Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Nous assistons actuellement à une tentative de
double sacralisation qui ne trompera personne. Cela concerne d’abord la
Constitution. Dans ses innombrables discours – jamais officier d’active n’aura
autant pris la parole en un temps si court – le général Ahmed Gaïd Salah ne
cesse de se référer à la Constitution, érigée en texte suprême, sorte de table
de la loi républicaine. En théorie, toute armée qui se dit fidèle à la
Constitution est à saluer dans un monde arabe ou un continent africain où les
coups d’états militaires perdurent. Mais, dans le cas présent, on se demande
bien d’où provient ce respect et ce volontarisme soudains à l’égard d’un texte
tant de fois foulé au pied. Exemple. En 2014, le président Abdelaziz Bouteflika
n’était pas en mesure de faire campagne et encore moins de remplir sa mission
pour un quatrième mandat électoral. Son « élection » fut un outrage infligé
à la Constitution et à la nation. Question : pourquoi le chef d’état-major
a laissé faire ?
Mais, pure question de réthorique,
pouvait-il faire autrement ? Car, en réalité, rien dans la Constitution
n’autorise le vice-ministre de la défense à intervenir dans le champ politique.
Dans le cas présent, cela vaut notamment quand il « suggère » la date
de convocation du corps électoral, prérogative qui relève du gouvernement et du
chef de l’État, fut-il intérimaire ou, plus exactement, « post-intérimaire ».
Si on lit bien la Constitution algérienne – texte disponible sur internet, les
missions de l’Armée nationale populaire (ANP) sont clairement définies par
l’Article 25 : « - La
consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s'organisent
autour de l'Armée Nationale Populaire ; L'Armée Nationale Populaire a pour
mission permanente la sauvegarde de l'indépendance nationale et la défense de
la souveraineté nationale. Elle est chargée d'assurer la défense de l'unité et
de l'intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace
terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine
maritime. »
Voilà qui est clair. Si l’armée veut que des
élections soient organisées, qu’elle le dise (en a-t-elle le droit ? C’est
une autre histoire) mais pas en se réfugiant derrière la Constitution qui a
« bon dos ». De fait, on relèvera ainsi que nulle mention n’existe à
propos du rôle de l’armée en tant que garante de la Constitution. L’Article 70
précise bien les choses : « Le Président de la République, Chef de
l'État, incarne l'unité de la Nation. Il est garant de la Constitution. Il
incarne l'État dans le pays et à l'étranger. Il s'adresse directement à la
Nation. » C’est donc au président post-intérimaire de faire entendre sa
voix. C’est à lui que la Constitution confère les prérogatives d’organiser un
scrutin en conformité avec la Constitution. Ou alors, il faut amender, une
énième fois, cette pauvre Constitution en y écrivant noir sur blanc que le rôle
de l’armée et de son chef et de veiller au respect de la Constitution. Ainsi,
les choses seront claires… A la fois formaliste et adepte des faux-semblants,
le pouvoir algérien s’est toujours refusé à aller aussi loin dans la
clarification.
Parlons maintenant des élections. Nous savons
que dans de nombreux pays, y compris démocratiques, le recours aux urnes n’est
guère satisfaisant. Ici, ce sont des votes qui sont achetés. Là, ce sont des
morts qui votent. Ailleurs, c’est l’argent de la campagne électorale qui détermine
le résultat final. Souvent, c’est le bourrage des urnes qui prévaut. Et
partout, ou presque, l’abstention est omniprésente. Dans un monde qui connaît
une évolution notable des modes d’engagements avec l’émergence de mouvements
horizontaux sans leaders (protestataires à Hong Kong, gilets jaunes, Hirak
algérien), des réflexions sont engagées quant aux élections. Ce la reste bien
sûr la pierre angulaire de toute démocratie ou de tout État de droit. Mais à
quoi bon voter quand l’environnement politique et légal est totalement
archaïque ?
Certains diront que le futur locataire du
Palais d’El Mouradia aura pour mission de rénover le système en s’appuyant sur
l’élan du Hirak. C’est d’ailleurs l’argument avancé par les partisans d’une
élection présidentielle avant la fin de l’année. On en revient à l’espérance de
l’homme providentiel et à la croyance naïve que le système en place acceptera
de lui-même le changement et la réforme. Tout cela pour dire qu’il faut cesser
de sacraliser l’élection présidentielle. Cette dernière n’est ni un objectif ni
un aboutissement. Elle doit être considérée comme une étape parmi tant
d’autres. Et comme toute étape, elle a ses A. La question qui se pose
donc n’est pas « quand faut-il voter ? » mais « que faut-il
faire avant de pouvoir ‘enfin’ voter » ? Au cours des dernières
semaines plusieurs suggestions ont été mentionnées. Elles vont des mesures de
conciliation (libération des personnes détenues pour leurs opinions) à la mise
en place de nouvelles structures encadrant les élections. Il reste à compiler
tout cela et à donner au Hirak une dimension encore plus politique afin de
dessiner l’Algérie de demain.
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