Cet article est paru dans le Fil Expert du site Fait-religieux.com le 10 juillet 2013. Pour en savoir plus sur les services offerts par ce site : cliquez ici.
Après les polémiques et les procès d'intention le temps est-il venu pour l'apaisement et le consensus autour du projet du Louvre d'Abou Dhabi ? Officiellement lancé en 2007 par le biais d'un accord entre le gouvernement français et celui de l'émirat, le futur musée, d'un coût estimé à 90 millions de dollars, a très vite fait l'objet de critiques virulentes en France. Nombre de personnalités, dont Françoise Cochin, l'ancienne directrice du musée d'Orsay, y ont vu un manquement à l'éthique des musées. Abou Dhabi est en effet capable, de par sa puissance financière, d'acquérir pour son compte, et par le biais des conseils de l'Agence France Museums, des oeuvres convoitées par le Louvre parisien ou d'autres musées français voire occidentaux. Dans le même temps, nombreux ont été les commentateurs qui se sont interrogées, parfois non sans ironie, sur la capacité d'un État musulman, plutôt rigoriste et conservateur, à accepter que n'importe quelle oeuvre soit exposée sur son sol et cela qu'il s'agisse de nus ou de scènes relatives à une autre religion que l'islam.
A ce jour, le chantier du musée conçu par l'architecte français Jean Nouvel avance au ralenti et l'inauguration a été repoussée à 2015 en raison des conséquences de la crise financière de 2010 qui a obligé Abou Dhabi à se porter au secours de son voisin Dubaï menacé par une faillite retentissante. Une pause qui n'a pas freiné le rythme des acquisitions pour le futur musée et cela sans que cela ne génère de nouvelles critiques. Selon les officiels émiratis, le Louvre Abou Dhabi disposerait déjà de près de 150 oeuvres sur les 400 prévues pour l'ouverture. Et, pour donner un avant-goût de ce que sera le futur musée, une exposition se tient actuellement sur l'île de Saadiyat (« l'île du bonheur »), dans un site provisoire où sont présentées les ambitions culturelles de l'émirat. En effet, outre le Louvre, le district culturel de Saadiyat accueillera le Guggenheim Abou Dhabi dont l'architecte est Frank Gehry, le musée national Sheikh Zayed consacré à l'histoire des Émirats et confié à Norman Foster, un musée maritime construit par Tadao Ando et enfin un Centre des arts (Performing Art Center) conçu par l'architecte anglo-irakienne Zaha Hadid.
Intitulée « Birth of a Museum », (« naissance d'un musée »), l'exposition qui court jusqu'au 20 juillet se veut une découverte du futur Louvre Abou Dhabi et présente 130 oeuvres acquises depuis 2009. « Son propos, notent ses concepteurs, se construit autour de quelques grandes questions artistiques et esthétiques qui dévoilent d'ores et déjà les principes au coeur de l'identité du Louvre Abu Dhabi : l'universalisme, la mise en regard des témoignages artistiques des grandes civilisations » cela sans oublier « une relecture de l'art singulière et originale ». Ouverte gratuitement au public, l'exposition permet au visiteur d'admirer quelques pièces rares dont le Portrait de Dame de Picasso (1928) ainsi que plusieurs tableaux de Gauguin.
Une ouverture aux autres religions
Mais ce qui attire immédiatement l'attention c'est l'espace dédié au sacré. Au même endroit et sous verre, sont présentées des références aux trois religions monothéistes. Y figure ainsi une section d'un Coran du 13e siècle, un exemplaire du Pentateuque, la Torah, découvert à Sanaa, au Yémen, en 1804, ainsi qu'une petite sculpture en ivoire d'éléphant datant du 14e siècle et représentant une scène de la vie du Christ. Dans la même pièce, sont aussi exposées une sculpture religieuse soninké (1228), une statue en bois du Christ montrant ses plaies (1515) et un Shiva dansant en bronze du X° siècle. « Tout cela peut paraître normal aux yeux d'un visiteur occidental mais pour nous autres émiratis, c'est une révolution silencieuse, confie Ahmed D., un homme d'affaires d'Abou Dabi présent sur les lieux et accompagné de ses deux enfants. C'est la première fois de ma vie que je vois exposé dans mon pays une statue du Christ. Même mes enfants qui vont dans une école privée occidentale sont étonnés. Normalement, une telle représentation est interdite. D'abord, parce qu'il s'agit d'un prophète que l'islam reconnaît. Ensuite, parce que certains affirment que tout ce qui touche aux deux autres religions monothéistes ne doit pas être exposé et je ne vous parle même pas de Shiva que beaucoup de personnes peuvent prendre, par ignorance, pour une divinité antéislamique ! ».
