Le Quotidien d’Oran, mercredi 15 novembre 2017
Akram Belkaïd, Paris
Comment construit-on un tissu industriel performant ?
La question paraît simple mais elle est au cœur de vastes débats académiques et
politiques depuis plusieurs décennies. C’est le point essentiel des réflexions
sur le développement y compris pour les pays développés. Au tournant des années
2000, il était de bon ton de railler les industries. L’économiste Lawrence
Summers, qui fut aussi ministre sous la présidence Clinton et conseiller
économique de Barack Obama, estimait même qu’il était temps de les transférer
en Afrique, continent dont il jugeait l’air « inutilement pur » en
comparaison de celui de l’Europe et du nord de l’Amérique. On se souviendra
aussi de Serge Tchuruk, alors PDG d’Alcatel, expliquant à une presse ébahie,
que le futur de son entreprise passait par l’abandon des usines.
« Industries
industrialisantes »
On dira que c’est ce que fait Apple, ses produits étant
fabriqués notamment en Chine. Mais n’est pas Apple qui veut et nombre
d’entreprises américaines ou européennes n’ont pas définitivement enterré le
thème de la relocalisation. Mais reposons la question en pensant d’abord à un
pays comme l’Algérie qui peine à trouver sa voie en la matière. A bien y
regarder de près, l’idée des « industries industrialisantes » en
vogue dans les années 1970 (on la doit au professeur Gérard Destanne de Bernis)
n’était pas aussi mauvaise qu’on le prétend aujourd’hui. Le thème n’a cessé
d’être recyclé depuis cette date, y compris par les grands thuriféraires du
marché. Ce qui a manqué à l’Algérie à cette époque, c’est peut-être un peu plus
de confiance accordée au capital privé local. En s’accommodant d’un tissu
industriel secondaire échappant à la tutelle bureaucratique, le pays aurait
peut-être devancé le grand virage stratégique chinois de 1979
(« qu’importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape la souris).
Mais passons. Aujourd’hui, la donne a changé. Le pays
possède une certaine infrastructure industrielle. Il représente aussi un
marché, certes modeste en comparaison des données asiatiques ou subsahariennes,
mais qui a son intérêt. Que faut-il faire ? Privatiser ce qui
existe ? Au profit de qui ? Le cas du complexe sidérurgique
d’El-Hadjar mérite une réflexion politique que l’on attend encore. Le capital
étranger n’est pas à démoniser. Il apporte ses investissements, son
savoir-faire mais il est aussi tributaire de ses propres objectifs de
rentabilité et de sa propre stratégie globale. Et rien ne dit que cela rentre
en adéquation avec les intérêts à long terme de l’Algérie.
Public ou
privé ?
Si l’on prête attention à ce qui se dit tout autour du
bassin méditerranéen, ou même ailleurs, on se rend compte qu’il est souvent
question des champions nationaux. L’Union européenne (UE), la Grande-Bretagne
qui en sort, ou le Canada qui vient de signer un accord de libre-échange avec
elle, fourbissent tous des stratégies pour défendre leurs grands noms de
l’industrie contre les prédateurs étrangers. Cela passe notamment par un
durcissement des lois anti-OPA. Autrement dit des mesures qui vont à l’encontre
des louanges entonnées à l’égard du marché. Chaque pays, et l’Algérie
n’échappera pas à la règle, qui veut créer de la richesse inclusive chez lui
doit penser en termes d’emplois et de champions nationaux capables d’enclencher
un effet d’entraînement. Reste cette question fondamentale : le public ou
le privé ? Le premier, est disqualifié pour ses contreperformances. Mais
rien ne dit que le second est capable de relever le gant. Du moins,
sérieusement et au profit de l’intérêt général.
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