Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 12 décembre 2024

Treize ans dans les prisons syriennes

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Syrie.
Pour qui voulait savoir, il était possible de savoir.
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Récit d'une captivité dans les geôles d'Assad par Aram Karabet (2009).
« Qu’on s’imagine être attaché par un de ces monstres [les gardiens], et rossé jusqu’à ce qu’il se rassasie. Ces geôliers étaient de simples conscrits, pas des soldats de métier. Ils faisaient leur service militaire et n’avaient pas plus de dix-huit ou vingt ans. Quelle agressivité déchaînée, dépourvue de tout motif, peut bien habiter le cœur d’un jeune homme de cet âge, pour qu’il en vienne à souhaiter fouetter un prisonnier qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais vu de sa vie ?
« Telle est la relation, dans mon pays, entre le bourreau et la victime. L’un a des bottes cirées, l’autre a la tête baissée. C’est ainsi que nos peuples et nos pays ont été dénaturés. Cette forme de relation est un indice de mépris réciproque que se vouent le pouvoir et la société. Que personne, quel qu’il soit, ne s’imagine échapper à cette équation, même s’il est confortablement assis chez lui. Quoi qu’on fasse pour se persuader qu’on est en sécurité, chacun d’entre nous est à leur merci.
« Le bourreau méprise sa victime afin de compenser son sentiment d’infériorité, sa situation obscure, son déshonneur. Son dédain est une conséquence du mépris qu’il éprouve pour lui-même et pour sa basse origine. Le bourreau est un homme de rien, autant dans sa « constitution » psychologique et morale, que dans son éducation et la vie qu’il mène. L’arrivée au pouvoir d’hommes d’une pareille trempe ne change en rien leur nature. Au contraire, la pratique du pouvoir ôte le voile derrière lequel ils se cachaient, révélant toujours leur bassesse.
« C’est pourquoi le pouvoir en Syrie s’efforce toujours à l’extérieur de paraître civilisé dans le moindre de ses gestes. Ainsi espère-t-il faire oublier ses viles origines.
Aram Karabet,
in « Treize ans dans les prisons syriennes. Voyage vers l’inconnu ».
Récit traduit de l’arabe (Syrie) par Nathalie Bontemps, Actes Sud, janvier 2013, 223 pages, 20 euros.
Titre original : « Al-Rahîl ilâ l-majhûl », Dâr Jidâr, Alexandrie, 2009.
 

 

 

mardi 3 décembre 2024

Liberté pour Boualem Sansal

 

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Commençons par l’essentiel. L’indiscutable. Boualem Sansal n’a rien à faire en prison et j’en appelle ici aux autorités algériennes les plus hautes pour qu’il soit libéré et qu’il puisse aller où qu’il aille. On n’embastille pas un écrivain – ou tout autre citoyen anonyme – pour ce qu’il a pu dire, penser ou écrire. On ne devrait traduire personne en justice pour des opinions fussent-elles déplorables, déplaisantes, outrancières ou transgressives. L’opinion n’est pas un acte. Et c’est encore moins un délit. Quelqu’un qui bastonne sa femme, dans la rue ou à la maison, est un délinquant qui mérite d’être poursuivi et châtié. Quelqu’un qui affirme que la terre natale de l’émir Abdelkader n’est pas algérienne n’est rien d’autre qu’un ignare. Ou un provocateur en mal de publicité éditoriale ce qui, pour autant, ne vaut pas viatique pour la geôle.
Dans une Algérie idéale, Sansal serait rentré dans son pays, sans encombre ni représailles. Des journalistes de la chaîne III, profitant d’une totale liberté éditoriale, l’auraient invité pour qu’il s’explique sur ses récentes déclarations et là, n’importe quel contradicteur l’aurait ridiculisé, lui et son propos incohérent. L’Algérie existe. Elle est indépendante depuis juillet 1962. De quoi pourrait-elle avoir peur ? Que les élucubrations de Sansal poussent le conseil de sécurité de l’Onu à annuler la résolution 176 du 4 octobre 1962 ? Soyons sérieux…
Beaucoup a été dit et écrit sur la stratégie de cet écrivain et d’autres de (bien) profiter des souffles qui empestent la France. Comme un bon marin, les opportunistes savent discerner le bon vent à prendre. Aujourd’hui, c’est celui de la réaction et de l’islamophobie. Je n’ai pas l’intention d’insister là-dessus. Cela fait des années que le phénomène existe. Nous savons tous quoi penser de ces écrits et propos qui n’existent que pour tirer avantage d’un certain état d’esprit méprisant pour ne pas dire raciste. Insulter l’Algérie (et les Algériens) tout comme faire mine d’ignorer qu’un génocide se déroule à Gaza peut rapporter moult distinctions. Chacun sa conscience.
Le plus important, à mon sens, est juste de réclamer la libération de Sansal. Ce qui ne veut pas dire qu’on partage ses idées. Ce qui ne veut pas dire que l’on est obligé de signer des pétitions où figurent des noms de personnes pour lesquelles on n’a ni respect ni considération. Car ces gens sont comparables à une montre cassée. Elle a raison deux fois par jour mais pour le reste... Sansal a les amis et admirateurs qu’il mérite. Qu’il les rejoigne au plus vite. Libre.