Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 juillet 2015
Akram Belkaïd, Paris
Il est à craindre que la date du 13 juillet 2015
demeure dans les annales de l’histoire européenne comme celle d’un jour de
honte et d’infamie. Un jour de vérité aussi où l’Union européenne, ou plus encore,
l’Union monétaire européenne, sont apparues sous un même et seul visage, celui
du diktat néolibéral et de la haine de la démocratie. Car comment qualifier
autrement cet accord que le Premier ministre grec Alexis Tsipras a signé avec
un Luger Parabellum collé à sa tempe ? Un accord imposé à la Grèce quelques
jours à peine après que son peuple a dit non par voie référendaire à
l’austérité…
Pour ne pas être exclue de la zone euro et pour
bénéficier d’un plan « d’aide » de trois ans, le gouvernement grec
s’est vu imposer une longue liste de conditions drastiques. Certaines sont
classiques et ressemblent à s’y méprendre aux mesures qui accompagnent
habituellement tout plan d’ajustement structurel concocté par le Fonds
monétaire international (FMI). Limitation des dépenses publiques, hausse de la
TVA, réforme fiscale, allongement de l’âge de la retraite et baisse des
pensions : la potion, amère, va continuer de faire des dégâts dans la
population grecque mais, de cela, les dirigeants européens, notamment
allemands, n’en ont cure.
« Une liste d’horreurs », c’est ainsi
que de nombreux médias occidentaux, pourtant peu suspects de sympathie pour les
idées de gauche du parti Syriza, ont qualifié l’accord du 13 juillet destiné
donc à prévenir un « Grexit », autrement dit une sortie de la Grèce
de la zone euro. Une liste d’horreurs et, surtout, une sorte de Traité de
Versailles où ce pays a été traité comme s’il venait de capituler et qu’il
convenait de le punir de la manière la plus dure qui soit pour qu’il ne
recommence plus. Recommencer quoi ? Certains diront que ce sont les
errements de la Grèce qui méritent punition, notamment le fait d’avoir vécu
au-dessus de ses moyens ou d’avoir maquillé ses chiffres afin d’entrer, puis de
rester, dans la zone euro (des dérives réelles mais pour lesquelles le parti
Syriza n’est pas responsable).
Mais, en vérité, ce qui est en jeu dans l’affaire
c’est de punir un peuple parce qu’il a « mal » voté. D’abord, en
portant au pouvoir Syriza en janvier dernier puis en se prononçant
majoritairement contre l’austérité prônée par l’axe Berlin-Bruxelles. Le
message est clair. Ce qui arrive à la Grèce aujourd’hui est aussi une mise en
garde à l’encontre des Italiens, des Espagnols ou des Portugais, des pays où la
colère contre les politiques d’austérité ne cessent de monter. Et ce qui a été
signifié à Tsipras durant de longues et éprouvantes négociations c’est qu’il
est le Premier ministre d’un pays qui n’est plus souverain. Un pays qui devra
privatiser pour 50 milliards d’euros d’actifs non pas pour se développer ou se
doter d’infrastructures mais pour rembourser ses créanciers et restructurer ses
banques. Le quotidien Bild qui réclamait des Grecs qu’ils vendent leurs îles (à
des tour-opérateurs allemands ?) peut enfin pavoiser…
Plus grave encore, l’accord prévoit qu’Athènes
devra soumettre tout projet de loi relatif à l’économie ou aux finances à ses
créanciers avant de le proposer au vote du Parlement (*). Voilà qui permet de mieux
nommer les choses. Cela s’appelle une mise sous tutelle ou encore une mise sous
protectorat. Cela rappelle l’Egypte ou la Tunisie du dix-neuvième siècle,
toutes deux étranglées par la dette avant de perdre leur indépendance. Les
temps changent mais les idées réactionnaires perdurent affirmant notamment que
certains peuples ne seraient pas dignes d’exercer leur libre-choix. Comment
oublier ces articles et ces déclarations racistes – le qualificatif n’est pas
trop fort – à l’égard des Grecs tout au long de ces dernières semaines ?
Le pire dans l’affaire, c’est que tout le monde
sait que ce plan triennal ne servira à rien. La Grèce est dans une situation
économique et financière dramatique – avec notamment une dette de 310 milliards
de dollars soit 177% de son Produit intérieur brut – qui va mécaniquement
gonfler en raison des intérêts. La solution idéale serait une remise des
compteurs à zéro, c’est-à-dire un effacement de la plus grande partie de cette
dette combinée à des mesures de relance mais aussi de réformes menées par le
gouvernement Tsipras. Ce n’est pas ce
qui est envisagé, loin de là, des dirigeants européens comme Wolfgang Schäuble
continuant même à plaider pour le Grexit, autrement dit pour que la Grèce soit
abandonnée à son sort.
Parmi les enseignements de cette grave crise, on
peut aussi relever que l’Union européenne ressemble de plus en plus à une
chimère. Ses idéaux de fraternité et de solidarité rabâchés à l’envi ne veulent
plus rien dire à l’aune de l’humiliation subie par la Grèce. On relèvera aussi
que la France, et c’est devenu une habitude, s’est distinguée par d’inutiles
gesticulations dilatoires avant de rentrer dans le rang (à l’image de ce qui
s’est passé d’ailleurs durant les négociations sur le dossier du nucléaire
iranien). In fine, la vraie
conclusion de toute cette tragédie, c’est que le vrai patron de l’Europe et de
la zone euro - l’unique patron - c’est
l’Allemagne. C’est elle qui décide, impulse et définit les lignes rouges à ne
pas franchir. Ce pays qui, en 1953, a bénéficié d’un effacement presque total
de sa dette de guerre – y compris celle contractée à l’égard de la Grèce –
impose désormais sa loi et sa manière de voir les choses (on relèvera que la
gauche allemande n’a guère pris ses distances avec Angela Merkel et Wolfgang
Schäuble). Et, en prenant toutes les précautions oratoires qui s’imposent pour
prévenir toute accusation de germanophobie, il est impossible de ne pas se dire
qu’une Allemagne devenue ivre de sa puissance (économique et politique) est une
très mauvaise nouvelle pour l’avenir de l’Europe.
(*) Cette chronique a été rédigée quelques heures
avant la décision du Parlement grec d’adopter l’accord du 13 juillet
2015.
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