de points.
septiemewilaya.wordpress.com
Fidèle lecteur du Quotidien d’Oran où j’appréciais grandement votre tribune, je dois avouer cette fois ci avoir été vraiment déçu et choqué par sa teneur. Vous appuyez une intervention étrangère pour déposer un tyran en croyant promouvoir la démocratie et la liberté. Il est clair que Kadhafi était une merde, mais il l’était pour tout le monde. Quant au CNT, ça ne doit pas sentir la rose au vu de sa composition, des questions de représentativité qu’il pose, les fréquents mensonges de leurs leaders et de leur insistance à recourir à l’OTAN alors que Kadhafi est à terre. On ne rappellera pas assez l’énigme sur l’identité toujours tenue secrète des 13 membres du CNT. Et puis le comportement des rebelles face aux émigrés nord africains et subsahariens systématiquement persécutés et traités de mercenaires n’est pas fait pour rassurer sur l’avenir des droits de l’homme en libye. Vous faites le pari de voir les libyens préserver leur souveraineté pour relativiser ensuite l’importance de cette dernière devant la conquête de la liberté. Pour moi la liberté de jouir de ses droits hormis ceux liés à la souveraineté n’est pas une liberté et ce quoi que vous en pensiez. J’espère pour vous et l’OTAN que vous n’auriez pas à vous sacrifier jusqu’au dernier libyen. Reconnaissez que la société civile libyenne a perdu à l’heure actuelle toute visibilité au bénéfice de jeunes frimeurs en casquette et lunettes peu avares en munitions au cours de leur quotidienne fantasia médiatique. Et alors, que proposer? Me direz vous. Le problème est que toutes les solutions alternatives comportant la neutralisation de Kadhafi ont été rejeté par le CNT. Concernant l’Algérie, Je soutiens avec vous le rejet du discours nationaliste mais il faudra aussi avoir le courage de détruire le tabou du discours lénifiant sur le peuple héros parfait, tant de fois galvaudé par le FLN et que semblent reprendre beaucoup de monde dans notre opposition (voir la satyre quotidienne d’El Guellil du Quotidien d’Oran). Je doute par ailleurs que la démocratie sans un état fort ne soit pas suffisante pour nous éviter ce que vous redoutez. Au vu des frustrations vécues depuis l’indépendance, se soulever par mimétisme en Algérie par une révolution radicale serait fatale au pays. Par contre travailler le système en concentrant à chaque fois nos forces sur un objectif bien déterminé peut faire bouger les choses. Par exemple, le délit de presse étant dépénalisé, harceler maintenant le pouvoir pour la création de médias lourds indépendants dans un premier temps puis s’occuper une à une des institutions qui pâtissent du dirigisme en ayant bien en vue que l’Algérie n’a pas encore 50ans.
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