Le Quotidien d’Oran, mercredi 8 novembre 2017
Akram Belkaïd, Paris
Voilà donc une nouvelle histoire relevant de cette pratique
vieille comme le monde qui consiste à ne pas vouloir payer d’impôts ou alors à
chercher à en payer le moins possible. Après les « Panama papers »,
révélations qui concernaient des pratiques délictueuses de blanchiment, voici
les « Paradise papers », une enquête au long cours de plusieurs
journaux faisant partie du Consortium international des journalistes
d'investigation (ICIJ). Cette fois-ci, il ne s’agit pas à proprement parler de
délits relevant de la justice mais plutôt de méthodes à la limite de la
légalité ou exploitant les failles des systèmes juridiques et fiscaux.
Aux limites de la
légalité
Dans les prochains jours, la liste des noms des
personnalités ou des entreprises qui ont bénéficié de stratégies sophistiquées
pour payer le minimum d’impôts va s’étoffer. Il est encore trop tôt pour savoir
quelles conséquences aura ce grand déballage mais on peut déjà faire quelques
remarques. En premier lieu, on répètera toujours la règle de base. Aucune
juridiction n’est parfaite ou totalement efficace. Les Etats ont beau mettre en
place des règles strictes pour empêcher l’évasion fiscale, souvent appelée
« optimisation », des experts sauront concevoir des schémas de fuite
en exploitant les imperfections des lois.
Ce n’est pas un hasard si c’est d’un prestigieux cabinet
d’avocats, en l’occurrence la firme Appleby-Estera que vient la fuite (13,5
millions de documents sont parvenus au Consortium). Détecter la faille,
toujours avoir une ou deux longueurs d’avance sur la législation, connaître les
hommes qu’il faut dans les parlements et les gouvernements pour influer sur les
projets de législation, ou au moins les anticiper : les firmes que l’on
trouve dans les îles Caïmans, aux Bermudes ou ailleurs dans ces confettis que
personne ne saurait placer sur une carte, savent très bien faire.
En deuxième lieu, on relèvera ce qui pourra passer pour une
lapalissade. L’optimisation fiscale est une pratique pour les plus riches, les
plus aisés. Autrement dit, celles et ceux qui sont censés payer plus d’impôts
pour le bien-être de la communauté. Les classes moyennes, elles, ne peuvent
guère accéder à ces services onéreux. Pour elles, c’est l’optimisation
« bas-de-gamme » ou alors la tentation de la fraude. A l’opposé, dans
certaines grandes entreprises, les équipes chargées d’améliorer les
« performances fiscales » sont de vrais centres de profits. Leurs
membres sont choyés et ils ont carte blanche à la condition d’éviter de
franchir la ligne rouge.
Troisièmement, comme toute information, celle relative aux
« Paradise papers » mérite d’être reliée à d’autres éléments de
réflexion. Les estimations avancent que 350 milliards d’euros échappent aux
Etats – dont 120 milliards d’euros pour la seule Union européenne – en raison
de l’optimisation fiscale. Ici, c’est une souveraine - ou une héritière - qui
charge ses gestionnaires de fortune d’alléger son « fardeau ». Là,
c’est une multinationale qui ne veut pas payer d’impôts là où elle engrange
pourtant des bénéfices. Ailleurs, c’est un chanteur qui nous bassine en
permanence sur l’amour, le don de soi, mais qui donne carte blanche à ses
avocats pour truander – légalement – le fisc. Et pendant ce temps, on continue
d’entonner, à Paris comme à Washington ou Berlin, l’air du « il y a trop
de dépenses publiques. »
Toujours plus pour
les optimisateurs
En réalité, les dépenses publiques dans les pays riches
restent constantes quand on les rapporte au Produit intérieur brut (PIB). Par
contre, ce qui baisse en permanence, ce sont les recettes fiscales. Autrement
dit, non content de se faire avoir en perdant de l’argent à cause de
l’optimisation fiscale, les Etats en rajoutent en ne cessant de baisser les
niveaux de prélèvements et offrant moult dérogations. Au-delà des chiffres, le
méga-scandale des « Paradise papers » montre que plusieurs décennies
de « compétitivité fiscale » n’auront servi qu’à donner plus
d’appétit aux fraudeurs et autres optimisateurs. Au détriment de ce qui fait le
gros des troupes de contributeurs.
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