Le Quotidien d'Oran, jeudi 11 octobre 2012
Akram Belkaïd, Paris
Le 6 novembre prochain, les citoyens étasuniens vont se rendre aux urnes pour reconduire ou signifier son congé à Barack Obama (certains électeurs ont commencé à voter depuis déjà plusieurs semaines). Ce scrutin qui s’annonce serré, du moins selon les sondages, est l’occasion de se pencher sur l’état de la démocratie américaine. Et il ne fait nul doute que le constat est des plus mitigés car jamais l’argent n’aura autant compté que durant cette bataille électorale. Au final, la compétition entre le président sortant et Mitt Romney, son challenger républicain, cela sans oublier les autres candidats (toujours en course ou ayant jeté l’éponge), devrait coûter au moins six milliards de dollars. Un record ! Depuis plus d’un an, les deux rivaux ne cessent de lever des fonds directement ou indirectement via notamment les « Super Political Action Committees » (Super PAC). Il s’agit d’instances partisanes, soit disant indépendantes des candidats, mais qui, dans la réalité, permettent à de gros contributeurs de déverser des millions de dollars dans la campagne. En toute légalité et en contournant la loi qui fixe les dons directs à 2.500 dollars.
Peut-on encore parler de démocratie quand l’argent est aussi prépondérant ? Où est le choix du peuple quand ce dernier est influencé par des milliers de spots publicitaires payés par des groupes de pression, souvent au service de multinationales ou de milliardaires en mal d’audience politique ? Et que dire de ces messages en rafale, à la radio ou à la télévision, qui ne s’embarrassent guère de respecter la vérité… C’est-là l’un des paradoxes des Etats-Unis puisque tout ce qui a trait aux campagnes électorales y est considéré comme relevant de la sacro-sainte liberté d’expression.
Ce n’est pas verser dans l’antiaméricanisme primaire que de dire que la démocratie étasunienne est malade. Mais, elle n’est pas la seule. L’Europe nous montre elle aussi que la démocratie dite représentative a du plomb dans l’aile. Les exemples sont nombreux. Des « technocrates » placés à la tête de gouvernements pour faire plaisir aux marchés financiers, des Parlements nationaux qui se contentent de voter les lois, laissant à d’autres (gouvernements et « experts ») le soin de les rédiger dans des conditions peu transparentes, un Parlement européen qui ne contrôle pas grand-chose à commencer par une Banque centrale européenne (BCE) omnipuissante, et des députés qui, à peine élus, s’empressent d’oublier le choix populaire comme l’a montré l’inutilité du non français lors du référendum de 2005 pour l’approbation de la Constitution européenne.
En Europe, comme aux Etats-Unis, les réflexions critiques à l’encontre de la démocratie représentative se multiplient. Élire des représentants qui, par la suite, ne rendent aucun compte et déploient leurs talents pour se faire réélire, voire pour cumuler les mandats et se sentir intouchables, est devenu chose intolérable pour nombre de citoyens. Reste que l’alternative n’est pas évidente. On connaît d’ailleurs la formule : « la démocratie est la moins mauvaise des solutions… ». Mais, le fait est qu’elle n’est plus satisfaisante dans les pays où elle se pratique réellement ou, du moins, dans l’intention. Aujourd’hui, d’autres pistes se dessinent pour assurer aux peuples le respect de l’essentiel, c'est-à-dire la mise en place d’un système politique capable de leur garantir le droit aux droits fondamentaux.
Parmi ces pistes, figure le tirage au sort en lieu et place des élections. Non, ne riez pas ; ne balayez pas cette idée en haussant les épaules. Oubliez le conditionnement mental dans lequel nous baignons depuis plusieurs siècles et qui veut que démocratie signifie forcément élections. Lisons ce qu’écrit à ce sujet Etienne Chouard, enseignant et blogueur influent inspiré notamment par les idées du politologue Bernard Manin (*). « Les citoyens ont été réduits au rang d’électeurs, sans avoir été consultés, sans conserver aucun pouvoir entre deux scrutins », relève-t-il en estimant que le suffrage universel n’a pas tenu ses promesses puisque « le choix restreint à un petit cercle de candidats induit une aristocratie fermée, avec son cortège de malhonnêtetés et d’abus de pouvoir ».
Le tirage au sort, qui existait durant l’Antiquité et que certains ordres religieux ont utilisé au cours des siècles, permettrait d’éviter les dérives de la démocratie représentative grâce au respect de trois principes. Celui de « liberté individuelle » (chacun peut être tour à tour gouvernant et gouverné), celui de « rotation des charges » (éviter la formation de castes politiciennes) et le « principe protecteur majeur » (la perspective de redevenir un citoyen ordinaire oblige le gouvernant à plus de rigueur) cela sans oublier le fait que « le tirage au sort est la seule procédure qui permette une répartition des charges sans l’intervention d’aucune volonté particulière ».
Bien entendu, les préventions à l’égard d’un tel mode de désignation sont nombreuses. Comment être sûr de ne pas mettre au pouvoir un charlatan ? Comment accepter l’idée de s’en remettre au hasard ? Pour Etienne Chouard, le tirage au sort est pourtant « un arbitre idéal, impartial et incorruptible, qui protège la liberté de parole et d’action de chacun. » Pour lui, « l’impossibilité de tricher dissuade les parties d’être malhonnêtes au lieu de les pousser au mensonge comme le fait l’élection, qui bénéficie toujours au meilleur menteur (sic). » Et d’enfoncer le clou : « on reproche au tirage au sort de risquer de porter au pouvoir un incompétent ou un escroc, or il ne désigne pas un chef mais des porte-parole, ce qui est très différent ». Des porte-parole « tenus de traduire fidèlement ce que choisissent les citoyens », travaillant « sous leur contrôle constant » et, surtout, devant « rendre des comptes en fin de mandat ».
D’autres voies, souvent complémentaires avec le tirage au sort, existent. C’est le cas de l’élection sans candidats déclarés (les candidatures sont proposées par tous les électeurs). Là aussi, il s’agit de revisiter la démocratie représentative puisque les qualités nécessaires pour être élu ne sont pas forcément celles qui font le bon représentant du peuple. Tirage au sort, élection sans candidats, recours plus fréquent au référendum : dans une planète en crise profonde, y compris de gouvernance, ces idées émergentes peuvent être qualifiées d’utopiques.
Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est via ce type de réflexion novatrice que se dessine le monde de demain. Cela ne peut qu’interpeller les pays et les peuples qui sont encore loin d’être sorti de la dictature ou de l’autoritarisme. Le fait que la démocratie représentative soit désormais un horizon que l’on peut dépasser doit obliger ceux qui en rêvent à repenser, et à renouveler, leurs réflexions et stratégies politiques. Faute de quoi, ils risquent une nouvelle fois d’être en retard d’une bataille car c’est bien dans le développement de pensées alternatives que l’Occident est en train de reprendre de l’avance sur le reste du monde.
(*) Pile dans l’urne ou face au sort, revue Kaizen, numéro de septembre-octobre 2012. De Bernard Manin, on peut lire notamment Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1995.
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