Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 25 septembre 2016

La chronique économique : Orthodoxes contre hétérodoxes

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 septembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

C’est la grande polémique de la rentrée. Elle secoue le petit monde des économistes français où les oppositions, même les plus vives, sont généralement plus feutrées. A l’origine de l’affaire, la publication d’un livre par deux économistes, Pierre Cahuc et André Zylberberg, qui s’en prend avec une rare violence aux « hétérodoxes », comprendre celles et ceux qui ne partagent pas les idées dominantes en matière de libéralisme et de culte du marché (1). Pour résumer le propos – outrancier - des deux auteurs, on dira qu’ils affirment que les économistes orthodoxes sont les seuls que l’on doit prendre au sérieux puisqu’ils usent de méthodes scientifiques et expérimentales pour asseoir leurs travaux. Quant aux autres, c’est-à-dire les hétérodoxes, ceux qui alimentent en idées le mouvement altermondialiste ou bien encore, les adeptes d’une approche de l’économie plus en adéquation avec les sciences sociales – voire plus littéraire – ils sont voués aux gémonies et qualifiés de « négationnistes ». Autrement dit, ils seraient comparables à ceux qui nient la réalité de la Shoah… On appréciera la comparaison à sa juste valeur. Et les deux compères de souhaiter, parfois noms à l’appui, que leurs damnés confrères ne soient plus sollicités par la presse et que l’accès à l’enseignement leur soit interdit. Rien que ça…

Une véritable inquisition

Dans un premier temps, ce brûlot a reçu l’accueil favorable de nombre de publications toujours promptes à défendre et à relayer la pensée unique. Du quotidien Les Echos à l’hebdomadaire Challenges, l’ouvrage a été présenté comme une salutaire mise au point. Problème, de nombreux économistes, y compris des « orthodoxes » ont démoli ses arguments et pris leur distance avec ses thèses. On lira à ce sujet la réponse du mensuel Alternatives économiques, lui aussi étrillé par les deux inquisiteurs (2). Face à la vigueur des réactions, ces derniers, outranciers mais couards, ont tenté de faire machine arrière, expliquant que leur livre se voulait d’abord un plaidoyer pour la diversité des idées et des approches (amusant quand on sait à quel point la pensée hétérodoxe a du mal à se faire entendre…). De même, ont-ils affirmé que la recherche économique se devait d’être neutre sur le plan politique. On signalera juste au passage que l’un des deux auteurs, en l’occurrence Pierre Cahuc, a été un fervent soutien de la récente et très décriée loi sur le travail et qu’il n’a de cesse de vouloir prouver l’inefficacité de la réduction du temps de travail dans la lutte contre le chômage.

Un culot rare

A bien y réfléchir, la publication de ce livre n’est pas étonnante. Elle fait partie d’une stratégie de reconquête après quelques années de désarroi provoqué par la crise financière de 2008. Qu’on le veuille ou non, cette dernière a démontré à quel point l’économie dite orthodoxe s’est trompée en sacralisant, entre autre, les marchés financiers et leur fonctionnement prétendument efficient. Nombre d’économistes qui n’ont eu de cesse de vanter les mérites de l’ultralibéralisme auraient mérité de changer de métier et de se taire. Aujourd’hui, et alors que même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît qu’il s’est trompé sur plusieurs sujets (sur la convertibilité totale des monnaies ou sur les politiques d’austérité), ces charlatans qui veulent absolument faire croire que l’économie est une science exacte redressent la tête. Avec un culot rare, ils développent un bien curieux discours : certes, ils reconnaissent (parfois) s’être trompés mais jurent que, dans le fond, ils sont les seuls à posséder le savoir et les connaissances et qu’il faut donc continuer à leur faire confiance et n’écouter qu’eux. Les « médecins » du XVIII siècle qui tuaient leurs patients en leur infligeant des saignées à répétition ne disaient pas autre chose…

(1) « Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser », Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion.
(2) « Négationnisme économique » : l’affaire Cahuc, Christian Chavagneux, http://www.alterecoplus.fr, 12 septembre 2016


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