J'ai consacré récemment un article au cinquantième anniversaire de l'indépendance (*). J'y relevais le fait que c'est en France qu'était organisé le plus grand nombre de manifestations relatives à cet événement. Une commémoration, faut-il s'en étonner ou s'en indigner, qui semble être reléguée au second plan en Algérie. Réagissant à ce papier, un ami universitaire m'a écrit d'Alger les mots suivants : « Ce qui est déplorable, c'est qu'aucune action officielle commune n'est prévue. Cinquante ans après l'indépendance on aurait pu penser qu'Algériens et Français seraient capables de montrer ensemble que la page a été tournée. Il n'en est rien. C'est à se demander s'il y aura un jour une volonté de le faire ». Un autre ami, consultant et grand habitué des messes euro-méditerranéennes, est encore plus sévère : « à Alger comme à Paris on manque d'idées. Il est trop facile de se réfugier derrière le poids du passé et les exigences d'agendas de politique intérieure ».
Manque d'idées ? C'est fort possible. Mais il y a tout de même un obstacle de taille qui mérite d'être signalé et qui explique peut-être ce manque d'initiatives communes. En mai prochain, les Français vont élire leur président de la République. Un rendez-vous électoral incertain où l'actuel locataire du palais de l'Elysée n'est pas assuré de garder son logement. Dès lors, on comprend la difficulté d'organiser une célébration à deux. D'une part, si le candidat socialiste est élu, rien ne dit qu'il aura envie de tenir un engagement pris par son adversaire avant l'élection. D'autre part, on imagine la gêne des responsables algériens soucieux de ne pas donner l'impression que pour eux le scrutin est plié en s'engageant dès maintenant dans un projet voulu ou accepté par Nicolas Sarkozy.
Il est vrai aussi que les idées semblent difficiles à trouver. Peut-être faut-il lancer un concours ou un appel à contributions que Le Quotidien d'Oran se chargerait de centraliser... Bien entendu, il faut être réaliste et ne pas imaginer un happening à la franco-allemande, avec cérémonie de réconciliation entre deux présidents qui, main dans la main, regarderaient vers l'avenir tout en rendant hommage aux morts du passé. Il n'y a pas non plus d'écrivain, vieux sage, auquel les deux dirigeants pourraient rendre visite. En Algérie comme en France, n'est pas Ernst Junger qui veut... On pourrait penser à une cérémonie de recueillement dans le village de Lourmarin sur la tombe d'Albert Camus mais il est certain qu'une telle démarche ne fera pas l'unanimité. Il ne faut pas s'attendre non plus à ce que l'on nous ressorte feu le projet de Traité d'amitié entre les deux pays. Jacques Chirac, alors président, y était favorable mais la droite non-gaulliste a réussi à le torpiller notamment grâce à la fameuse loi sur les bienfaits de la colonisation.
Sans même parler de repentance, il est impossible aussi d'imaginer la moindre reconnaissance à plus haut niveau français de ce que fut la sauvagerie de la conquête de l'Algérie, du caractère profondément injuste et inhumain de la réalité coloniale sans oublier la terrible somme de souffrances et de tortures infligées au peuple algérien durant sa lutte pour l'indépendance. Aujourd'hui, la France ne va pas fort. Elle doute d'elle-même, le rééquilibrage du monde en faveur des pays émergents menace de la reléguer au rang de puissance de second ordre et il serait vain d'attendre de ses dirigeants qu'ils aient le courage d'affronter un passé honteux qu'ils continuent de glorifier pour se rassurer et rassurer leurs concitoyens.
Difficile enfin d'imaginer qu'un détachement de l'Armée nationale populaire (ANP) puisse participer au défilé militaire du 14 juillet sur les Champs-Elysées. A dire vrai, cela aurait une belle valeur symbolique mais le risque est immense de voir se réveiller des passions jamais éteintes. En tous les cas, on voit mal la gauche se risquer à une telle initiative. A l'inverse, Sarkozy, toujours à la recherche d'une transgression, y compris dans son propre camp, pourrait réussir à l'imposer au grand dam de la droite populaire qui fait de l'algérophobie son fonds de commerce. Cela étant, a-t-on besoin de mettre en avant les militaires des deux pays pour démontrer que le temps a passé ? Pas si sûr finalement que cela soit une bonne idée.
Un ami chercheur me dit que la France pourrait annoncer une restitution d'une partie des archives stockées à Aix-en-Provence. Ce serait, me dit-il, une manière de rendre à l'Algérie une partie de son histoire. Je ne sais que penser d'une telle démarche même si la question du partage des archives est incontournable. A charge pour les Algériens de prouver qu'ils sont capables de gérer au mieux ce stock et, surtout, d'en préserver l'intégrité... Bien entendu, il ne faut pas être naïf. Ce n'est pas demain que la France va ouvrir et mettre à disposition certaines de ses archives militaires. On le sait, ces dernières font fantasmer des millions d'Algériens persuadés que s'y trouve la réponse à nombre de leurs questions à propos des liens officieux et interlopes entre leur pays et la France après l'indépendance.
A mon avis, une idée pourrait recueillir l'adhésion générale. Il faudrait pour cela, hélas, cinquante fois hélas, que Nicolas Sarkozy soit réélu. Dès lors, il serait possible d'organiser à Alger, au stade du 5 juillet (et trente sept ans après une mémorable finale des Jeux méditerranéens), un match de football Algérie-France (aucun risque que la pelouse ne soit envahie ). Viendrait ensuite un concert d'artistes algériens et français avec, moment phare de la manifestation, l'apparition de Carla Bruni-Sarkozy sur scène. En robe kabyle (comme Joan Baez à l'époque de son séjour algérois) et guitare à la main, la dame reconduite dans son statut de première, ferait chanter et chavirer des dizaines de milliers d'Algériens qui reprendraient tous en cœur : « y'a quelqu'un qué m'a dé qu'ton maré va n'donni l'visa ! y'a quelqu'un qué m'a dé ». Le visa, sa facilitation, la libre-circulation entre les deux pays : c'est peut-être de ce côté-là qu'il faudrait chercher la bonne idée pour célébrer le cinquantième anniversaire. Rien n'interdit de rêver y compris à l'heure où Paris remet en vigueur les mesures de contrôle de retour des Algériens après leur séjour en France...
(*) Guerre d'Algérie, quand la France fait son travail de mémoire, SlateAfrique.com, 29 février 2012.
Le Quotidien d'Oran, jeudi 8 mars 2012
Akram Belkaïd, Paris
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