Le Quotidien d'Oran, jeudi 5 février 2009
Akram Belkaïd, Paris
En février, l'aube à Paris est le plus souvent hideuse. L'hiver ne lui offre qu'une pauvre parure déchiquetée et ne tolère d'elle qu'une arrivée clandestine. Honteuse, certainement craintive face à la pénombre, la lumière prend son temps avant de s'installer. Dans la cour intérieure, tout n'est qu'ombres et formes incertaines.
Les sapins ne sont qu'une masse compacte, vaguement menaçante. Ils ressemblent à de mauvais garçons qui avancent épaules contre épaules, à la recherche d'un malheureux à dépouiller. Derrière eux, les volets fermés des proches immeubles témoignent de vies en suspens et de sommeils qui vont bientôt s'achever. D'une lucarne sans rideaux, s'échappent les ondoiements blafards d'un poste de télévision déjà allumé ou peut-être, c'est plus probable, jamais éteint. Sur les toits, une dense fumée s'échappe d'un conduit en briques. Il n'y a rien dans tout cela qui fouette et donne envie. L'insomniaque ne peut alors que regretter le chaud confort de ses draps.
Mais ce matin, les choses sont bien différentes. Une bonne nouvelle est arrivée, de celles que l'on attribue aux bienfaits du Créateur. La neige est tombée pendant la nuit et les flocons dansent encore autour des arbres aux branches chargées. Ce n'est pas vraiment le point du jour mais la lumière est partout et le ciel, comme le sol, est blanc. C'est un éclat inhabituel, comme si un projecteur invisible venait d'être braqué sur la ville. Les sapins ne sont plus une menace mais une invitation au souvenir. On dirait l'avant-garde d'une forêt alpine habillée de sa robe hivernale.
Au loin, vers le sud-est, le spectacle des flocons qui voltigent dans le halo jaune d'un réverbère fait frissonner et réaliser qu'aujourd'hui, la neige ne disparaîtra pas aux premières heures de la matinée. On se dit alors, qu'il serait prudent de sortir plus tôt de chez soi et de bien choisir ses chaussures. Ces réflexions gâchent un peu la magie du moment et l'on s'en veut d'avoir laisser ses pensées emprunter ce chemin. On essaie alors de se concentrer de nouveau sur cette poudre blanche qui s'amoncelle ici et là, mais le charme est rompu.
L'heure du thé et des premières nouvelles a sonné. Dans le poste de radio, une voix au ton un peu trop aigu pour l'heure énumère la liste des routes fermées à la circulation. Il y a des camions retournés, un chasse-neige enlisé, des pistes d'aéroport fermées et des températures qui pourraient faire penser au Grand Nord et à la Sibérie. On s'en veut une nouvelle fois pour avoir cédé aux réflexes habituels. La splendeur des arbres et le scintillement du ciel suffisaient amplement à nourrir ses sens. Au lieu de cela, les trémolos paniqués qui s'échappent de la station en modulation de fréquence chassent peu à peu le sentiment de plénitude pour instiller anxiété et préoccupations matérielles.
Il est maintenant sept heures. Dans la rue, le manteau blanc est à peine souillé. Quelques traces de pas, le sillon unique d'une voiture et, surtout, un silence inhabituel. On se dit qu'il faut profiter du moment car, tout cela ne va pas durer. D'ailleurs, cela commence déjà. Une dame, mot de Cambronne répété en boucle, tente vaille que vaille de nettoyer le pare-brise de son automobile.
Elle n'a pas de racloir ni de casserole d'eau tiède et ses chaussures à talons manquent de la faire tomber à chaque pas dans la poudreuse. La rue, le quartier s'animent. Petit à petit, des légions de marcheurs partent à l'assaut des trottoirs. Il y a les prudents, un pas ici, l'autre là, doucement, surtout ne pas glisser. Et il y a les aguerris qui tiennent absolument à le montrer, qui en font trop, certainement mus par la volonté d'exister quelques instants et de prouver aux autres -les prudents, les hésitants, les effrayés, les automates aux pas lents, très lents- qu'ils leur sont supérieurs.
Les sapins ne sont qu'une masse compacte, vaguement menaçante. Ils ressemblent à de mauvais garçons qui avancent épaules contre épaules, à la recherche d'un malheureux à dépouiller. Derrière eux, les volets fermés des proches immeubles témoignent de vies en suspens et de sommeils qui vont bientôt s'achever. D'une lucarne sans rideaux, s'échappent les ondoiements blafards d'un poste de télévision déjà allumé ou peut-être, c'est plus probable, jamais éteint. Sur les toits, une dense fumée s'échappe d'un conduit en briques. Il n'y a rien dans tout cela qui fouette et donne envie. L'insomniaque ne peut alors que regretter le chaud confort de ses draps.
