Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 août 2019
Akram Belkaïd, Paris
Qu’est-ce qu’une transition ? Une
définition très répandue stipule ce qui suit : « Passage d'un état à un autre, en général lent et graduel ; état
intermédiaire. » Il n’est donc pas besoin d’insister pour en saisir le
sens. La transition est un processus qui va de pair avec le changement voire la
transformation. Sur le plan politique, elle est souvent appréhendée en
opposition avec la rupture qui engendre une modification immédiate à l’image
d’une révolution. Dans l’idée de transition, il y a donc aussi l’idée du temps,
de la durée.
Le politiste algérien Hasni Abidi,
enseignant-chercheur à l’université de Genève, a consacré sa thèse à la
transition politique. Dans le cas d’un pays autoritariste ou dictatorial qui
s’engage vers une démocratisation, il explique que la transition est marquée
par un processus de négociations plus ou moins continu entre acteurs qui ne
sont pas forcément démocrates. L’objectif alors est de réunir un consensus
validé par tous pour éviter la régression en empêchant la restauration de
l’ordre ancien. Cela n’empêche pas les calculs et les manœuvres dilatoires
comme le montre la situation au Soudan.
Mais quid de l’Algérie ? Pour certains
politistes, l’Algérie est entrée en transition politique depuis les évènements
d’Octobre 1988 et la fin du parti unique. Si l’on admet cette hypothèse, il
faut néanmoins relever que les vingt ans de pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika
correspondent à une glaciation du processus puisqu’aucun problème fondamental
du pays n’a été réglé sur le plan des libertés politiques et du pluralisme.
D’autres experts estiment que la transition a commencé avec la démission du
même Bouteflika poussé dehors par le Hirak du 22 février. Autrement dit, nous
n’en serions qu’au début.
Le général Ahmed Gaïd Salah répète à qui veut
l’entendre qu’il ne veut pas d’une transition qu’il assimile à un complot ourdi
et cetera et cetera… Pour lui, seule
l’élection présidentielle compte afin de revenir dans les clous de la
Constitution. En théorie, un tel discours peut être entendu. Actuellement,
l’État algérien fonctionne en dehors de cette Constitution tant de fois
malmenée par le pouvoir au cours de ces dernières années. L’intérim, tel que
prévu par les textes, du « président » Abdelkader Bensalah est
terminé depuis juillet dernier. Même si des juristes affirment le contraire, on
est bien dans une situation de vide constitutionnel puisque rien n’est prévu
pour une telle situation. Elire un président de la république permettrait donc
de renouer avec la légalité et le fonctionnement normal des institutions.
Oui, mais voilà. Un scrutin présidentiel n’a
rien d’anodin en Algérie. Le pays serait un État de droit, même imparfait, on
pourrait souscrire à l’idée d’une telle élection. Mais nous savons tous ce que voter
signifie en l’état des choses. Depuis les funestes élections législatives de
décembre 1991, aucun scrutin n’a été organisé dans des conditions d’équité et
de transparence. La question est donc simple : qui garantit aux
Algériennes et aux Algériens que cette élection présidentielle tant souhaitée
par le vice-ministre de la défense sera conforme aux règles, jusque-là très
théoriques. Disons-le autrement : qui peut assurer aux manifestants du
Hirak, et à celles et ceux qui les soutiennent, que cette élection
présidentielle ne se résumera pas à l’élection d’un nouveau Bouteflika ou d’un
nouveau Chadli ? C’est-à-dire d’un homme qui ne cherchera guère à réformer
le système politique algérien et qui maintiendra en l’état la superstructure
qui encage le pays depuis l’indépendance.
A la limite, une présidentielle pourrait être
un grand moment démocratique dans la vie du pays. Ce serait l’occasion pour les
uns et les autres de débattre, de juger les programmes, d’avancer des idées
nouvelles pour sortir le pays du marasme. Mais personne n’est dupe et même les
plus naïfs ne se font aucune illusion. S’il y a une élection présidentielle, il
y aura « le » candidat et les autres. Il y aura celui qui passera
sans cesse à la télévision nationale et les autres qui n’auront que quelques
miettes. Il y aura celui qui sera encensé par la valetaille qui nous
expliquait, il y a un an à peine, la nécessité d’un cinquième mandat de
Bouteflika et ceux qui seront accusés de servir
des intérêts occultes. Il y aura celui qui dépassera les 50% des suffrages,
voire les 80%, dès le premier tour et les autres qui se contenteront de
quelques centiles.
Réclamer une transition pour réformer le
système électoral, exiger la mise à jour des listes, revendiquer une autorité
indépendante de supervision des élections, n’est pas un caprice d’enfant gâté.
Ce n’est pas une manœuvre de traître inféodé à on ne sait quelle puissance
étrangère qui voudrait aggraver l’état, déjà calamiteux, de l’Algérie. C’est
une exigence patriotique et responsable. Que ses partisans soient mis en cause
et gravement accusés en dit long sur le refus du général Gaïd Salah d’accepter
une réforme politique dont l’Algérie a pourtant un grand besoin.
Depuis plusieurs mois, les multiples
arrestations de responsables divers et d’hommes d’affaires ont montré à quel
point le pays est malade et miné de l’intérieur. Une telle corruption n’est pas
le seul fait des hommes. Elle est le corollaire d’un système qui permet de
telles déprédations. Mettre en prison les coupables ne suffira pas. C’est le
système dans toute sa profondeur qu’il faut réformer car leurs remplaçants sont
déjà dans les starting-block. Une élection présidentielle donnera l’illusion
d’un nouveau départ. En réalité, elle ne fera que prolonger, sous d’autres
formes, l’ordre ancien.
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