Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 août 2019
Akram Belkaïd, Paris
Avec la persistance de la répression subie par
le mouvement des gilets jaunes, une partie de la France profonde découvre désormais
ce que de nombreux jeunes des quartiers périurbains savent depuis longtemps :
la police dite républicaine est violente et agit sans retenue car sûre de son
impunité. Cette police est même de plus en plus violente, affirment certains
qui semblent avoir oublié les terribles heures de la répression policière entre
les années cinquante et la fin des années soixante-dix, répression qui visa
autant les ouvriers grévistes que les étudiants ou les militants et
sympathisants de la cause indépendantiste algérienne. Il suffit de lire les
textes relatifs à la tuerie de Paris du 17 octobre 1961 pour comprendre que le
« savoir-faire » des forces de maintien de l’ordre peut avoir un
autre visage que celui de la « retenue » qui fit que les événements
de mai 1968 ne débouchèrent sur aucune perte humaine.
Comment ne pas penser à octobre 1961 après la
mort de Steve Maia Caniço, retrouvé noyé dans la Loire ? Pour mémoire, ce
jeune homme avait disparu en juin dernier à la suite d’une charge de la police,
quai Wilson à Nantes, contre des personnes dont le seul tort fut de vouloir
prolonger la fête de la musique. « Où est Steve ? » fut le mot
d’ordre répété partout, y compris sur les réseaux sociaux, et adressé aux
autorités politiques. Ces dernières, par le biais du Premier ministre Édouard
Philippe ont dédouané la police. Depuis, plusieurs témoignages, ignorés par
l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), insistent sur la brutalité
de la charge policière et sur l’usage intensif de gaz lacrymogène ayant
provoqué un manque de visibilité à quelques mètres des eaux sombres du fleuve.
Mais comme cela arrive à chaque fois que la police est mise en cause, l’IGPN
qui est juge et partie, vient de conclure à l’absence d’irrégularités et ne
poursuit aucun fonctionnaire.
Cela a été le cas avec l’affaire dite de
Mantes-La-Jolie (banlieue parisienne). En décembre 2018, lors d’une
mobilisation lycéenne, la police avait procédé à l’interpellation de cent
cinquante et un jeunes âgés entre 12 et 21 ans, mis en rang, à genoux mains sur
la tête durant trois heures (!). Une posture qui rappelait les images de pays
en guerre et qui était d’autant plus humiliante qu’elle fut filmée par un
fonctionnaire et diffusée sur les réseaux sociaux. L’Union nationale lycéenne,
puis dix mineurs, avaient déposé plainte notamment pour « atteinte arbitraire à la liberté individuelle », « violences volontaires par une personne
dépositaire de l’autorité publique » ainsi que pour « diffusion illégale de l’image de personnes » mais l’IGPN a classé
sans suite son enquête préliminaire.
Il y a aussi le scandale, car c’en est un, de
la mort de Zineb Redouane, une octogénaire morte après avoir été touchée au
visage par une grenade lacrymogène lancée par un policier qui n’a toujours pas
été identifié. Là aussi, les autorités politiques font preuve d’une incroyable
légèreté. « Rien à signaler, circulez, les règles républicaines ont été
respectées. » Le mépris… Même message concernant Geneviève Legay, 73 ans,
gravement blessée lors d’une charge policière pendant une manifestation des
gilets jaunes. Dans cette affaire, les autorités n’ont jamais cessé de mentir à
commencer par le président Macron qui a affirmé que la victime n’a pas été
« en contact avec » les forces de l’ordre. Un mensonge validé par le
procureur de Nice qui a lui-même reconnu par la suite que ses déclarations
avaient pour but de sauver la mise au président. Une République intègre,
ça ?
Dernière en date, l’affaire de
Steve Maia Caniço est emblématique car elle pose une question fondamentale :
le pouvoir politique, incarné par le président Emmanuel Macron et son Premier
ministre Édouard Philippe, a-t-il perdu la main face à la police ? Les
dénégations du bien étrange ministre de l’intérieur Christophe Castaner, lequel
réfute systématiquement l’existence de toute violence policière, tendent à le
prouver. Confronté à un important mouvement de défiance politique, le président
Macron a perdu son sang-froid en novembre dernier. Sa réponse fut de durcir la
répression pour casser le mouvement en mettant fin au nécessaire respect de la
proportionnalité dans l’usage de la force policière. Une proportionnalité qui
est la marque des démocraties et c’est sa disparition qui oblige à s’interroger
sur la dérive autoritariste française.
La stratégie de la brutalité a un
prix majeur. Elle affaiblit le pouvoir politique, lui fait perdre de sa
légitimité et le rend dépendant de son bras armé. Comme François Hollande dont
le mandat a été marqué par d’inacceptables violences policières, notamment lors
des manifestations contre la loi sur le travail, Emmanuel Macron n’est ni flic
ni militaire. Il n’a pas occupé le poste de ministre de l’intérieur qui, en
règle générale, permet aux futurs présidents de se constituer un solide carnet
d’adresse et de prendre quelque ascendant sur les uniformes. Plus Macron aura
recours à la force, plus son autorité s’étiolera. Aujourd’hui, les forces de
l’ordre peuvent charger, tabasser des manifestants, crever des yeux, elles
savent que le pouvoir politique, peu confiant en lui-même, les couvrira. Et le
résultat est connu : outre les deux morts cités précédemment, vingt-quatre
personnes ont perdu un œil et cinq autres ont perdu une main depuis le début du
mouvement des gilets jaunes. Cela aurait dû provoquer une vraie crise politique
et obliger le gouvernement à agir. Il n’en est rien.
Mais est-ce vraiment une
surprise ? Parmi celles et ceux qui réclament une enquête parlementaire à
propos de la mort de Steve Maia Caniço, combien s’étaient mobilisés après la
mort d’Adama Traoré dans les locaux d’une gendarmerie ? C’était en juillet
2016 et depuis la famille de la victime attend en vain que justice lui soit enfin
rendue.
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