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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 20 septembre 2016

La chronique du blédard : Le mystère Ben Laden


Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 septembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

Ce dimanche, cela fera quinze ans depuis les attentats du 11 septembre à New York et à Washington. Il est à peine nécessaire de rappeler quel impact ces attaques ont eu sur la marche du monde. La situation chaotique que l’on connaît aujourd’hui au Proche-Orient, notamment en Irak, est la conséquence d’une suite d’événements qui ont pour point de départ la destruction des tours jumelles. On sait que le 11 septembre 2001 fait partie des principaux thèmes dont se sont emparés les « complotistes » de tous genres. Certains doutent de la thèse officielle selon laquelle c’est l’organisation Al Qaeda qui est l’auteure de ces actes criminels. D’autres, jurent que le World Trade Center n’a jamais été percuté par des avions et tout ce monde est très actif sur la toile.

Depuis le printemps 2011, les conspirationnistes ont de nouveau arguments pour affirmer que « la vérité est ailleurs » comme l’affirmait la devise de la série X-Files laquelle s’est beaucoup nourrie des théories du complot et de la défiance du grand public à l’égard des gouvernements et de leurs services secrets. De fait, l’exécution extrajudiciaire, dans la nuit du 1er au 2 mai 2011, d’Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan, par un commando militaire américain demeure un événement entouré de zones d’ombres, d’interrogations et de manipulations. Certes, personne, ou presque, ne nie la disparition de celui dont la tête fut mise à prix par l’Amérique pour un montant de 25 millions de dollars. Il y a bien quelques farfelus qui jurent que l’homme coule des jours heureux à Dubaï ou en Malaisie mais Al Qaeda a elle-même reconnu le décès de son fondateur.

Rappelons la version officielle concernant cet « acte de justice » tel que l’a qualifié Barack Obama lors de la convention du parti démocrate en juillet dernier. C’est en recherchant l’un des messagers de Ben Laden que la CIA aurait réussi à localiser ce dernier. Une fois l’identification confirmée, il ne restait plus qu’à monter une opération clandestine menée par les commandos des forces navales américaines, les fameux SEAL’s (SEa, Air and Land Teams). Cette histoire, cette « légende » disent ses contempteurs, est d’ailleurs reprise sans nuances par le film Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow qui restera dans l’histoire comme le parfait exemple des liens incestueux entre Hollywood et la CIA (on y reviendra).

En réalité, et comme l’a prouvé un long article du journaliste d’investigation Seymour Hersh, ce récit est hautement improbable ou, du moins, il ne répond pas à des questions fondamentales (*). Cela concerne, entre autre, l’endroit où se trouvait la propriété abritant Ben Laden. Abbottabad est un lieu de villégiature au Pakistan où vivent de nombreux officiers supérieurs, d’active ou à la retraite, et où se trouve la principale académie militaire du pays, une sorte de « West Point » pakistanais. On a peine à croire que les autorités pakistanaises pas plus que l’ISI, les services secrets, ne savaient pas que l’homme le plus recherché du monde vivait tranquillement à moins de trois kilomètres de cette académie ( !).

On a aussi du mal à croire que deux hélicoptères transportant les SEAL’s aient pu pénétrer l’espace aérien pakistanais sans être repérés. Le doute s’accentue quand on sait qu’une fois l’opération (très bruyante) terminée, un seul hélicoptère (l’autre s’étant écrasé sur le lieu de l’intervention) a pu repartir sans jamais être inquiété et avec à son bord tous les commandos, la dépouille de Ben Laden et ses documents qui ont été récupérés durant l’opération). Les questions qui suivent restent donc sans réponse : Ben Laden était-il à Abbottabad sous la protection ou sous la surveillance (ou les deux à fois) des Pakistanais ? Et, quelle que soit la réponse, comment se fait-il que ce grand allié des Etats Unis ait pu prendre un tel risque vis-à-vis d’un partenaire qui lui fournit des aides militaire et diplomatique conséquentes ? De plus, comment se fait-il que le chef d’Al Qaeda vivait sans garde rapprochée ? Enfin, que savaient les autorités saoudiennes quand on connaît les liens forts qui existent entre le royaume wahhabite et le Pakistan ?

Il y a d’autres questions comme celles qui concernent l’étrange inhumation de Ben Laden dans l’océan indien après que sa dépouille a été transférée sur le porte-avion USS Carl Vinson (une cérémonie dont on attend encore les photos malgré les promesses de la Maison Blanche en 2011). Mais, la plus importante concerne la manière dont le chef d’Al Qaeda a été localisé. Seymour Hersh affirme, sans le prouver, qu’il a été dénoncé par un gradé pakistanais qui aurait touché une partie de la rançon avant de s’installer à Washington. La version officielle explique, comme indiqué plus haut, que c’est en repérant son « courrier » que la CIA a pu le repérer. Une explication bien commode qui présente notamment l’avantage de légitimer les actes de torture, dont les sordides simulations de noyade (waterboarding), pratiquées par l’agence américaine sur des milliers de suspects. En effet, et c’est le message que reprend à son compte le très docile Zero Dark Thirty : sans la torture, personne n’aurait livré le nom de ce messager et, sans ce nom, l’exécution de Ben Laden n’aurait pas eu lieu.

Sans oublier l’aspect moral mais aussi légal, le programme de torture mené dès 2011 contre les personnes suspectées d’appartenir à Al Qaeda, a été beaucoup critiqué aux Etats Unis pour son manque « d’efficacité », les renseignements récoltés étant, de l’aveu de nombreux cadres de la CIA, peu exploitables. Le récit officiel de la liquidation de Ben Laden a balayé ces critiques tandis que le film Zero Dark Thirty s’est chargé de populariser ce qui apparaît désormais comme étant « la » vérité » auprès du grand public.
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