Le Quotidien d’Oran, mercredi 19 octobre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Vous connaissiez déjà Gazprom, il est temps de retenir le
nom de Rosneft, le premier producteur russe de pétrole avec 4 millions de
barils par jour. Alors que l’on parle beaucoup du géant gazier, notamment en
raison des tensions récurrentes d’approvisionnement, avec l’Ukraine et, par
ricochet, l’Union européenne (UE), le « major » russe poursuit une
expansion qui en fait l’un des poids lourds mondiaux du marché du brut. Et
aussi, un instrument géopolitique pour le Kremlin.
Deux opérations
majeures
Il y a quelques jours, Rosneft (détenu à 70% par l’Etat
russe) a ainsi conforté sa place de numéro un russe en rachetant la compagnie
pétrolière publique Bachneft pour un montant de 4,7 milliards d’euros. Une
manne bienvenue pour le gouvernement russe qui cherche à limiter son déficit
budgétaire mais qui confirme à quel point Rosneft est désormais incontournable.
« Ils ont fait la meilleure offre » a déclaré à ce sujet le président
Vladimir Poutine pour justifier cette opération qui n’est donc pas une vraie
privatisation puisqu’elle concerne deux groupes contrôlés par l’Etat. Au
départ, plusieurs ministres s’opposaient à ce deal, certains estimant que le
groupe privé Lukoil ferait mieux l’affaire.
C’était sans tenir compte du poids politique et économique
d’Igor Setchine, le patron de l’entreprise. Comme Poutine, dont il est un
proche, c’est un ancien du KGB et il a tâté de la politique avant de prendre en
main le groupe étatique. Et c’est sous l’impulsion de Setchine que Rosneft a
pris de l’importance et s’est diversifié. En 2013, à la surprise générale, le
pétrolier avait acquis le groupe TNK-BP ce qui lui avait conféré une visibilité
internationale. Aujourd’hui, Rosneft est la plus grande capitalisation
boursière russe (devant Gazprom !) puisqu’il pèse près de 60 milliards de
dollars. En début de semaine, le groupe s’est aussi illustré en déboursant avec
ses partenaires - le courtier européen Trafigura et le fonds russe United
Capital partners (UCP) - la somme coquette de 13 milliards de dollars pour
acquérir la branche pétrolière (dont des raffineries) du groupe indien (très
endetté) Essar.
Un outil géopolitique
Ces deux rachats démontrent que Rosneft est désormais un atout
stratégique et d’influence géopolitique pour l’Etat russe. Avec Bachneft, le
groupe contrôle désormais 40% de la production nationale d’or noir. La Russie
peut donc signifier à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep)
qu’elle a la capacité politique pour limiter ou non ses propres pompages de
brut. Une donnée importante quand on sait que le Cartel tente de convaincre
Moscou de s’associer à un mouvement de réduction de la production. Au cours des
dernières années, de nombreux analystes ont avancé l’idée que le pouvoir russe
perdrait de son influence sur les questions pétrolières en raison de la
privatisation progressive de ce secteur. Certes, et à en croire le discours
officiel, Rosneft est appelé à être privatisé à l’avenir, mais pour l’heure
cette compagnie demeure publique et donc soumise aux « orientations »
du Kremlin.
Avec l’achat d’Essar Oil, c’est un mouvement stratégique
d’ampleur que réalise Rosneft. Cela signifie que les intérêts pétroliers russes
prennent pied sur le marché indien ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les
exportateurs du Golfe. Jusqu’à présent, ces derniers représentent près des deux
tiers des approvisionnements en hydrocarbures de l’Inde. En contrôlant les raffineries locales,
Rosneft pourra modifier ses sources d’approvisionnements et concurrencer les
fournisseurs du Moyen-Orient. Un atout important quand on sait que la demande indienne
en pétrole (importée à 80%) est en train de supplanter celle de Chine. Avec
Rosneft, la Russie met donc un pied dans le pré-carré des exportateurs
pétroliers du Golfe et en ces temps de tensions géostratégiques, c’est tout
sauf anodin.
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