D'autres visiteurs, des Égyptiens installés dans l'émirat depuis plus de vingt ans, s'attardent longuement devant les lettres hébraïques de la Torah. « On est peu habitués à voir cela », confie l'un d'eux. Présent sur place, un spécialiste français du marché de l'art décrypte la philosophie de l'exposition. « C'est pensé de manière éducative. Depuis son ouverture, cette exposition attire beaucoup les écoles de l'émirat. On voit bien qu'il s'agit d'éduquer les enfants à l'existence de l'autre. C'est un pari évident sur un futur plus tolérant à l'égard des autres religions ».
Dans une autre pièce, l'exposition poursuit cette option oecuménique qui reste très rare dans les pays du Golfe. C'est ainsi que les visiteurs peuvent y découvrir La Vierge à l'enfant de Giovanni Bellini, Le Bon Samaritain de Jacob Jordaens, Le voyage de Jacob de Jacopo Bassano, L'évanouissement d'Esther de Jean-François de Troy et, last but not least, Le Christ chassant les mendiants du Temple de Luca Giordano. Autant de signes d'ouverture mais qui amènent à s'interroger sur la manière dont ces oeuvres pourront ou pas être décryptées et restituées dans leur contexte religieux. « Pour aller jusqu'au bout de la démarche, il va falloir que l'émirat investisse en matière d'histoire de l'art à l'école », admet un officiel pour qui le Louvre Abou Dabi sera « une ouverture sur le monde » pour les émiratis et autres ressortissants du Golfe.
Reste la question du nu, notamment féminin, et de la censure qu'il pourrait provoquer. L'exposition en présente un, bien modeste il est vrai. Il s'agit de Vénus et Nymphes au bain de Louis Jean-François Lagrenée. Un chaste postérieur qui attire quelques regards et commentaires amusés des visiteurs. Rien de bien méchant si ce n'est la preuve que, même sur ce sujet, l'émirat d'Abou Dhabi est en train d'évoluer.
Après les polémiques et les procès d'intention le temps est-il venu pour l'apaisement et le consensus autour du projet du Louvre d'Abou Dhabi ? Officiellement lancé en 2007 par le biais d'un accord entre le gouvernement français et celui de l'émirat, le futur musée, d'un coût estimé à 90 millions de dollars, a très vite fait l'objet de critiques virulentes en France. Nombre de personnalités, dont Françoise Cochin, l'ancienne directrice du musée d'Orsay, y ont vu un manquement à l'éthique des musées. Abou Dhabi est en effet capable, de par sa puissance financière, d'acquérir pour son compte, et par le biais des conseils de l'Agence France Museums, des oeuvres convoitées par le Louvre parisien ou d'autres musées français voire occidentaux. Dans le même temps, nombreux ont été les commentateurs qui se sont interrogées, parfois non sans ironie, sur la capacité d'un État musulman, plutôt rigoriste et conservateur, à accepter que n'importe quelle oeuvre soit exposée sur son sol et cela qu'il s'agisse de nus ou de scènes relatives à une autre religion que l'islam.
A ce jour, le chantier du musée conçu par l'architecte français Jean Nouvel avance au ralenti et l'inauguration a été repoussée à 2015 en raison des conséquences de la crise financière de 2010 qui a obligé Abou Dhabi à se porter au secours de son voisin Dubaï menacé par une faillite retentissante. Une pause qui n'a pas freiné le rythme des acquisitions pour le futur musée et cela sans que cela ne génère de nouvelles critiques. Selon les officiels émiratis, le Louvre Abou Dhabi disposerait déjà de près de 150 oeuvres sur les 400 prévues pour l'ouverture. Et, pour donner un avant-goût de ce que sera le futur musée, une exposition se tient actuellement sur l'île de Saadiyat (« l'île du bonheur »), dans un site provisoire où sont présentées les ambitions culturelles de l'émirat. En effet, outre le Louvre, le district culturel de Saadiyat accueillera le Guggenheim Abou Dhabi dont l'architecte est Frank Gehry, le musée national Sheikh Zayed consacré à l'histoire des Émirats et confié à Norman Foster, un musée maritime construit par Tadao Ando et enfin un Centre des arts (Performing Art Center) conçu par l'architecte anglo-irakienne Zaha Hadid.
