Le Quotidien d’Oran Mercredi 19 avril 2017
Akram Belkaïd, Paris
Assiste-t-on à la naissance d’un mouvement de fond qui va
déboucher sur la généralisation de la légalisation du cannabis ? La
question est posée depuis déjà 2014, date à laquelle l’Etat du Colorado aux
Etats Unis a franchi le pays, rapidement suivi par treize autres Etats dont la
Californie. Aujourd’hui, c’est le Canada qui se prépare à adopter une telle
réforme ce qui en fera le deuxième pays au monde à ne pas pénaliser l’usage récréatif
de cette plante après l’Uruguay (contrairement à une idée reçue, le cannabis
est juste toléré aux Pays Bays et non légalisé).
Une économie boostée…
Selon le cabinet Deloitte, la légalisation du cannabis aura
au Canada « autant d’impact sur l’économie que l’arrivée
d’Internet. » Les experts de cette société prédisent que cette activité
générera près de 16 milliards de dollars en raison de multiples impacts. Il y a
d’abord le fait que la dépénalisation de la consommation va permettre l’émergence
de toute une économie légale comme c’est déjà le cas dans le Colorado. Cafés,
restaurants, produits diététiques, textile mais aussi tourisme sont des
activités qui bénéficient de cette réforme.
Dans le même temps, l’Etat fédéral canadien compte faire de
substantielles économies avec la diminution des dépenses de sécurité et de
justice liées à la consommation de cannabis. En effet, les policiers n’auront
plus à poursuivre les simples consommateurs voire même les petits dealers dont
certains seront tentés de s’installer au grand jour (et de payer, par la même
occasion, des taxes et des impôts). De même, les multiples affaires judicaires
liées à la « petite consommation » n’auront plus lieu d’être ce qui
aura un impact certain sur le budget de la justice, l’encombrement des
tribunaux sans oublier celui des prisons.
… mais des trafics
qui persistent
Pour autant, la dépénalisation est-elle la recette miracle
pour mettre fin aux trafics et à la délinquance liée au cannabis ? C’est
peu probable et pour plusieurs raisons. D’abord, tous les pays n’avancent pas
au même rythme ce qui fait qu’une dépénalisation ici peut inciter des trafics
dans le pays voisin, un peu à l’exemple des commerces illégaux de cannabis
entre les Pays Bas et leurs voisins européens. Pour que la dépénalisation
fonctionne, il faudrait donc que le mouvement soit de grande ampleur ce qui est
loin d’être le cas.
Par ailleurs, et la situation du marché du tabac normal le
montre bien, la dépénalisation n’empêche pas les trafics. Si, demain, le
cannabis légal est trop taxé, les filières clandestines (et donc hors taxe)
continueront de fonctionner pour proposer des marchandi,ses à bas prix. De
plus, nombre de sites de production sont aux mains de mafias diverses et de
réseaux de trafiquants qui leurs sont liés. Les circuits légaux devront donc
trouver d’autres fournisseurs pour rester en conformité avec la loi. Dans les
pays où une telle culture est facile et peu onéreuse, la chose sera possible.
Elle le sera moins dans les aires géographiques où le recours à des serres et à
des équipements spécifiques est nécessaire.
Enfin, il ne faut pas négliger la capacité d’action des
réseaux criminels qui sont les meilleurs lobbyistes pour empêcher la
légalisation ou pour contribuer à ce qu’elle soit un échec économique. Certains
acteurs de ce marché interdit se recycleront certainement pour agir dans la
légalité. D’autres, pour qui le cannabis n’est qu’une marchandise parmi tant
d’autres, continueront de commercer dans l’ombre. Mais une chose est certaine,
le XXIème siècle sera celui du débat de fond quant à la légalisation du
cannabis.
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