Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 septembre
2016
Akram Belkaïd, Paris
C’est la grande polémique de la rentrée. Elle
secoue le petit monde des économistes français où les oppositions, même les
plus vives, sont généralement plus feutrées. A l’origine de l’affaire, la
publication d’un livre par deux économistes, Pierre Cahuc et André Zylberberg,
qui s’en prend avec une rare violence aux « hétérodoxes », comprendre
celles et ceux qui ne partagent pas les idées dominantes en matière de
libéralisme et de culte du marché (1). Pour résumer le propos – outrancier -
des deux auteurs, on dira qu’ils affirment que les économistes orthodoxes sont
les seuls que l’on doit prendre au sérieux puisqu’ils usent de méthodes
scientifiques et expérimentales pour asseoir leurs travaux. Quant aux autres,
c’est-à-dire les hétérodoxes, ceux qui alimentent en idées le mouvement
altermondialiste ou bien encore, les adeptes d’une approche de l’économie plus
en adéquation avec les sciences sociales – voire plus littéraire – ils sont
voués aux gémonies et qualifiés de « négationnistes ». Autrement dit,
ils seraient comparables à ceux qui nient la réalité de la Shoah… On appréciera
la comparaison à sa juste valeur. Et les deux compères de souhaiter, parfois
noms à l’appui, que leurs damnés confrères ne soient plus sollicités par la
presse et que l’accès à l’enseignement leur soit interdit. Rien que ça…
Une véritable inquisition
Dans un premier temps, ce brûlot a reçu
l’accueil favorable de nombre de publications toujours promptes à défendre et à
relayer la pensée unique. Du quotidien Les
Echos à l’hebdomadaire Challenges,
l’ouvrage a été présenté comme une salutaire mise au point. Problème, de
nombreux économistes, y compris des « orthodoxes » ont démoli ses
arguments et pris leur distance avec ses thèses. On lira à ce sujet la réponse
du mensuel Alternatives économiques,
lui aussi étrillé par les deux inquisiteurs (2). Face à la vigueur des
réactions, ces derniers, outranciers mais couards, ont tenté de faire machine
arrière, expliquant que leur livre se voulait d’abord un plaidoyer pour la
diversité des idées et des approches (amusant quand on sait à quel point la
pensée hétérodoxe a du mal à se faire entendre…). De même, ont-ils affirmé que
la recherche économique se devait d’être neutre sur le plan politique. On
signalera juste au passage que l’un des deux auteurs, en l’occurrence Pierre
Cahuc, a été un fervent soutien de la récente et très décriée loi sur le
travail et qu’il n’a de cesse de vouloir prouver l’inefficacité de la réduction
du temps de travail dans la lutte contre le chômage.
Un culot rare
A bien y réfléchir, la publication de ce
livre n’est pas étonnante. Elle fait partie d’une stratégie de reconquête après
quelques années de désarroi provoqué par la crise financière de 2008. Qu’on le
veuille ou non, cette dernière a démontré à quel point l’économie dite orthodoxe
s’est trompée en sacralisant, entre autre, les marchés financiers et leur
fonctionnement prétendument efficient. Nombre d’économistes qui n’ont eu de
cesse de vanter les mérites de l’ultralibéralisme auraient mérité de changer de
métier et de se taire. Aujourd’hui, et alors que même le Fonds monétaire
international (FMI) reconnaît qu’il s’est trompé sur plusieurs sujets (sur la
convertibilité totale des monnaies ou sur les politiques d’austérité), ces
charlatans qui veulent absolument faire croire que l’économie est une science
exacte redressent la tête. Avec un culot rare, ils développent un bien curieux
discours : certes, ils reconnaissent (parfois) s’être trompés mais jurent
que, dans le fond, ils sont les seuls à posséder le savoir et les connaissances
et qu’il faut donc continuer à leur faire confiance et n’écouter qu’eux. Les
« médecins » du XVIII siècle qui tuaient leurs patients en leur
infligeant des saignées à répétition ne disaient pas autre chose…
(1) « Le négationnisme économique et
comment s’en débarrasser », Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion.
(2) «
Négationnisme économique » : l’affaire Cahuc, Christian Chavagneux, http://www.alterecoplus.fr, 12 septembre 2016
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