Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 septembre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Mentir, raconter n’importe
quoi et se dire que cela ne peut que marcher… Mentir, balancer des bobards
aussi imposants qu’un porte-conteneurs et se dire que cela paie et que la
question n’est même pas de savoir si des gogos vont les gober ou non. Mentir,
et distordre les faits en se répétant, comme le fit Goebbels en son temps, que
plus le mensonge est gros, mieux il passe. Bienvenue donc dans le nouveau
siècle, celui de la « post-vérité », terme qui fait désormais fureur
et qui résume le désarroi des médias face à la déroute de la vérité.
La vérité, mais quelle
vérité, dira-t-on ? Contentons-nous de répondre qu’il s’agit déjà de celle
qui s’établit aisément. Un homme politique, prenons l’exemple de Donald Trump,
affirme devant des millions de téléspectateurs qu’il s’est opposé à la guerre
d’Irak en 2003. Les journalistes qui font encore correctement leur travail
vérifient et se rendent compte que c’est faux et que ce n’est qu’à partir de
2004 que l’homme à la houppe a commencé à critiquer l’invasion. Des articles
sont publiés, des éditoriaux fustigent ce nouveau manquement à l’éthique. Rien
n’y fait. Au pays où, nous-a-t-on toujours dit, mentir conduit à l’échafaud,
prendre des libertés avec la vérité devient rentable. Ce n’est pas nouveau. Restons
chez l’oncle Sam et souvenons-nous des mensonges de l’administration Bush à
propos des armes irakiennes de destruction massive. Point d’arsenal mais une
invasion, un pays, aujourd’hui encore, à feu et à sang, et un président menteur
tranquillement réélu en novembre 2004.
Il y a une vingtaine
d’années, face aux mensonges répétés des hommes politiques ou des services de
communication des multinationales, la presse a cru trouver une parade
imparable. Le « fact-checking », autrement dit la vérification des
faits. La moindre affirmation, le moindre chiffre, étaient passés au crible de
l’enquête. Aujourd’hui, le fact-checking existe encore mais il ne sert presque
plus à rien. Les promoteurs du Brexit – la sortie de la Grande-Bretagne de
l’Union européenne – le savent bien, eux qui n’ont pas cessé de mentir durant
la campagne en avançant les promesses les plus farfelues et dont les
élucubrations ont été dénoncées, mais en vain, par une partie de la presse.
Mentir, donc. Et jouer sur
l’idéologie et l’émotion. Se dire que celles et ceux qui vous soutiennent
n’auront cure des appels à la raison, des démonstrations rationnelles et des
décryptages pointus. Les réseaux sociaux créent et diffusent l’anti-vérité au
nom d’une « autre » vérité. Impossible de les convaincre. Impossible
même de dialoguer. C’est fer contre fer, un point c’est tout. Demain,
peut-être, un candidat à l’élection américaine se fera élire en affirmant que
la terre n’est pas ronde mais plate. Il agrègera autour de lui les inévitables
tenants de diverses théories du complot mais aussi ses partisans
« normaux » qui, parce qu’ils partagent plusieurs de ses idées, ne
lui tiendront pas rigueur de ce genre de dérapage. Notons au passage, que les partisans
de la théorie de la terre plate sont nombreux, ils activent sur internet et,
triste réalité, il serait déraisonnable d’affirmer que tous sont mentalement
dérangés…
L’ère de la
« post-vérité » concerne surtout l’Occident qui découvre, effaré, que
la raison n’est jamais éternelle. Dans le monde arabe, là où le mensonge
officiel tient lieu de vérité non contestable, cela fait longtemps que les
affirmations les plus énormes peuvent être proférées sans que cela prête à
conséquence. Il est donc intéressant pour tout esprit progressiste de voir
comment des pays comme les Etats Unis, la France ou la Grande Bretagne vont
gérer cette évolution. On l’a vu, la presse traditionnelle, ou ce qu’il en
reste, est démunie. Elle a beau proposer des sites de
« fact-checking » et de « debunking », autrement dit de
débusquage de canulars et autres fausses théories, cela ne sert à rien. Sur
internet, on se réunit selon ses croyances, on partage les mêmes idées et ce
qui vient contrarier les convictions communes est purement et simplement
écarté. Alors, que faire ?
La tentation pour certains
Etats est de proclamer la vérité officielle et de pénaliser toute version qui dirait
le contraire quitte à tordre le cou au principe de liberté d’expression. On
sent bien que la chose est dans l’air et on devine l’effet catastrophique que
ce genre de coercition aurait. Imaginons, par exemple, le gain politique qu’un
Trump quelconque engrangerait si les sites niant la réalité du réchauffement
climatique venaient à être mis hors-la-loi… Reposons la même question : alors,
que faire ? En attendant que la presse puisse se réinventer et regagner
son crédit perdu, la première réponse qui vient à l’esprit est l’éducation.
Education à la lecture de la presse, éducation à l’usage d’Internet et des
réseaux sociaux. Cela signifie des politiques ambitieuses et sur le long terme.
Des programmes pédagogiques et des campagnes de sensibilisation. Cela veut dire
un engagement de tous pour la raison et la rationalité. Mais en ces temps
combinés d’austérité et de retour en force de maints charlatanismes, on se dit
que la tâche ne va pas être aisée.
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