Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 juillet 2015
Akram
Belkaïd, Paris
On
le donnait pour mort, privé de la plupart de ses moyens de pression,
décrédibilisé par son incapacité à prévenir les récentes crises financières.
Mais non seulement le cadavre bouge encore mais il semble avoir retrouvé une
nouvelle vie et sa forme des années 1980. Il s’agit, bien entendu, du Fonds
monétaire international (FMI) lequel est au centre de l’actualité en raison de
la crise grecque. Il faut se souvenir que, dans les années 2000, nombreux sont
ceux qui se demandaient à quoi allait bien pouvoir servir cette institution
tant décriée par les pays en développement.
C’était
l’époque où de nombreux pays, dont l’Algérie, avaient remboursé – parfois de
manière anticipée – leur dette contractée auprès du « grand argentier »,
expression consacrée et politiquement correcte préférée à celle de
« prêteur sur gages » or, en réalité, c’est bien cela qu’est le FMI. Le
panorama était alors pour lui déprimant. Aucune crise financière majeure à
gérer, des pays jadis fauchés devenus moins demandeurs de capitaux grâce à la
forte hausse de la majorité des matières premières, notamment le pétrole, le métaux
et les denrées agricoles : le « banquier global » (autre
appellation) frisait le chômage technique.
Et
c’était d’autant plus vrai qu’il faisait aussi face à la concurrence de la
Chine en Afrique. Pour mémoire, Pékin a accordé de nombreux prêts à des pays du
Continent sans imposer les mêmes exigences en matière de réformes structurelles
que l’institution de Washington. Cette dernière a bien protesté, essayé de
convaincre les Etats-Unis et l’Europe de faire pression à la fois sur le
prêteur et les emprunteurs mais en vain. En Afrique comme en Asie, le FMI avait
perdu son monopole. Cela ne veut pas dire que la Chine, et d’autres pays
émergents prêteurs comme le Brésil, n’avaient pas d’arrière-pensées (comme la
sécurisation des gisements miniers) mais, au moins, n’exigeaient-ils aucune
réforme douloureuse de leurs partenaires.
Aujourd’hui,
la situation a changé. Comme le montre la crise grecque, le FMI s’est trouvé
une nouvelle jeunesse et renoué avec ses comportements d’antan :
inflexible, arrogant, donnant, sans honte, des leçons au peuple grec en matière
de fiscalité – alors que les cadres dirigeants du Fonds ne paient pas d’impôts…
- et acculant la Grèce dans les cordes au risque de la faire sortir de la zone
euro et de provoquer une réaction en chaine que personne n’est capable de
prévoir aujourd’hui. Au passage, on ne peut que déplorer le fait que les
Européens ont commis une erreur magistrale en permettant au FMI de participer
au premier sauvetage de la Grèce durant la période 2009-2010. C’était faire
entrer le loup dans la bergerie alors que les Européens, ou du moins les
membres de la zone euro, auraient dû régler cette affaire entre eux. A moins
que certaines capitales, dont Berlin, aient voulu qu’un père fouettard
extérieur fasse un exemple au sein de la « famille » de la monnaie
unique…
Les
partisans de l’attitude du FMI à l’égard d’Athènes mettent en avant la
nécessaire orthodoxie financière. La nécessité pour celui qui s’endette de
payer ce qu’il doit et la nécessité pour le Fonds de s’assurer qu’il aura les
moyens de le faire (quitte à sabrer dans les budgets de la santé et de
l’éducation…). D’autres thuriféraires de « l’institution de Bretton
Woods » (appellation fréquente) mettent en avant que le FMI ne peut pas
accorder un traitement privilégié à la Grèce sans provoquer la colère d’autres
pays qui ont eu affaire à lui. En clair, Christine Lagarde, sa directrice
générale, et ses équipes doivent cogner parce qu’elles ont cogné ici et là. Ce
ne serait donc pas pour complaire à l’Allemagne que « l’encaisseur
global » reste ferme face au gouvernement Tsipras mais pour ne pas
provoquer l’ire de l’Argentine ou de l’Indonésie. Qui peut croire à ce genre de
fadaise (démentie d’ailleurs par l’ambassadrice d’Argentine en France) ?
Soyons
clairs, ce qui fonde l’action du FMI, c’est l’idéologie. Et ce qui se joue
dépasse de loin la simple équation financière et budgétaire d’un pays qui a
longtemps vécu au-dessus de ses moyens et à qui les banques ont prêté sans
vraiment réfléchir à ce qu’elles faisaient. Dans ce qui se trame autour de la
Grèce, c’est la nécessité de punir un gouvernement de gauche jugé hermétique ou
hostile aux thèses néolibérales. C’est jouer le pourrissement pour que, de
guerre lasse, le peuple retire sa confiance à ceux qu’il a élu. C’est jouer
l’instabilité et, en passant, adresser un message explicite à d’autres peuples
européens qui pourraient avoir la mauvaise idée de voter de la même manière. Et
l’on sait comment tout cela peut se terminer. Par une grave crise politique
voire par une victoire future de l’extrême-droite.
Le
FMI joue aussi avec le feu en Tunisie. Voilà un pays qui chancelle, où le
manque d’amélioration économique renforce la désespérance des jeunes ce qui ne
peut qu’alimenter le terrorisme. On le sait, la Tunisie a besoin d’une aide
multiforme à commencer par plusieurs milliards de dollars – au moins une
dizaine – pour équilibrer les comptes, investir dans les infrastructures et
relancer la machine économique. Au lien de cela, le FMI chicane et pérore. Son
message est simple : point de réformes structurelles – autrement dit de
nouveaux sacrifices pour la population – point d’argent (si peu d’argent,
d’ailleurs…). Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que ce pays soit submergé et
qu’un régime théocratique s’y installe ? Il est vrai que l’islamisme
politique s’accommode fort bien des dogmes néolibéraux…
Au
milieu des années 1990, le FMI a voué aux gémonies la Malaisie parce que son
gouvernement a décidé le contrôle des changes pendant la crise asiatique. Le
Fonds s’en est pris ensuite aux politiques économiques de l’Argentine. Deux
décennies plus tard, des études pondues discrètement par les économistes de l’institution
reconnaissent que cette dernière s’est lourdement trompée. Idem pour
l’austérité prônée en Europe de l’Ouest après le choc de 2008 et que le Fonds juge
désormais trop radicale. Prenons le pari : dans quelques années, l’un de
ses inutiles fonctionnaires viendra nous expliquer que le FMI a manqué de
perspicacité dans les dossiers grec et tunisien. Mais il sera peut être trop
tard pour la démocratie…
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