Intitulée « Birth of a Museum », (« naissance d'un musée »), l'exposition qui court jusqu'au 20 juillet se veut une découverte du futur Louvre Abou Dhabi et présente 130 oeuvres acquises depuis 2009. « Son propos, notent ses concepteurs, se construit autour de quelques grandes questions artistiques et esthétiques qui dévoilent d'ores et déjà les principes au coeur de l'identité du Louvre Abu Dhabi : l'universalisme, la mise en regard des témoignages artistiques des grandes civilisations » cela sans oublier « une relecture de l'art singulière et originale ». Ouverte gratuitement au public, l'exposition permet au visiteur d'admirer quelques pièces rares dont le Portrait de Dame de Picasso (1928) ainsi que plusieurs tableaux de Gauguin.
Une ouverture aux autres religions
Mais ce qui attire immédiatement l'attention c'est l'espace dédié au sacré. Au même endroit et sous verre, sont présentées des références aux trois religions monothéistes. Y figure ainsi une section d'un Coran du 13e siècle, un exemplaire du Pentateuque, la Torah, découvert à Sanaa, au Yémen, en 1804, ainsi qu'une petite sculpture en ivoire d'éléphant datant du 14e siècle et représentant une scène de la vie du Christ. Dans la même pièce, sont aussi exposées une sculpture religieuse soninké (1228), une statue en bois du Christ montrant ses plaies (1515) et un Shiva dansant en bronze du X° siècle. « Tout cela peut paraître normal aux yeux d'un visiteur occidental mais pour nous autres émiratis, c'est une révolution silencieuse, confie Ahmed D., un homme d'affaires d'Abou Dabi présent sur les lieux et accompagné de ses deux enfants. C'est la première fois de ma vie que je vois exposé dans mon pays une statue du Christ. Même mes enfants qui vont dans une école privée occidentale sont étonnés. Normalement, une telle représentation est interdite. D'abord, parce qu'il s'agit d'un prophète que l'islam reconnaît. Ensuite, parce que certains affirment que tout ce qui touche aux deux autres religions monothéistes ne doit pas être exposé et je ne vous parle même pas de Shiva que beaucoup de personnes peuvent prendre, par ignorance, pour une divinité antéislamique ! ».
D'autres visiteurs, des Égyptiens installés dans l'émirat depuis plus de vingt ans, s'attardent longuement devant les lettres hébraïques de la Torah. « On est peu habitués à voir cela », confie l'un d'eux. Présent sur place, un spécialiste français du marché de l'art décrypte la philosophie de l'exposition. « C'est pensé de manière éducative. Depuis son ouverture, cette exposition attire beaucoup les écoles de l'émirat. On voit bien qu'il s'agit d'éduquer les enfants à l'existence de l'autre. C'est un pari évident sur un futur plus tolérant à l'égard des autres religions ».
Dans une autre pièce, l'exposition poursuit cette option oecuménique qui reste très rare dans les pays du Golfe. C'est ainsi que les visiteurs peuvent y découvrir La Vierge à l'enfant de Giovanni Bellini, Le Bon Samaritain de Jacob Jordaens, Le voyage de Jacob de Jacopo Bassano, L'évanouissement d'Esther de Jean-François de Troy et, last but not least, Le Christ chassant les mendiants du Temple de Luca Giordano. Autant de signes d'ouverture mais qui amènent à s'interroger sur la manière dont ces oeuvres pourront ou pas être décryptées et restituées dans leur contexte religieux. « Pour aller jusqu'au bout de la démarche, il va falloir que l'émirat investisse en matière d'histoire de l'art à l'école », admet un officiel pour qui le Louvre Abou Dabi sera « une ouverture sur le monde » pour les émiratis et autres ressortissants du Golfe.
Reste la question du nu, notamment féminin, et de la censure qu'il pourrait provoquer. L'exposition en présente un, bien modeste il est vrai. Il s'agit de Vénus et Nymphes au bain de Louis Jean-François Lagrenée. Un chaste postérieur qui attire quelques regards et commentaires amusés des visiteurs. Rien de bien méchant si ce n'est la preuve que, même sur ce sujet, l'émirat d'Abou Dhabi est en train d'évoluer.
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