Le Quotidien d’Oran,
jeudi 24 novembre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Ce sera donc Fillon contre Juppé. D’un côté, l’ex-« collaborateur »
de Nicolas Sarkozy – du moins, c’est ainsi que ce dernier qualifiait son
Premier ministre. De l’autre, celui qui fut le meilleur d’entre eux, « eux » désignant, selon Jacques
Chirac qui en fit son Chef du gouvernement, les multiples ténors de la droite
dite gaulliste. Fillon-Juppé donc, avec un avantage certain pour le premier
même si on sait désormais de quoi sont capables les sondeurs... En effet, au vu
du score de dimanche dernier, la messe semble dite en ce qui concerne les
primaires de la droite (et du centre) et il faudrait un miracle électoral pour
que le maire de Bordeaux batte le député de la deuxième circonscription de
Paris. Fillon qualifié... Halte aux cris et que l’on se garde de possibles désespérades. Quoi de plus normal qu’un
homme de droite pour représenter des gens qui partagent la majorité de ses
idées ?
Que le lecteur se rassure. Je ne vais pas lui infliger un
nouveau texte sur l’air du « kif-kif bourricot » à propos de
l’interchangeabilité idéologique entre Fillon et Juppé, notamment en ce qui concerne
les questions économiques. J’avoue néanmoins que la tentation est grande. C’est
d’autant plus vrai que nombre d’électeurs et de sympathisants de gauche se
lamentent depuis plusieurs jours sur le fait que Fillon sera le champion de la
droite (et du centre), lui l’ami de Poutine, d’Assad et de l’ultra-droitier
collectif La Manif pour Tous. « J’aurais préféré Juppé, il est moins réac
que Fillon » m’écrit ainsi un ami toulousain, plutôt gauche mollassonne.
Ah, et depuis quand choisi-t-on son adversaire ?
Cela me rappelle un peu ces amateurs de football qui croient
tellement peu en leur équipe qu’ils se prennent à espérer que le joueur vedette
de celle d’en face se blesse ou soit suspendu (ou que pris d’un accès de folie
subite, il ne marque volontairement un but contre son camp). C’est aussi comme
ces commentateurs sportifs pour qui les Bleus sont de potentiels champions du
monde mais qui souhaitent sans vergogne que le tirage au sort leur désigne des
adversaires comme le Costa Rica, l’Islande ou l’Ouzbékistan…
Car, ce qui est finalement intériorisé dans l’affaire, c’est
que la droite va l’emporter en avril prochain et qu’il convient de manœuvrer –
ou de prier – pour que son représentant le plus acceptable (par les électeurs
de gauche) aille s’installer pour cinq ans à l’Elysée. Imaginez les complaintes
auxquelles nous allons avoir droit si, comme nous l’annoncent les incorrigibles
sondeurs, on se retrouve avec un affrontement Fillon – Le Pen au second tour de
la présidentielle… Qui sait, ce sera peut-être l’occasion de trouver soudain
quelques qualités à celui qui entend rallumer le flambeau du thatchérisme… Mais
le rendez-vous printanier est encore loin et il reste la primaire de la gauche
pour nous distraire.
En attendant, il convient de s’arrêter sur l’un des éléments
ayant caractérisé ce premier tour droitier (et centriste). De nombreux
analystes expliquent qu’Alain Juppé a perdu beaucoup de voix en raison de la
campagne de dénigrement dont il a fait l’objet sur internet. La fachosphère, ce
marigot pestilentiel qui combine calomnies, menaces, désinformation et attaques
outrancières, s’est effectivement acharné à diffuser l’image d’un Juppé sous
influence de l’islam politique voir de l’islam tout court. Surnommé « Ali
Juppé » - on appréciera la finesse intellectuelle de la e-racaille
vert-de-gris -, le concerné a reconnu qu’il ne pouvait rien faire contre de
telles attaques.
Il est difficile de connaître l’impact réel de cette
campagne. Il est aussi difficile de prouver que des armées de trolls au service
de la Russie y ont contribué même si de nombreux indices permettent de le
penser. Mais une chose est certaine, c’est bien la première fois qu’une
élection en France est influencée, ne serait-ce qu’en partie, par le rapport,
imaginé ou fantasmé, de l’un des candidats à la religion musulmane. C’est un
précédent majeur et il y a fort à parier que cela va encore jouer en avril
prochain. Par le passé, des candidats ont été (bassement) attaqués sur leur vie
privée mais qu’ils passent au crible d’une exigence d’hostilité à l’égard de
l’islam est une première. Un homme politique qui accepte la construction d’une
mosquée dans sa ville sait déjà le prix électoral qu’il risque de payer. Mais
les choses vont désormais plus loin. Pour être élu, il va falloir prendre en
compte l’existence d’un activisme électronique islamophobe.
Il est évident que des tweets, des posts sur Facebook ou des
caricatures (on pense à celle de Juppé embrassant une babouche verte, autrement
dit le sommet de la créativité artistique) ne font pas le vote. Mais cela crée
un contexte. Un climat. Quel que soit le nom des candidats respectifs de la
droite et de la gauche, on vient d’avoir une nouvelle preuve que l’élection
présidentielle française est bien partie pour se dérouler dans une atmosphère viciée.
P.S : Impossible de terminer cette chronique sans
évoquer le double-kif de dimanche dernier. D’abord, Sarkozy éliminé (ne boudons
pas notre plaisir) et, ensuite et plus encore, les 0,3% de suffrages obtenus
par Jean-François - pain au chocolat - Copé. Mais soyons magnanimes et oublions
la référence aux viennoiseries. Comme jadis, pour les zigotos qui se
présentaient à l’élection présidentielle contre Ben Ali (officiellement pour
faire élire ce dernier…) voici donc comment il faudra appeler celui qui entend
tout de même continuer à faire de la politique (quel autre métier faire
sinon ?) : Jeff Zéro-virgule.
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