Le Quotidien d’Oran,
jeudi 30 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris
D’où vient le
problème ? A quoi, à qui, devons-nous l’état actuel d’une grande partie de
l’Europe laquelle semble renouer avec ses vieux démons ? Nationalisme,
populisme, xénophobie et islamophobie : il faudrait être inconscient pour
ne pas s’inquiéter devant pareil contexte. On dira que ce n’est pas le problème
des pays du sud, notamment du Maghreb, mais ce serait faire fausse route. Car la
manière dont évolue le vieux continent et l’existence de courants politiques
qui l’écartèlent auront nécessairement des conséquences sur tout
l’environnement régional. La montée en puissance des forces populistes pour ne
pas dire néo-fascistes n’est pas qu’une simple affaire euro-européenne. Comme
le montrent les récentes consultations électorales, ces forces ne sont plus
uniquement des composantes marginales des échiquiers politiques. Elles ont la
capacité de l’emporter à moyen terme ou peut-être même à court terme. Et il
suffit d’interroger l’histoire pour comprendre la gravité de la situation et de
réaliser à quel point cette région du monde est capable d’exporter ses tempêtes
et d’entraîner avec elle le reste du monde.
L’échec de l’Union
européenne (UE) en tant qu’institution fédératrice (et non fédérale, la nuance
est de taille) est l’une des raisons majeures de cette situation. Bien sûr, les
réalisations sont impressionnantes et il faut reconnaître le caractère atypique
et exceptionnel de ce regroupement d’Etats. Mais année après année, la machine
communautaire s’est déréglée et ses dirigeants n’ont pas pris conscience des
enjeux créés par plusieurs décennies d’ouverture économique, de dérégulation et
de politiques d’inspiration libérale. Et cela même si de nombreux responsables
européens continuent de clamer que l’UE a toujours gardé le cap en matière de
renforcement des protections sociales et de défense des libertés fondamentales.
La caricature veut que
l’Union, et plus particulièrement la Commission européenne, s’est perdue en
fabriquant à tout va des textes normatifs et tatillons dont quelques-uns
prêtent effectivement à sourire. Mais, au-delà de l’anecdote, la vraie leçon à
tirer est qu’une intégration économique régionale peut s’avérer dangereuse sans
une démarche politique de même intensité et de même ambition. Or, les pays
membres ont toujours refusé cela y compris lorsqu’ils ont décidé, pour certains
d’entre eux, d’abandonner leurs monnaies nationales au profit de l’euro.
Comment pouvait-on penser que la création de la monnaie unique pourrait donner
des résultats tangibles – autres que ceux attendus par la sphère
banco-financière – sans l’existence d’un vrai pouvoir politique européen ?
Un pouvoir capable de dire non aux marchés financiers et à la Banque centrale
européenne (BCE) ?
La question de la
fiscalité témoigne de cette réalité. Qui peut croire que l’Union européenne est
un projet viable à long terme quand on sait que certains de ses membres se sont
organisés pour capter – on pourrait même écrire détourner ou voler – une partie
des recettes fiscales potentielles de leurs voisins et partenaires ?
Quoiqu’en disent les défenseurs acharnés du processus de « construction
européenne » cette question fondamentale n’a jamais été réglée. Si de
nombreux Etats membres de l’UE n’ont pas les moyens de renforcer leurs
amortisseurs sociaux pour lutter contre les effets négatifs de la
mondialisation ou pour mettre en place des politiques d’inspiration keynésienne
afin de relancer l’activité, c’est parce que l’idée d’une redistribution
organisée et planifiée à l’échelle de l’Union n’a pas été une priorité.
Dans un monde où même
les Etats qui professent avec ardeur leur foi dans le libre-échange se dotent
de barrières protectionnistes qui ne disent pas leur nom (cf. les subventions
agricoles aux Etats Unis), l’Union européenne a été l’idiote utile de la
mondialisation. La zone où la libre-concurrence a été érigée en dogme absolu au
détriment, par exemple, des petites et moyennes entreprises qui ont été privées
de mesures incitatives comme c’est le cas aux Etats Unis avec le « small
business act ».
Au cours des dernières
décennies, une idée simple s’est imposée comme une évidence indiscutable. Selon
elle, c’est l’économie (libérale) qui serait le moteur principal de la
construction européenne. La paix, la concorde entre les peuples, le
développement commun et la stabilité politique, tout cela serait garanti par
l’amélioration constante des environnements des affaires. On connaît le
résultat. Certes, l’Europe regroupée est la première puissance économique
mondiale mais c’est aussi une terre d’inégalités croissantes et de disparités
régionales. Et ne parlons pas de la Grèce dont le sort et le traitement par ses
pairs de l’UE démontrent que l’expression « solidarité européenne »
ne veut absolument rien dire.
Dans de telles
conditions, la nécessité de repenser (et refonder) le projet européen devrait
être au cœur des discours et des projets politiques. Le 25 mars dernier était
célébré le Traité de Rome, autrement dit l’accord instituant la Communauté économique
européenne (CEE) entre six pays fondateurs (Allemagne de l’Ouest, Belgique,
France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas). Ce fut l’occasion pour quelques
discours et propos satisfaits. Mais de souffle nouveau, point. Le Brexit était
dans tous les esprits (même si la Grande-Bretagne n’est pas un membre fondateur
de la CEE), chacun se demandant qui sera le prochain à rendre les clés. A moins
qu’une tempête brune ne devance tout le monde en démolissant un
édifice déjà bien branlant.
_
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire