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Le Quotidien d’Oran, jeudi
1er septembre
Akram Belkaïd, Paris
Deux femmes en hidjab sont
chassées d’un restaurant de la région parisienne par un chef étoilé qui les
traite de « terroristes » et qui menace de les empoisonner si
elles persistent à vouloir être servies. Comme il fallait s’y attendre,
l’histoire a embrasé les réseaux sociaux et la vidéo de l’incident a tourné en
boucle. A l’inverse, les médias traditionnels, notamment les télévisions, sont
restés plutôt discrets et n’ont pas insisté. On pourrait se réjouir de cette
retenue car, après tout, il ne s’agit que d’un simple fait divers même si la
violence des propos du toqué est inadmissible. De nombreux internautes ont
d’ailleurs appelé au calme et demandé à ce que cette affaire ne prenne pas une
dimension exagérée. Le problème, c’est que l’histoire intervient juste après
l’hystérie à propos du burkini et il n’est pas faux d’estimer que télévisions,
presse écrite et radios, n’ont soudain retrouvé leurs esprits et l’éthique du
métier que parce qu’il s’agissait de deux femmes voilées… Car, après tout,
pourquoi ne pas consacrer des dizaines d’émissions à cet acte raciste et
islamophobe quand tant d’autres ont eu pour sujet principal le désormais
« maillot islamique » (appellation erronée mais sur laquelle on
reviendra en fin de texte) ?
Restons encore sur cette
affaire de restaurant – lequel a subi une avalanche de représailles sur
internet, étant notamment présenté dans certains guides en ligne comme un
élevage de porcs ou un lieu infesté de cafards. L’une des réactions de la
fachosphère à cette affaire mérite d’être relevée. Quel argument ont trouvé les
petits nazillons qui activent en force et en meutes sur la toile ?
« De toutes les façons, votre religion [comprendre l’islam] vous interdit
de sortir seules sans être accompagnées par un homme et de fréquenter des lieux
où l’on sert de l’alcool » a ainsi écrit l’un d’eux à l’adresse des deux
femmes. D’autres, aussi intelligents que lui, ont ironisé sur le fait qu’elles
entendaient manger dans un restaurant sans produit hallal. Restez à votre
place, restez archaïques, ne quittez pas la (supposée) case intégriste, tel est
le message.
Ces réactions ne sont pas
anecdotiques. J’en en retrouvé l’écho, plus ou moins dissimulé, dans les écrits
d’éditorialistes longtemps dits de gauche mais qui basculent de plus en plus
dans le camp vert de-gris en donnant du crédit à la théorie de
« l’islamisation de la France » ou à celle du « grand
remplacement » [celui des Français de souche par les immigrés musulmans]. Etrange
conception des choses, n’est-ce pas ? Si une femme porte le hidjab, c’est
donc qu’elle n’a pas le droit d’aller où bon lui semble. C’est ce que pensent les
fondamentalistes et les rétrogrades. Mais dans le cas présent, il s’agit de
l’avis de personnes qui ne cessent de se lamenter sur le triste sort des musulmanes. En réalité, ce qui leur est
insupportable, c’est le brouillage du schéma binaire habituel. C’est l’idée
que, voile ou pas, il y a qu’on le veuille ou non, une évolution moderniste
chez celles qui le portent. Ces dernières veulent participer à la vie de la
cité, ni plus ni moins : sortir, travailler, avoir des loisirs. Et il est
vrai, qu’en cela, elles transgressent la vision intégriste de l’islam. Au lieu
de s’en réjouir et de se dire que cette évolution mènera tôt ou tard à encore
plus de sécularisation des populations concernées, nombreux et nombreuses sont
celles qui refusent la réflexion et se contentent de faire de l’abandon du
voile une exigence et un préalable absolus.
Cette « évolution »,
certes discutable car elle est pleine de contradictions, concerne aussi le
burkini (on ne parle pas ici de ces femmes qui vont à la plage en burqa comme
le présent chroniqueur l’a raconté dans l’un de ses textes à propos du littoral
maghrébin). Si l’on s’en tient à une lecture fondamentaliste de l’islam, le
burkini n’est pas absolument pas halal (licite). Durant la polémique, peu de
personnes ont relevé le fait que son port allait même à l’encontre des
prescriptions de nombre de serial-fatwayeurs cela sans parler des groupes armés
radicaux dont la réaction serait d’exécuter les femmes qui le portent.
Question : est-il préférable qu’une femme reste à la maison ou qu’elle
puisse aller à la plage en portant ce maillot conçu par une designer australienne ?
Bien entendu, il ne s’agit pas de faire l’ingénu et de garder en tête que ce
qui pose problème avec le burkini ce n’est pas qu’il est parfois le seul moyen
pour que des femmes puissent aller à la plage mais qu’il devienne surtout le
vêtement de bain obligé (et imposé) de celles qui, jusque-là, n’avaient aucun
problème pour se baigner en maillot classique.
Terminons cette chronique
en évoquant la naissance annoncée de la « Fondation de l’islam de France ».
Il faudra revenir sur ce concept fumeux « d’islam de France » mais,
pour l’instant, relevons que sa présidence va échoir à l’ancien ministre de
l’intérieur Jean-Pierre Chevènement. L’homme est respecté et respectable mais
sa nomination pose tout de même un problème de fond. Pourquoi pas un musulman à
la tête de cette structure ? Est-ce pour rassurer l’électeur qui se dit
ainsi que les musulmans de France seront « bien tenus » ? Ou
alors, est-ce que parce que le gouvernement français estime qu’il n’existe pas
de personnalité à la fois laïque et de culture musulmane susceptible de faire
l’affaire (et de ne pas affoler l’opinion publique) ? Si tel est le cas,
on se dit que le bilan de cinquante ans de politique d’intégration doit être
bien maigre si un tel profil est impossible à trouver. En réalité, on retombe
dans ce qui est le mal profond de la relation de l’Etat français à
l’islam : la matrice coloniale et sa vision paternaliste sont toujours là
et ce n’est pas la présence au conseil d’administration de la Fondation de l'écrivain
Tahar Benjelloun, béni-oui-oui multidirectionnel, qui prouve
le contraire…
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