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Le Quotidien
d’Oran, jeudi 14 mai 2015
Akram Belkaïd,
Paris
En matière de
traitement journalistique des relations internationales, il existe des références
que l’on se doit toujours de mentionner pour donner une perspective historique.
Dans le cas des rapports entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, il est
impossible de ne pas citer le pacte du Quincy, du nom du navire de guerre
américain où le président Franklin Delano Roosevelt – de retour de la
conférence de Yalta – et le roi Ibn Seoud se sont rencontrés le 14 février
1945. L’accord qui fut conclu alors a structuré depuis les relations entre les
deux pays et a façonné la politique américaine dans le Golfe.
On connaît les
grandes lignes de ce document signé pour soixante ans et qui a été renouvelé
pour une durée similaire en 2005 sous la présidence de George W. Bush.
Washington s’est engagé à assurer la protection de la famille Saoud et du
royaume wahhabite, ce dernier ainsi que son leadership régional étant
considérés comme faisant partie des « intérêts vitaux » des
Etats-Unis. La contrepartie de ce « deal » est que l’Arabie Saoudite
se doit de garantir l’approvisionnement énergétique (pétrole et, éventuellement
gaz naturel) de son protecteur. Enfin, ce dernier est tenu de ne pas s’ingérer
dans les affaires internes de son « partenaire ».
Depuis quelques
temps, l’un des thèmes récurrents des analyses géopolitiques relatives à la
région du Golfe consiste à s’interroger sur la fin du fameux pacte. La raison
d’un tel bouleversement ? Les mauvaises relations actuelles entre le
royaume et l’administration Obama. Dernier épisode en date, la décision du roi
Salman (à 79 ans, il règne depuis janvier dernier après le décès du roi
Abdallah) de ne pas participer à une réunion à Washington entre les Etats-Unis
et les six monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG :
Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Oman). Le nouveau
souverain a aussi décliné l’invitation qui lui a été faite de se rendre à la
résidence de Camp David pour rencontrer Barack Obama dans un cadre plus intime
(outre la nécessité de mentionner la mauvaise santé du roi, on notera tout de
même la présence de deux hommes fort du royaume, le prince héritier Mohammed
ben Nayef – 55 ans et premier petit-fils du roi Saoud à accéder à un tel rang –
et Mohammed ben Salman, 35 ans – environ -, et futur prince héritier).
Les raisons de
la mauvaise humeur saoudienne sont connues. Riyad s’oppose à la normalisation
en cours des relations entre Washington et Téhéran. Engagé dans une véritable
guerre froide avec son adversaire chiite, le royaume wahhabite craint que les
Etats-Unis n’aient décidé de réviser leur stratégie dans le Golfe, un recentrage
qui pourrait à terme déboucher sur un bouleversement d’alliances dans la
région. De fait, les dirigeants saoudiens n’ont pas la mémoire courte. Ils se
souviennent de la manière dont l’Amérique a respectivement abandonné à leurs
sorts, le Chah d’Iran – qui était l’un de ses plus fidèles alliés – et, plus
récemment encore, le président égyptien Hosni Moubarak. Et c’est d’ailleurs
pour rassurer les membres du CCG, pour leur dire qu’ils ne seront jamais
abandonnés aux griffes de l’ennemi perse, que l’administration Obama a organisé
la rencontre de Washington (mais il n’est pas question pour l’Amérique de
signer un quelconque accord de défense avec le CCG et cela au nom du lien
stratégique qui la lie à Israël).
Disons-le tout
de suite, il est très peu probable que le pacte du Quincy soit remisé aux
oubliettes. Certes, les Etats-Unis ont moins besoin de l’Arabie saoudite sur le
plan énergétique et cela grâce au développement de l’exploitation des
hydrocarbures de schiste. De même, une évaluation dépassionnée des perspectives
de développement dans la région du Golfe persique montre que l’Amérique a tout
intérêt à se rapprocher de l’Iran, un « vrai » pays à la fois
héritier d’une civilisation pluri-millénaire et potentiel allié dans la
rivalité croissante entre Washington et Pékin.
Pour autant,
les Etats-Unis ont encore besoin de l’Arabie Saoudite (et de ses voisins du
CCG). D’abord, le royaume des Saoud reste un acteur de poids sur le marché
pétrolier, ayant la capacité d’influer sur les prix et de dicter sa stratégie
aux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Même si
les Etats-Unis n’achètent pratiquement plus d’hydrocarbures saoudiens, ils ne
peuvent se mettre à dos un partenaire qui possède les plus grandes réserves du
monde et qui a la capacité de semer la panique sur les marchés pétroliers de
Londres et de New York. On notera aussi que trois pétrodollars sur cinq
engrangés par les pays du Golfe finissent, d’une manière ou d’une autre, par
revenir dans les caisses de l’économie américaine…
Ensuite, il
convient de relativiser la mauvaise humeur saoudienne. Oui, Riyad semble pris
actuellement par un irrésistible sentiment de puissance. C’est un peu comme si
les dignitaires saoudiens entendaient signifier à leur protecteur que leur pays
et ses forces armées sont capables de se débrouiller seuls en faisant régner
l’ordre dans la région. L’intervention pour mater la révolte à Bahreïn en mars
2011 et la mise en place d’une coalition arabe pour lutter militairement contre
la rébellion houtiste au Yémen témoignent effectivement d’une certaine volonté
d’émancipation. Comme le faisait remarquer un chroniqueur de CNN, en modifiant
l’habituelle politique américaine dans le Golfe, Barack Obama a peut être
obligé les Saoudiens à « grandir un peu » et à cesser de penser que
l’Amérique sera toujours là pour faire les choses à leur place et, surtout, à
leur sauver la mise.
Pour autant, le
principe de réalité s’impose. Aucun pays, pas même la France de François
Hollande qui se voit déjà en parrain de la région, ne peut remplacer les 15.000
soldats américains stationnés dans le Golfe. Avec leur impressionnant arsenal,
ils sont la vraie force de dissuasion qui empêche l’Iran, ou même l’Irak, de
faire main basse sur les formidables ressources énergétiques de la péninsule
arabique. De même, il faut suivre avec attention ce qui se passe au Yémen. Pour
l’heure, l’intervention de la coalition menée par les Saoudiens ne s’avère
guère efficace sur le plan militaire. Que se passera-t-il en cas d’enlisement
de cette guerre par procuration que Riyad livre à l’Iran ? Que se
passera-t-il en cas de revers majeur pour les forces saoudiennes si elles
venaient à intervenir au sol ? A un moment ou un autre, Washington risque
fort d’être appelé à la rescousse ce qui lui permettra d’asséner aux
Saoudiens cette réplique hollywoodienne fort connue: « who’s your
daddy now ? ». A bien des égards, la mauvaise humeur de Riyad risque donc de n’être que passagère. Le temps, peut-être qu’un nouveau
locataire, moins conciliant avec l’Iran, ne s’installe à la Maison-Blanche en
janvier 2017…
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