Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 20 septembre 2019

La chronique du blédard : De la Constitution et des élections


Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris

Nous assistons actuellement à une tentative de double sacralisation qui ne trompera personne. Cela concerne d’abord la Constitution. Dans ses innombrables discours – jamais officier d’active n’aura autant pris la parole en un temps si court – le général Ahmed Gaïd Salah ne cesse de se référer à la Constitution, érigée en texte suprême, sorte de table de la loi républicaine. En théorie, toute armée qui se dit fidèle à la Constitution est à saluer dans un monde arabe ou un continent africain où les coups d’états militaires perdurent. Mais, dans le cas présent, on se demande bien d’où provient ce respect et ce volontarisme soudains à l’égard d’un texte tant de fois foulé au pied. Exemple. En 2014, le président Abdelaziz Bouteflika n’était pas en mesure de faire campagne et encore moins de remplir sa mission pour un quatrième mandat électoral. Son « élection » fut un outrage infligé à la Constitution et à la nation. Question : pourquoi le chef d’état-major a laissé faire ?

Mais, pure question de réthorique, pouvait-il faire autrement ? Car, en réalité, rien dans la Constitution n’autorise le vice-ministre de la défense à intervenir dans le champ politique. Dans le cas présent, cela vaut notamment quand il « suggère » la date de convocation du corps électoral, prérogative qui relève du gouvernement et du chef de l’État, fut-il intérimaire ou, plus exactement, « post-intérimaire ». Si on lit bien la Constitution algérienne – texte disponible sur internet, les missions de l’Armée nationale populaire (ANP) sont clairement définies par l’Article 25 : « - La consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s'organisent autour de l'Armée Nationale Populaire ; L'Armée Nationale Populaire a pour mission permanente la sauvegarde de l'indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale. Elle est chargée d'assurer la défense de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime. »

Voilà qui est clair. Si l’armée veut que des élections soient organisées, qu’elle le dise (en a-t-elle le droit ? C’est une autre histoire) mais pas en se réfugiant derrière la Constitution qui a « bon dos ». De fait, on relèvera ainsi que nulle mention n’existe à propos du rôle de l’armée en tant que garante de la Constitution. L’Article 70 précise bien les choses : « Le Président de la République, Chef de l'État, incarne l'unité de la Nation. Il est garant de la Constitution. Il incarne l'État dans le pays et à l'étranger. Il s'adresse directement à la Nation. » C’est donc au président post-intérimaire de faire entendre sa voix. C’est à lui que la Constitution confère les prérogatives d’organiser un scrutin en conformité avec la Constitution. Ou alors, il faut amender, une énième fois, cette pauvre Constitution en y écrivant noir sur blanc que le rôle de l’armée et de son chef et de veiller au respect de la Constitution. Ainsi, les choses seront claires… A la fois formaliste et adepte des faux-semblants, le pouvoir algérien s’est toujours refusé à aller aussi loin dans la clarification.

Parlons maintenant des élections. Nous savons que dans de nombreux pays, y compris démocratiques, le recours aux urnes n’est guère satisfaisant. Ici, ce sont des votes qui sont achetés. Là, ce sont des morts qui votent. Ailleurs, c’est l’argent de la campagne électorale qui détermine le résultat final. Souvent, c’est le bourrage des urnes qui prévaut. Et partout, ou presque, l’abstention est omniprésente. Dans un monde qui connaît une évolution notable des modes d’engagements avec l’émergence de mouvements horizontaux sans leaders (protestataires à Hong Kong, gilets jaunes, Hirak algérien), des réflexions sont engagées quant aux élections. Ce la reste bien sûr la pierre angulaire de toute démocratie ou de tout État de droit. Mais à quoi bon voter quand l’environnement politique et légal est totalement archaïque ?

Certains diront que le futur locataire du Palais d’El Mouradia aura pour mission de rénover le système en s’appuyant sur l’élan du Hirak. C’est d’ailleurs l’argument avancé par les partisans d’une élection présidentielle avant la fin de l’année. On en revient à l’espérance de l’homme providentiel et à la croyance naïve que le système en place acceptera de lui-même le changement et la réforme. Tout cela pour dire qu’il faut cesser de sacraliser l’élection présidentielle. Cette dernière n’est ni un objectif ni un aboutissement. Elle doit être considérée comme une étape parmi tant d’autres. Et comme toute étape, elle a ses A. La question qui se pose donc n’est pas « quand faut-il voter ? » mais « que faut-il faire avant de pouvoir ‘enfin’ voter » ? Au cours des dernières semaines plusieurs suggestions ont été mentionnées. Elles vont des mesures de conciliation (libération des personnes détenues pour leurs opinions) à la mise en place de nouvelles structures encadrant les élections. Il reste à compiler tout cela et à donner au Hirak une dimension encore plus politique afin de dessiner l’Algérie de demain.
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