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mardi 19 mai 2015

La chronique du blédard : Etats-Unis et Arabie Saoudite : feu, le pacte du Quincy ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 mai 2015
Akram Belkaïd, Paris

En matière de traitement journalistique des relations internationales, il existe des références que l’on se doit toujours de mentionner pour donner une perspective historique. Dans le cas des rapports entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, il est impossible de ne pas citer le pacte du Quincy, du nom du navire de guerre américain où le président Franklin Delano Roosevelt – de retour de la conférence de Yalta – et le roi Ibn Seoud se sont rencontrés le 14 février 1945. L’accord qui fut conclu alors a structuré depuis les relations entre les deux pays et a façonné la politique américaine dans le Golfe. 
 
On connaît les grandes lignes de ce document signé pour soixante ans et qui a été renouvelé pour une durée similaire en 2005 sous la présidence de George W. Bush. Washington s’est engagé à assurer la protection de la famille Saoud et du royaume wahhabite, ce dernier ainsi que son leadership régional étant considérés comme faisant partie des « intérêts vitaux » des Etats-Unis. La contrepartie de ce « deal » est que l’Arabie Saoudite se doit de garantir l’approvisionnement énergétique (pétrole et, éventuellement gaz naturel) de son protecteur. Enfin, ce dernier est tenu de ne pas s’ingérer dans les affaires internes de son « partenaire ».
 
Depuis quelques temps, l’un des thèmes récurrents des analyses géopolitiques relatives à la région du Golfe consiste à s’interroger sur la fin du fameux pacte. La raison d’un tel bouleversement ? Les mauvaises relations actuelles entre le royaume et l’administration Obama. Dernier épisode en date, la décision du roi Salman (à 79 ans, il règne depuis janvier dernier après le décès du roi Abdallah) de ne pas participer à une réunion à Washington entre les Etats-Unis et les six monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG : Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Oman). Le nouveau souverain a aussi décliné l’invitation qui lui a été faite de se rendre à la résidence de Camp David pour rencontrer Barack Obama dans un cadre plus intime (outre la nécessité de mentionner la mauvaise santé du roi, on notera tout de même la présence de deux hommes fort du royaume, le prince héritier Mohammed ben Nayef – 55 ans et premier petit-fils du roi Saoud à accéder à un tel rang – et Mohammed ben Salman, 35 ans – environ -, et futur prince héritier).
 
Les raisons de la mauvaise humeur saoudienne sont connues. Riyad s’oppose à la normalisation en cours des relations entre Washington et Téhéran. Engagé dans une véritable guerre froide avec son adversaire chiite, le royaume wahhabite craint que les Etats-Unis n’aient décidé de réviser leur stratégie dans le Golfe, un recentrage qui pourrait à terme déboucher sur un bouleversement d’alliances dans la région. De fait, les dirigeants saoudiens n’ont pas la mémoire courte. Ils se souviennent de la manière dont l’Amérique a respectivement abandonné à leurs sorts, le Chah d’Iran – qui était l’un de ses plus fidèles alliés – et, plus récemment encore, le président égyptien Hosni Moubarak. Et c’est d’ailleurs pour rassurer les membres du CCG, pour leur dire qu’ils ne seront jamais abandonnés aux griffes de l’ennemi perse, que l’administration Obama a organisé la rencontre de Washington (mais il n’est pas question pour l’Amérique de signer un quelconque accord de défense avec le CCG et cela au nom du lien stratégique qui la lie à Israël).
 
Disons-le tout de suite, il est très peu probable que le pacte du Quincy soit remisé aux oubliettes. Certes, les Etats-Unis ont moins besoin de l’Arabie saoudite sur le plan énergétique et cela grâce au développement de l’exploitation des hydrocarbures de schiste. De même, une évaluation dépassionnée des perspectives de développement dans la région du Golfe persique montre que l’Amérique a tout intérêt à se rapprocher de l’Iran, un « vrai » pays à la fois héritier d’une civilisation pluri-millénaire et potentiel allié dans la rivalité croissante entre Washington et Pékin. 
 
Pour autant, les Etats-Unis ont encore besoin de l’Arabie Saoudite (et de ses voisins du CCG). D’abord, le royaume des Saoud reste un acteur de poids sur le marché pétrolier, ayant la capacité d’influer sur les prix et de dicter sa stratégie aux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Même si les Etats-Unis n’achètent pratiquement plus d’hydrocarbures saoudiens, ils ne peuvent se mettre à dos un partenaire qui possède les plus grandes réserves du monde et qui a la capacité de semer la panique sur les marchés pétroliers de Londres et de New York. On notera aussi que trois pétrodollars sur cinq engrangés par les pays du Golfe finissent, d’une manière ou d’une autre, par revenir dans les caisses de l’économie américaine…
 
Ensuite, il convient de relativiser la mauvaise humeur saoudienne. Oui, Riyad semble pris actuellement par un irrésistible sentiment de puissance. C’est un peu comme si les dignitaires saoudiens entendaient signifier à leur protecteur que leur pays et ses forces armées sont capables de se débrouiller seuls en faisant régner l’ordre dans la région. L’intervention pour mater la révolte à Bahreïn en mars 2011 et la mise en place d’une coalition arabe pour lutter militairement contre la rébellion houtiste au Yémen témoignent effectivement d’une certaine volonté d’émancipation. Comme le faisait remarquer un chroniqueur de CNN, en modifiant l’habituelle politique américaine dans le Golfe, Barack Obama a peut être obligé les Saoudiens à « grandir un peu » et à cesser de penser que l’Amérique sera toujours là pour faire les choses à leur place et, surtout, à leur sauver la mise.
 
Pour autant, le principe de réalité s’impose. Aucun pays, pas même la France de François Hollande qui se voit déjà en parrain de la région, ne peut remplacer les 15.000 soldats américains stationnés dans le Golfe. Avec leur impressionnant arsenal, ils sont la vraie force de dissuasion qui empêche l’Iran, ou même l’Irak, de faire main basse sur les formidables ressources énergétiques de la péninsule arabique. De même, il faut suivre avec attention ce qui se passe au Yémen. Pour l’heure, l’intervention de la coalition menée par les Saoudiens ne s’avère guère efficace sur le plan militaire. Que se passera-t-il en cas d’enlisement de cette guerre par procuration que Riyad livre à l’Iran ? Que se passera-t-il en cas de revers majeur pour les forces saoudiennes si elles venaient à intervenir au sol ? A un moment ou un autre, Washington risque fort d’être appelé à la rescousse ce qui lui permettra d’asséner aux Saoudiens cette réplique hollywoodienne fort connue: « who’s your daddy now ? ». A bien des égards, la mauvaise humeur de Riyad risque donc de n’être que passagère. Le temps, peut-être qu’un nouveau locataire, moins conciliant avec l’Iran, ne s’installe à la Maison-Blanche en janvier 2017…
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