Mais ce matin, les choses sont bien différentes. Une bonne nouvelle est arrivée, de celles que l'on attribue aux bienfaits du Créateur. La neige est tombée pendant la nuit et les flocons dansent encore autour des arbres aux branches chargées. Ce n'est pas vraiment le point du jour mais la lumière est partout et le ciel, comme le sol, est blanc. C'est un éclat inhabituel, comme si un projecteur invisible venait d'être braqué sur la ville. Les sapins ne sont plus une menace mais une invitation au souvenir. On dirait l'avant-garde d'une forêt alpine habillée de sa robe hivernale.
Au loin, vers le sud-est, le spectacle des flocons qui voltigent dans le halo jaune d'un réverbère fait frissonner et réaliser qu'aujourd'hui, la neige ne disparaîtra pas aux premières heures de la matinée. On se dit alors, qu'il serait prudent de sortir plus tôt de chez soi et de bien choisir ses chaussures. Ces réflexions gâchent un peu la magie du moment et l'on s'en veut d'avoir laisser ses pensées emprunter ce chemin. On essaie alors de se concentrer de nouveau sur cette poudre blanche qui s'amoncelle ici et là, mais le charme est rompu.
L'heure du thé et des premières nouvelles a sonné. Dans le poste de radio, une voix au ton un peu trop aigu pour l'heure énumère la liste des routes fermées à la circulation. Il y a des camions retournés, un chasse-neige enlisé, des pistes d'aéroport fermées et des températures qui pourraient faire penser au Grand Nord et à la Sibérie. On s'en veut une nouvelle fois pour avoir cédé aux réflexes habituels. La splendeur des arbres et le scintillement du ciel suffisaient amplement à nourrir ses sens. Au lieu de cela, les trémolos paniqués qui s'échappent de la station en modulation de fréquence chassent peu à peu le sentiment de plénitude pour instiller anxiété et préoccupations matérielles.
Il est maintenant sept heures. Dans la rue, le manteau blanc est à peine souillé. Quelques traces de pas, le sillon unique d'une voiture et, surtout, un silence inhabituel. On se dit qu'il faut profiter du moment car, tout cela ne va pas durer. D'ailleurs, cela commence déjà. Une dame, mot de Cambronne répété en boucle, tente vaille que vaille de nettoyer le pare-brise de son automobile.
Elle n'a pas de racloir ni de casserole d'eau tiède et ses chaussures à talons manquent de la faire tomber à chaque pas dans la poudreuse. La rue, le quartier s'animent. Petit à petit, des légions de marcheurs partent à l'assaut des trottoirs. Il y a les prudents, un pas ici, l'autre là, doucement, surtout ne pas glisser. Et il y a les aguerris qui tiennent absolument à le montrer, qui en font trop, certainement mus par la volonté d'exister quelques instants et de prouver aux autres -les prudents, les hésitants, les effrayés, les automates aux pas lents, très lents- qu'ils leur sont supérieurs.
Regardez bien ce grand échalas, sac au dos, bonnet andin, pantalon bouffant et après-skis : regardez-le tracer au milieu du trottoir, heureux du crissement martial qui l'accompagne. C'est son moment de gloire. Il va vite, n'a pas peur de s'étaler, soupire bruyamment quand un escargot gêne sa progression et prend à peine conscience qu'il vient de bousculer une mère qui tient fermement la main de son petit garçon. Mais arrivé au passage clouté, il glisse parce qu'il n'a pas suffisamment prêté attention à la petite flaque d'eau givrée bien cachée par une bouillie grisâtre. Moulinets des bras, nouvelle glissade et patatras. " justice... Heureusement, la voiture qui arrive est encore loin et le patineur du lundi a le temps de se relever, cherchant d'un regard noir le passant qui a brièvement imité Woody Woodpecker au moment où la loi de la gravité se rappelait à son bon souvenir...
Le service des bus n'a pas encore débuté, affirme le panneau électronique. Inutile d'aller vers la bouche de métro, le trafic de la ligne est très perturbé. C'est le tiers-monde, ou presque. On n'est pas à Montréal ou à Chicago, ces villes où la neige n'empêche rien et où le visiteur occasionnel-et frigorifié-ne manquera pas de se dire à maintes reprises : « toute cette neige et pourtant tout marche ». A Paris, comme à Londres, c'est (un peu) la pagaille, surtout à Londres d'ailleurs. Et l'on réalise soudain que ces grandes villes comme d'autres cités européennes ont progressivement perdu l'habitude des grands froids au cours des quarante dernières années.
Il est midi et l'enchantement a disparu. Au sol, c'est une purée boueuse qui macule les chaussures et les pantalons. Le flot des voitures et des piétons, une pluie glaciale et quelques petits engins de déblaiements ont saccagé la neige. Pour retrouver un peu de la magie de l'aube, il faut chercher une petite rue peu fréquentée ou s'arrêter aux grilles des parcs ou des squares fermés. On reste-là pendant plusieurs minutes, plongeant ses yeux dans la blanche quiétude des pelouses et l'on se dit, apaisé, que la bonne nouvelle a bien existé.
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