Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 20 septembre 2019

La chronique du blédard : Vive la transition !

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 août 2019
Akram Belkaïd, Paris

Qu’est-ce qu’une transition ? Une définition très répandue stipule ce qui suit : « Passage d'un état à un autre, en général lent et graduel ; état intermédiaire. » Il n’est donc pas besoin d’insister pour en saisir le sens. La transition est un processus qui va de pair avec le changement voire la transformation. Sur le plan politique, elle est souvent appréhendée en opposition avec la rupture qui engendre une modification immédiate à l’image d’une révolution. Dans l’idée de transition, il y a donc aussi l’idée du temps, de la durée.

Le politiste algérien Hasni Abidi, enseignant-chercheur à l’université de Genève, a consacré sa thèse à la transition politique. Dans le cas d’un pays autoritariste ou dictatorial qui s’engage vers une démocratisation, il explique que la transition est marquée par un processus de négociations plus ou moins continu entre acteurs qui ne sont pas forcément démocrates. L’objectif alors est de réunir un consensus validé par tous pour éviter la régression en empêchant la restauration de l’ordre ancien. Cela n’empêche pas les calculs et les manœuvres dilatoires comme le montre la situation au Soudan.

Mais quid de l’Algérie ? Pour certains politistes, l’Algérie est entrée en transition politique depuis les évènements d’Octobre 1988 et la fin du parti unique. Si l’on admet cette hypothèse, il faut néanmoins relever que les vingt ans de pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika correspondent à une glaciation du processus puisqu’aucun problème fondamental du pays n’a été réglé sur le plan des libertés politiques et du pluralisme. D’autres experts estiment que la transition a commencé avec la démission du même Bouteflika poussé dehors par le Hirak du 22 février. Autrement dit, nous n’en serions qu’au début.

Le général Ahmed Gaïd Salah répète à qui veut l’entendre qu’il ne veut pas d’une transition qu’il assimile à un complot ourdi et cetera et cetera… Pour lui, seule l’élection présidentielle compte afin de revenir dans les clous de la Constitution. En théorie, un tel discours peut être entendu. Actuellement, l’État algérien fonctionne en dehors de cette Constitution tant de fois malmenée par le pouvoir au cours de ces dernières années. L’intérim, tel que prévu par les textes, du « président » Abdelkader Bensalah est terminé depuis juillet dernier. Même si des juristes affirment le contraire, on est bien dans une situation de vide constitutionnel puisque rien n’est prévu pour une telle situation. Elire un président de la république permettrait donc de renouer avec la légalité et le fonctionnement normal des institutions.

Oui, mais voilà. Un scrutin présidentiel n’a rien d’anodin en Algérie. Le pays serait un État de droit, même imparfait, on pourrait souscrire à l’idée d’une telle élection. Mais nous savons tous ce que voter signifie en l’état des choses. Depuis les funestes élections législatives de décembre 1991, aucun scrutin n’a été organisé dans des conditions d’équité et de transparence. La question est donc simple : qui garantit aux Algériennes et aux Algériens que cette élection présidentielle tant souhaitée par le vice-ministre de la défense sera conforme aux règles, jusque-là très théoriques. Disons-le autrement : qui peut assurer aux manifestants du Hirak, et à celles et ceux qui les soutiennent, que cette élection présidentielle ne se résumera pas à l’élection d’un nouveau Bouteflika ou d’un nouveau Chadli ? C’est-à-dire d’un homme qui ne cherchera guère à réformer le système politique algérien et qui maintiendra en l’état la superstructure qui encage le pays depuis l’indépendance.

A la limite, une présidentielle pourrait être un grand moment démocratique dans la vie du pays. Ce serait l’occasion pour les uns et les autres de débattre, de juger les programmes, d’avancer des idées nouvelles pour sortir le pays du marasme. Mais personne n’est dupe et même les plus naïfs ne se font aucune illusion. S’il y a une élection présidentielle, il y aura « le » candidat et les autres. Il y aura celui qui passera sans cesse à la télévision nationale et les autres qui n’auront que quelques miettes. Il y aura celui qui sera encensé par la valetaille qui nous expliquait, il y a un an à peine, la nécessité d’un cinquième mandat de Bouteflika et ceux qui seront accusés de servir des intérêts occultes. Il y aura celui qui dépassera les 50% des suffrages, voire les 80%, dès le premier tour et les autres qui se contenteront de quelques centiles.

Réclamer une transition pour réformer le système électoral, exiger la mise à jour des listes, revendiquer une autorité indépendante de supervision des élections, n’est pas un caprice d’enfant gâté. Ce n’est pas une manœuvre de traître inféodé à on ne sait quelle puissance étrangère qui voudrait aggraver l’état, déjà calamiteux, de l’Algérie. C’est une exigence patriotique et responsable. Que ses partisans soient mis en cause et gravement accusés en dit long sur le refus du général Gaïd Salah d’accepter une réforme politique dont l’Algérie a pourtant un grand besoin.

Depuis plusieurs mois, les multiples arrestations de responsables divers et d’hommes d’affaires ont montré à quel point le pays est malade et miné de l’intérieur. Une telle corruption n’est pas le seul fait des hommes. Elle est le corollaire d’un système qui permet de telles déprédations. Mettre en prison les coupables ne suffira pas. C’est le système dans toute sa profondeur qu’il faut réformer car leurs remplaçants sont déjà dans les starting-block. Une élection présidentielle donnera l’illusion d’un nouveau départ. En réalité, elle ne fera que prolonger, sous d’autres formes, l’ordre ancien.
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