Le Quotidien d'Oran, jeudi 6 avril 2017
Akram Belkaïd, Paris
Le lecteur qui suit
cette colonne – et que nous ne remercierons jamais assez pour sa fidélité – saisit
certainement le clin d’œil lorsque nous écrivons que le boutonneux à la voix en
perte d’octaves a encore sévi en obligeant le présent chroniqueur à subir le « débat »
entre les onze candidats à l’élection présidentielle française. Diffusé sur
CNews et BFMTV, mené par les très agitées et faussement impartiales Ruth
Elkrief et Laurence Ferrari, cet étrange exercice a, semble-t-il, passionné les
téléspectateurs puisqu’ils auraient été 10 millions (et moi, et moi) à le
suivre. A ce sujet, il paraît - on résiste à l’envie de reprendre le très
algérien « paraît-il que »
-, il paraît donc que l’engouement pour ce rendez-vous inédit a traversé la
Méditerranée et fait le bonheur du public maghrébin.
« C’est beau la démocratie » a même écrit à ce sujet un internaute
tunisien, peut-être lassé par les (longs, trop longs) talk-show de chez lui,
l’un d’entre eux, on le signale au passage, ayant récemment concerné les dégâts
de la vente pyramidale dans son pays, mais ceci est un autre sujet sur lequel
on reviendra peut-être. Démocratie ? De la démocratie, cette cacophonie où
le discours des uns et des autres était haché et parfois même inaudible ?
On ne voit pas très bien l’intérêt politique et citoyen de ce genre de
« performance ». Certes, ce fut effectivement un bel exercice de
liberté d’expression. Chacun a pu dire ce qu’il avait à dire, peut-être pas de
la manière qu’il espérait et certainement pas sur la durée qu’il entendait (ah,
ces deux voix de crécelles qui hurlaient « vous
avez dépassé le temps imparti ! »). Mais dans l’affaire,
l’expression du peuple, censée être l’un des piliers de la démocratie, n’a
guère eu de rôle à jouer.
A quoi sert ce genre
de spectacle ? On imagine que chacun des impétrants avait en tête ses
éléments de langage et ses messages à faire absolument passer. Certains, comme
Emmanuel Macron, ont parfois placé des phrases qui, à l’évidence, ont été
préparées à l’avance quand d’autres, on pense à Philippe Poutou, ont plus
improvisé même si, pour ce dernier, on devine qu’il avait déjà dans sa
cartouchière l’attaque frontale contre Marine Le Pen mais aussi François Fillon
- vous savez le candidat qui gagne treize mille euros et qui n’arrive pas à
épargner et qui est donc obligé de se faire payer des costumes par des amis (et
alors ?) et d’employer (vraiment ?) sa femme.
« Nous, quand on est convoqués par la
police, on n’a pas d’immunité ouvrière ». Le candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA)
et ouvrier à l'usine Ford de Blanquefort a déclenché les applaudissements du
public avec cette saillie qui fera date. Voilà, finalement, à quoi sert ce
genre de mise en compétition. Il faut parler fort, il faut cogner le voisin ou
la voisine, il faut caricaturer son propre propos parce que ce que le temps
manque et que la crécelle va passer la parole à quelqu’un d’autre. Il faut
trouver le moyen, en une poignée de secondes, de faire en sorte que le
spectateur garde en mémoire ce que l’on a balancé sans finesse ni retenue à
l’image du « la France est une
université du djihadisme » de Le Pen.
Autrement dit, au-delà
du caractère presque ludique de l’affaire, ce genre de spectacle n’a aucun
intérêt si ce n’est de faire croire que la télévision a encore de l’influence
sur les joutes politiques. Il est même affligeant de se rendre compte que le
débat électoral a été transformé, l’espace d’une soirée, en stand-up, façon
Jamel comedy club. Les sondages disent – et l’on sait combien il faut être
prudent avec les prévisions – que nombre d’électeurs sont encore dans le flou
et qu’ils ne savent toujours pas pour qui voter. On se demande en quoi le
hachis verbal auquel on a assisté mardi soir – jusqu’au bout, oui môssieur – va
les aider à se faire une idée plus précise. Dans ce genre de situation, le
premier réflexe risque fort d’être une inclinaison plus marquée vers
l’abstention.
Dans une compétition
électorale, il n’y a pas de formule télévisuelle miracle. Mais les électeurs,
et la démocratie, méritent mieux que cette vente à la criée. C’est là où on
réalise que le service public n’est pas au rendez-vous. Qu’est-ce qui l’empêche
d’organiser onze soirées électorales pour que chaque candidat ait le temps de
s’exprimer et de débattre à la fois avec des journalistes spécialisés mais
aussi des spectateurs ? L’idée est de donner du temps pour que le projet
soit présenté et précisé. Ce n’est pas en regroupant cinq, sept ou onze
personnes que l’on éclaircira les choses. Le « débat » de mardi soir
n’avait rien à voir avec la politique. Ce fut ce que l’on pourrait qualifier de
« politictainement »,
c’est-à-dire une manière de distraire avec de la politique et des politiciens.
Et dans le domaine de
la politique-détente, on n’en est qu’au début de ce qui peut être proposé au
spectateur. Qui sait, demain, les candidats devront peut-être jongler avec un
ballon, nous raconter leur premier chagrin d’amour ou bien, et c’est l’idée qui
nous est venue en les regardant droits derrière leurs pupitres, ils seront
obligés de participer à un quizz à plusieurs thèmes (sport, culture générale,
politique, philatélie…). « Quelle est
la capitale administrative du Balouchistan ? Mais appuyez sur le buzzer
avant de répondre, monsieur Mélenchon ! » ou encore « quelle est l’origine du mot
pognon ? Oui ! Très bonne réponse de monsieur Fillon… ». Qu’on
se le dise, le spectacle ne fait que commencer…
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1 commentaire:
Et voila le monde que nous offrons à tous les boutonneux en perte d'octave de la terre ...
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