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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 29 août 2013

La chronique du blédard : Quelques réflexions à propos de la Syrie

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 29 août 2013
Akram Belkaïd, Paris    
   
On le sait, la vérité est toujours la première victime de la guerre. Le cas syrien n'échappe pas à cette règle. Il y a tant d'informations contradictoires qui circulent qu'il est difficile de se faire une opinion à l'heure où s'annonce une intervention militaire occidentale contre le régime de Bachar el-Assad. Dans ce genre de situation confuse, le journaliste doit reconnaître qu'il est impuissant puisque ses écrits sur le sujet relèvent le plus souvent de ses propres convictions plutôt que d'informations fiables et recoupées dont il disposerait. Même les confrères présents sur le terrain, l'avouent à demi-mots : il est très difficile pour eux de comprendre ce qui se passe et, surtout, de ne pas prendre parti en veillant à une stricte objectivité.

Mais il est des éléments que l'on ne peut ignorer. Le plus important d'entre eux est que la nature du pouvoir syrien ne plaide pas pour lui. Brutal, violent, sanguinaire, capable des pires atrocités contre son peuple et ses opposants, qu'ils soient ou non islamistes, le régime de Damas n'a que trop duré et sa chute est souhaitable et nécessaire. A ce sujet, il est plus qu'étonnant de voir nombre de commentateurs, y compris en Algérie, présenter Assad et sa clique comme de véritables héros de la cause arabe ou, plus exactement, de la " résistance arabe ". Ainsi, le président, héritier de son tyran de père, serait le dernier rempart contre la mise sous tutelle totale du Moyen-Orient par Israël et son protecteur (ou, en réalité, auxiliaire ?) américain. C'est (vite) oublier des épisodes comme le massacre du camp palestinien de Tel al-Zaatar en 1976, la participation syrienne à l'invasion de l'Irak en 1991 et même, plus près de nous, la neutralité bienveillante de Damas à l'égard de la coalition occidentale lors de la guerre en Irak en 2003. En clair, le régime syrien n'a jamais rien défendu d'autre que lui-même et si des hommes et des femmes ont pris les armes contre lui c'est bien parce qu'il a toujours refusé la moindre contestation politique et qu'il n'a accepté aucune ouverture démocratique.

Le bombardement de la ville de Hama en 1982 a montré que ce régime n'a pas eu la moindre hésitation à recourir à la force brutale quand il s'agissait de faire un exemple et de terroriser ses opposants. C'est pourquoi on est en droit de le suspecter d'avoir bien eu recours aux gaz de combat contre la population civile le 21 août dernier. Bien sûr, il faut attendre les résultats définitifs de l'enquête de l'ONU (à condition que cette dernière arrive à son terme…) mais il y a trop de faisceaux convergents pour ne pas accréditer la thèse de la culpabilité. Oui, le régime de Damas est certainement coupable d'avoir utilisé des armes chimiques contre des populations civiles mais le présent chroniqueur mentirait s'il n'avouait pas son malaise. Disons les choses franchement. Le souvenir des mensonges de 2003 concernant l'existence d'armes de destructions massives en Irak reste très prégnant. Quand l'administration américaine, soutenue par ses alliés européens, crie haut et fort qu'elle détient la vérité, c'est-là que des clignotants s'allument et qu'il convient d'être vigilant. Face à un tel unanimisme médiatique en faveur d'une intervention militaire on ne peut qu'être prudent et méfiant surtout quand cet unanimisme est conforté par quelques figures des plus suspectes qui vont de plateaux en plateaux pour expliquer pourquoi il est urgent de frapper Damas. Il faudrait être naïf pour croire que c'est le bien-être des Syriens qui leur importe.

Le fait même que les divisions au sein du monde arabe à propos de la Syrie soient passées sous silence en Occident pose problème. Prenons le cas de l'Algérie. Par anti-impérialisme, une grande majorité d'Algériens est opposée à une intervention militaire en Syrie. Et nombreux même sont ceux qui soutiennent ouvertement Assad. Cette réalité pose problème à la propagande pro-guerre car elle remet en cause l'idée d'une attaque militaire qui serait unanimement soutenue et saluée dans le monde arabe. Plus important encore, elle oblige aussi à relativiser la thèse d'un affrontement global entre sunnites et chiites. Les Algériens, comme les Tunisiens et les Marocains, sont sunnites mais, qu'on le déplore ou non, cela n'empêche pas leur sympathie d'aller vers Assad l'alaouite et le Hezbollah. Celles et ceux qui, en Occident, pensent qu'une attaque contre le régime syrien sera saluée au Maghreb ou même en Egypte, feraient mieux de nuancer leur jugement et d'anticiper les réactions anti-occidentales que cela provoquera.

Enfin, il faut aussi se pencher sur l'agitation annonciatrice de l'intervention militaire occidentale. " On va frapper… ", " on y est presque… ", " attention, on arrive… " semblent répéter Washington et ses alliés. Est-ce une manière d'avertir Damas de se préparer à encaisser quelques représailles rendues nécessaires après l'indignation générale provoquée par les massacres du 21 août ? Des représailles pour la forme, comme par exemple des tirs de missiles à partir de la côte, histoire de donner le change sans pour autant s'engager dans une aventure militaire aux conséquences imprévisibles notamment en ce qui concerne les réactions russe et chinoise ? En sport, on connaît le concept de " passe téléphonée ", celle que l'adversaire a tout le temps d'intercepter. Et si l'Occident nous préparait, là-aussi, une intervention militaire " téléphonée " ? La réponse à cette question, nous l'aurons dans quelques jours. En attendant, gare aux manipulations et aux effets de théâtre d'ombres.
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1 commentaire:

Akram Belkaïd a dit…

Commentaire d'un ami, transmis par mail :

"Cher Ami,




Hélas les peuples arabes ne sont plus maîtres de leurs destins. Les élites totalement coupées des réalités et incapables de penser le changement de façon autonome, sans prêter le flan aux dictatures ou aux tentations hégémoniques occidentales.





Une tragédie en somme qui nous condamne à une certaine impuissance qui transparaît clairement dans ton papier.




Que faire ?




Le rejet de toute intervention étrangère n'est pas une coquetterie intellectuelle ou une attitude de confort intellectuel. L'Occident a depuis un moment sapé "ses" propres valeurs, celles de l'universalisme humaniste. L'expérience historique ou récente prouve que toute intervention cause encore plus de malheurs pour les peuples qu'ont voudrait "libérer".




Dire cela ne signifie pas se ranger du côté des dictatures nationalistes qui n'ont de "nationalistes" que le nom et qui ont longtemps dégénérées en "ploutocraties maffieuses".




Le travail intellectuel et politique, de mon point de vue, est de ( re)puiser dans les mouvements de libération nationale les ressources qui nous permettront de repenser le projet national en un authentique projet de démocratisation politique mais aussi économique et sociale.




Facile à dire?




Peut-être. Car, il est vrai, cela dépend d'une disponibilité au changement chez les élites dirigeantes, ou tout au moins chez une partie d'entre-elles.


Mon optimisme ( de volonté ! ) se nourrit de cette hypothèse.

Sinon, c'est la fatalité qui nous submergera.

Samir